COVID-19, Adaptation et déstabilisation des relations interpersonnelles dans la musique et le sport pendant le confinement

Résumé

La pandémie COVID-19 de 2020 et l'imposition de règles d'éloignement physique qui en a résulté ont eu des conséquences dans les domaines de la musique et du sport.

La présente étude a cherché à analyser comment la période de confinement de COVID-19 a affecté les relations interpersonnelles entre les professeurs de musique et les étudiants, et les entraîneurs sportifs et les athlètes. Dans le cadre d'un entretien semi-structuré, dix-huit participants - six athlètes et leurs trois entraîneurs et six musiciens et leurs trois professeurs - ont été invités à se souvenir de l'évolution de leurs relations interpersonnelles pendant la période de confinement.

Les résultats ont montré que ces changements pouvaient être regroupés en quatre dimensions : établir une nouvelle relation ; travailler sur une nouvelle forme de relation ; développer des adaptations fonctionnelles et positives ; et développer des relations non adaptatives et détachées. Les résultats ont également montré que les membres de la dyade ont donné un sens à leur relation interpersonnelle de manière dynamique, même sur une période aussi courte. Les expériences des musiciens et des athlètes présentaient certaines similitudes, soulignant l'importance d'une dyade qui fonctionne bien et d'une bonne communication entre les parties.

Sommaire

1. Introduction, conséquences psychologiques du confinement

• a) Une distanciation physique préconisée ou imposée
• b) Perturbation de l'identité sociale
• c) La relation formateur et apprenant

2. Musiciens et sportifs, méthodes de l'étude

• a) Participants à l'étude
• b) Méthodes
• c) Fiabilité et analyse des données

3. Résultats de l'étude

• a) Etablissement d'une nouvelle relation
• b) Travailler sur une nouvelle forme de relation
• c) Développer des adaptations fonctionnelles et positives
• d) Développer des relations non adaptatives et détachées

4. Discussion

Bibliographie

1. Introdution, conséquences psychologiques du confinement

1a. Une distanciation physique préconisée ou imposée

Alors que COVID-19 faisait son apparition et se répandait de façon spectaculaire dans le monde entier en 2020, moins de contacts face à face, des distances physiques accrues et différents niveaux de quarantaine étaient préconisés ou appliqués dans le monde entier. Ces restrictions ont été adoptées presque universellement, s'avérant nécessaires pour limiter la propagation de la maladie coronavirus infectieuse à une époque où aucun traitement antiviral ou vaccin spécifique n'était disponible. L'impact de ces mesures préventives sur la vie quotidienne a été largement reconnu, de nombreuses activités intrinsèquement sociales - comme le sport et la musique - ayant été reportées ou annulées. Au départ, de nombreux pays n'ont imposé des limites qu'aux grandes compétitions sportives et aux concerts, mais celles-ci ont ensuite été étendues à toutes les manifestations réunissant des groupes importants de personnes, de foules, de publics, d'adversaires et de coéquipiers. Les activités sportives solitaires et la pratique musicale étaient autorisées parce qu'elles pouvaient être effectuées dans le strict respect des recommandations pertinentes en matière de "distanciation sociale".

1b. Perturbation de l'identité sociale

La perception d'une distanciation physique, psychologique, émotionnelle et sociale par rapport aux autres peut provoquer toute une série d'expériences émotionnelles négatives. La psychologie sociale explique cela comme une détérioration de l'appartenance sociale qui est au cœur de ce qui caractérise les êtres humains. En tant qu'espèce intrinsèquement sociale, le sentiment d'être avec les autres est compris comme un besoin fondamental qui se manifeste dans notre vie quotidienne. En effet, le sentiment d'appartenir à un ou plusieurs groupes joue un rôle important dans la construction de l'identité sociale d'une personne.

Eisenberger (2012) définit la perturbation de l'identité sociale comme l'un des sentiments les plus douloureux et les plus désagréables émotionnellement qu'une personne puisse éprouver, car il implique le risque de nuire à sa capacité à établir des relations avec d'autres individus. L'appartenance et l'affiliation sociales sont également des aspects cruciaux pour que les musiciens et les apprenants soient capables de bien jouer dans divers contextes. Des travaux récents sur les méthodes d'enseignement musical collaboratif (par exemple, Nielsen et al., 2018), l'interaction improvisée (par exemple, Aucouturier et Canonne, 2017), et les interprètes de haut niveau dans les orchestres classiques (Biasutti, 2013) ont mis en évidence le rôle clé de la communication sociale et du compagnonnage. Dans les orchestres et les ensembles, par exemple, les instrumentistes déclarent souvent avoir la sensation que le groupe partage des buts, des idées artistiques et des objectifs musicaux communs (ibidem). L'existence de groupes musicaux peut ainsi être comprise parce que chaque «contribution individuelle est encadrée dans une conception globale partagée à un niveau de groupe qui ne peut se réduire à la simple somme des individus» (Biasutti, 2013, p. 63). Cela se traduit également par plusieurs formes de comportements musicaux partagés, comme écouter de la musique ensemble ou s'adapter aux autres membres de l'ensemble (voir, par exemple, Schiavio et al., 2019, 2020).

En ce qui concerne la distanciation sociale, un aboutissement important est la solitude, qui peut être définie comme un manque de relations sociales souhaitées et perçues (Jeste et al., 2020). Bien que l'éloignement social soit une mesure essentielle pour faire face à la pandémie actuelle, la poursuite de l'isolement et de la solitude peut être très préjudiciable pour les personnes (Palgi et al., 2020) et peut entraîner de multiples conséquences physiques et mentales délétères (Heinrich et Gullone, 2006).

Il a récemment été avancé que les activités des athlètes et des musiciens ont été confrontées à des défis similaires lors de la pandémie COVID-19 (Williamon et Antonini Philippe, 2020). D'une manière générale, les performances musicales et sportives optimales doivent répondre aux exigences sociales de la compétition et survivre sous la pression (Craft et al., 2003). Pour relever ces défis, les musiciens et les athlètes développent leur potentiel en répétant ou en s'entraînant pendant de nombreuses heures par jour, en utilisant leur bonne discipline et leur organisation pour répéter, transformer, déconstruire et reconstruire les mêmes mouvements physiques jusqu'à ce qu'ils atteignent les limites de leur performance physique (Kenny et Ackermann, 2015 ; Ascenso et al., 2017). La vie quotidienne d'un musicien comprend généralement des répétitions, des récitals, des performances en solo, des concours et des concerts ; de même, de nombreux athlètes s'entraînent quotidiennement et participent à différents types de compétitions. Pour les deux catégories, la préparation est essentielle et de très hauts niveaux de performance sont attendus (Habe et al., 2019). Toutefois, aucune de ces activités ne peut à elle seule améliorer les performances. En effet, les musiciens et les athlètes ne passent pas leur vie en vase clos : ils sont intégrés dans des événements sociaux, des pratiques culturelles et des conventions qui se jouent à la fois au niveau individuel et sociétal. Dans la plupart des cas, cultiver leur répertoire de mouvements et d'actions physiques nécessite le soutien de professionnels qualifiés. Les relations entre enseignants et étudiants et entre entraîneurs et athlètes sont donc essentielles pour s'entraîner et se former et pour donner aux étudiants et aux athlètes la possibilité de donner le meilleur d'eux-mêmes.

1c. La relation formateur et apprenant

Il existe une abondante littérature interdisciplinaire qui souligne à quel point le rôle de la relation entraîneur-athlète est fondamental pour la réussite des performances sportives (Antonini Philippe et Seiler, 2006, 2011 ; Jowett, 2017) ; et de même, pour la dyade enseignant-élève dans l'éducation musicale (Biasutti et Concina, 2018 ; Davidson et al., 1998 ; Ryan, 2020 ; Zhukov, 2012). Ainsi, dans les deux contextes, le développement de relations significatives avec les enseignants et les entraîneurs peut contribuer à améliorer les capacités techniques et les performances (Habe et al., 2019).
Pour de nombreux athlètes, par exemple, la relation entraîneur-athlète représente une structure de soutien essentielle à leur entraînement ainsi qu'à leur développement social et athlétique (Jowett, 2005 ; Smith et al., 2007 ; Huguet et Antonini Philippe, 2011). Une relation harmonieuse peut être associée à des effets positifs sur les performances des athlètes, leur satisfaction perçue, leur force mentale (Antonini Philippe et al., 2011), leur bien-être (Antonini Philippe et Seiler, 2006), leurs objectifs de réussite et leur motivation intrinsèque (Adie et Jowett, 2010), leur passion pour le sport (Lafrenière et al., 2008), leur maîtrise de soi et leur peur de l'échec (Sagar et al., 2010) et leurs compétences en matière de communication interpersonnelle (Antonini Philippe et al., 2016). Kristiansen et Roberts (2010) ont montré que de bonnes relations entraîneur-athlète aident à faire face aux expériences stressantes dans les contextes de performance.

Dans le domaine musical, Siebenaler (1997) a analysé les actions du professeur et de l'élève dans les leçons de piano en ce qui concerne la performance de l'élève. Les leçons associées à des niveaux de performance élevés comportaient les aspects suivants : un pourcentage élevé de temps pendant lequel l'élève écoutait et regardait le professeur, et un temps significatif pendant lequel le professeur jouait et parlait simultanément tout en donnant un feedback positif à son propre jeu. En outre, Davidson et al. (1998) ont constaté que les dimensions de la personnalité telles que l'amabilité du tout premier professeur de l'élève semblaient être très importantes pour la réussite de l'apprentissage futur. En outre, les compétences sociales jouent un rôle important dans la prédiction de l'efficacité d'un enseignant (Biasutti et Concina, 2018), tout comme la vitalité - le sentiment d'être vivant, vigoureux et énergique. La vitalité d'un enseignant est un indicateur pertinent de la façon dont les capacités d'un élève vont progresser et est cruciale pour son bien-être et sa motivation (Blackwell et al., 2020).

Les psychologues sociaux ont mis en avant plusieurs modèles théoriques pour enrichir notre compréhension des relations entre les enseignants et les entraîneurs et l'artiste. Antonini Philippe et al. (2011) ont utilisé le modèle de Nitsch et Hackfort (1984), qui trouve son origine dans les premiers aperçus sur le constructionnisme social, pour offrir une exploration détaillée de la nature et du développement de la relation entraîneur-athlète. Ce modèle distingue notamment trois dimensions des relations sociales : la dimension du lien (sympathie et antipathie) ; la dimension du pouvoir (autorité et responsabilité) ; et la dimension de la coopération (répartition des tâches). Jowett et al. (Jowett, 2007 ; Jowett et Cockerill, 2003 ; Jowett et Ntoumanis, 2004) ont développé un modèle où les émotions, les pensées et les comportements sont opérationnalisés en quatre catégories : la proximité (interdépendance affective ou émotionnelle) ; la co-orientation (degré d'accord entre l'entraîneur et l'athlète) ; la complémentarité (coopération et affiliation) ; et l'engagement (liens et connexions) (Jowett et Meek, 2000). Poczwardowski et al.(Poczwardowski et al., 2002 ; Poczwardowski et al., 2002) ont cherché à décrire le développement des relations entraîneur-athlète sur trois phases : la phase pré-relationnelle, la phase de transition/conclusion et la phase post-relationnelle. Ce modèle suggère que les entraîneurs et les athlètes peuvent s'influencer mutuellement, tant au niveau professionnel que personnel, à mesure que leur relation se développe au fil du temps.

Étant donné l'émergence relativement récente du virus SRAS-CoV-2, les mécanismes précis de sa transmission n'ont pas été étudiés de manière approfondie. Notre étude s'appuie sur ces observations précédentes pour se concentrer sur l'évolution des relations interpersonnelles entre les étudiants en musique et leurs professeurs et les athlètes et leurs entraîneurs.