La respiration dans la parole et le chant selon Tarneau

Utilisation de la respiration dans le chant

Pour porter un jugement sur la respiration du chanteur, il faut nécessairement tenir compte de la qualité de la phonation. Ceci est d’autant plus valable que, dans tout mode respiratoire, existe le coefficient individuel du chanteur. Il faut en effet se rendre compte si la mauvaise émission sonore tient au mode respiratoire ou non. Il est intéressant de connaître les conclusions de Rabotnoff qui, dans la clinique du docteur Ivanoff, de Moscou, s’est occupé d’enregistrer les mouvements des parois du ventre et de la poitrine pendant le chant, à l’aide du chimographe et de ceintures pneumographiques. De l’examen de 106 chanteurs, il donne les conclusions suivantes.

« Le caractère des mouvements de la poitrine et du ventre pendant le chant ne dépend pas du type de la respiration pendant la vie habituelle. « La force de la pression intra-thoracique durant ke chant, son uniformité et sa constance, proviennent de la musculature lisse des bronches. Les organes de la trachée et du larynx changent de position en concordance des mouvements de la poitrine et du ventre pendant le chant. La majorité des chanteurs emploient une trop haute pression dans la poitrine qui provient d’une pression extrême, autant des parois de la poitrine que de celles du ventre.

Ceci vient à l’appui des données constatées par tous les auteurs vraiment attachés à cette question, et montre que l’exagération des mouvements abdominaux ou thoraciques dessert le chant ou la parole, parce qu’il suffit d’une capacité expiratoire de 1000 à 1500 cm3, c’est-à-dire petite, et d’un temps expiratoire normal de 15 à 25 secondes pour réaliser la plus longue phrase musicale existante (18 secondes).

C’est donc une erreur de penser qu’il faut remplir sa poitrine ou gonfler son abdomen. « L’air en excès étouffe le chanteur » (Thooris). De même, Faure a écrit : « C’est très erreur de croire qu’il est indispensable de prendre de très longues respirations pour chanter ». Et il est regrettable de voir que de telles vérités restent ignorées.

Pas d’inspiration exagérée constante, sinon, dilatation chronique des alvéoles pulmonaires dont la contraction devient de plus en plus difficile. Pas d’expiration abdominale exagérée : les muscles, à force d’être distendus, risquent de ne plus avoir leur même puissance et, petit à petit, la durée du souffle en sera écourtée.

L’avenir respiratoire du chanteur est dans le bon fonctionnement de son élasticité pulmonaire, et nous dirons que :

Pour bien respirer, en vue de la phonation, il faut une inspiration rapide et une expiration mesurée, et nous ajouterons que ce temps expiratoire doit être réglée, souple, et conforme à l’effort sonore exigé, et que ceci résulte de la régulation par le sujet du mouvement de retour des parois thoraciques et abdominales.

Tous les auteurs ont constaté que la capacité pulmonaire était plus grande chez le chanteur, mais certains ont avancé que ce n’est peut-être pas parce qu’il chante, mais parce qu’il à une constitution plus robuste. Il semble cependant que l’exercice du chant prédispose, en raison de ce qu’il est avant tout un exercice musculaire, à l’augmentation de la capacité pulmonaire. Au spiromètre, une expiration forcée donne, chez la femme, 2 litres et demi à 3 litres, chez l’homme 3 litres à 4 litres et demi, ce qui est largement suffisant. Le chanteur n’a pas besoin d’un grand débit d’air, mais d’un débit régulier et mesuré.

Le chanteur professionnel utilise moins d’air dans la voix de tête ou de fausset que dans la voix de poitrine ; c’est souvent l’inverse chez l’élève de chant.

Dans le chant piano, caractérisé par une résistance faible des cordes vocales, la consommation d’air est en proportion de la pression sous-glottique ; par conséquent, elle est plus grande dans le chant forte. Le premier soin de tout professeur de chant sera d’apprendre à l’élève à respirer sans aucun effort physique. Quelques simples mouvements de gymnastique respiratoire convenablement dosés et ordonnées suffisent à créer un automatisme convenable en fonction des possibilités mêmes de l’élève ; il n’y a pas de trucs spéciaux pour bien respirer ; il n’y a que des principes généraux à appliquer concernant la sangle musculaire abdomino-thoracique, en vue de l’émission vocale : mouvements d’inspiration et d’expiration pratiquée en souplesse, sans aucune exagération de l’expansion thoracique ou abdominale. Rétraction lente des parois au temps expiratoire ; utilisation de la respiration nasale ou temps inspiratoire. Aucune crispation, aucun mouvement désordonné ; par de grimaces ni de gestes accessoires. Les exercices respiratoires qui sont souvent recommandés sans être accompagnés d’un travail phonique simultané sont complétement inutiles. Si l’on veut coordonner la phonation à une respiration convenable, une gymnastique respiratoire s’impose, mais adaptée à la phonation.

Il faut savoir que, pendant toute la période d’études, l’élève de chant a besoin de beaucoup plus d’air pour la voix de tête et qu’il utilise pas toujours correctement, au niveau de ses cordes vocales, la colonne aérienne. Il se produit ce qu’on appelle de l’air parasite, c’est-à-dire un courant d’air légèrement bruyant qui déforme le son pur. Alors, que chez le professionnel qui sait canaliser sa respiration, on ne constate aucun courant d’air perceptible, une oreille exercée distingue souvent chez l’élève, un bruit parasite, sous forme de vent, qui s’ajoute à la note émise. Celui-ci est dû à un manque d’équilibre entre la pression sous-glottique nécessaire au son exigé et la fermeture des cordes vocales ; c’est une inadaptation qui se corrige au fur et à mesure des études de chant. Il importe également de supprimer toute incoordination pneumo-phonique. Dès que l’expiration commence, la phonation doit avoir lieu. De cette façon, on utilise au mieux la colonne aérienne qui détermine la pression sous-glottique.

Bref, une fois que la respiration de l’élève est réglée en intensité, en régularité et en durée, il possède un automatisme respiratoire conforme au travail vocal. En effet, il faut, pour activer normalement la vibration des cordes :

- 1. Avoir assez d’air, sinon la vibration ne peut s’établir correctement ;
- 2. N’en avoir pas trop, ce qui « écrase le son » et augmente la raideur des cordes ;
- 3. Utiliser un débit régulier.

Ceci obtenu, le maître de chant doit laisser à l’élève le contrôle volontaire de sa respiration, car il ne faut jamais oublier que les mécanismes respiratoires sont avant tout individuels, et qu’ils ne peuvent être codifiés d’une façon absolue. Il n’existe pas de type respiratoire présentant un avantage particulier pour le chanteur.

En outre, le chanteur n’a pas à se préoccuper de la façon dont il respire ; s’il s’en inquiétait, ce serait très grave pour sa phonation. Il doit se créer un automatisme respiratoire réflexe, dont le comportement est avant tout fonction de la tâche musicale à exécuter. D’ailleurs, le type respiratoire reste toujours le même après des années chez le chanteur. Les difficultés de la respiration ne viennent pas seulement du chant, et sont souvent dues à la musique. En effet, les pauses respiratoires ne correspondent pas toujours, dans la musique moderne, aux pauses musicales ; en ce cas, le débit expiratoire est forcément haché, il se produit une prolongation ou un raccourcissement du rythme respiratoire, qui exige une résistance et un entraînement particuliers.

Hugo Stern a montré que, pour la partition du ténor dans le Chevalier à la Rose, de Strass, les mauvaises conditions respiratoires fatiguent le chanteur et qu’il y a lieu d’intercaler de brèves pauses respiratoires, qui permettent de chanter beaucoup plus facilement.

Il faut souligner la difficulté que peut éprouver le chanteur dans les opéras de Wagner, due surtout à l’importance de l’acte respiratoire. Il est anormal de voir, que pour l’exécution de ces œuvres, l’orchestre n’est pas toujours situé dans une fosse, comme du temps de Wagner, de même qu’il est déplorable de demander à un artiste de chanter au milieu de l’orchestre, comme cela est courant dans les salles de concert : en effet, nous savons que, dans le bruit, la voix s’élève inconsciemment ; ceci est un réflexe absolument indépendant de la volonté humaine. Donc chaque fois que les sonorités d’orchestre sont trop violentes, c’est sans s’en rendre compte que le chanteur augmente son intensité vocale et s’oblige à un effort respiratoire inconscient et inaccoutumé. Il faut donc mettre en valeur ce fait important que les conditions d’orchestration peuvent être une des causes de la fatigue respiratoire du chanteur.

Il est remarquable de voir, avec Biaggi, que Verdi se préoccupait particulièrement du travail exigé par le chant. Les sons hauts ne figurent pas au début de la phrase musicale et il en est de même dans la majorité des opéra italiens et aussi dans beaucoup d’opéra comiques de Massenet. Dans ces conditions l’énergie respiratoire exigée par les phrases musicales est essentiellement progressive et, comme disent les artistes ; la voix a le temps de s’échauffer, la respiration de s’assouplir et d’atteindre sa perfection.

En définitive, l’utilisation de la respiration dans le chant et la parole doit obéir aux grands principes d’ordre physiologique, que nous avons énoncés, sans être soumise à des règles absolues et intransigeantes, parce que le coefficient individuel de chacun et l’œuvre musicale sont des conditions d’exécution dont la variabilité est infinie.

Extraits Du traité pratique de Phonologie et de phoniatre, J. Tarneaud, Librairie Maloine (1941)

Imprimer

La boutique

Revues

Revue Médecine des arts N°87 Spécial Voix et Vent
Revue Médecine des arts N°87 Spécial voix et vent
17,00 € Accéder à la boutique

Quiz

Somnolence, testez votre propension à vous endormir dans la journée ou en soirée

Accéder à notre quiz Accéder à tous nos quiz

La boutique

Revues

Santé du chanteur N°84
Revue Médecine des arts N°84 Spécial voix et vent
17,00 € Accéder à la boutique

Association

Faire un don
Adhérer

Quiz

Problème de voix chantée ?

Accéder à notre quiz Accéder à tous nos quiz

La boutique

Livres

Physiologie du chant
Physiologie et art du chant
25,00 € Accéder à la boutique

La boutique

Revues

Revue Médecine des arts N°63
Revue Médecine des arts N°63
14,00 € Accéder à la boutique

La boutique

Revues

Revue Médecine des arts N°57
Revue Médecine des arts N°57
14,00 € Accéder à la boutique

La boutique

Revues

Revue Médecine des arts N°52
Revue Médecine des arts N°52
14,00 € Accéder à la boutique

La boutique

Revues

Revue Médecine des arts N°45
Revue Médecine des arts N°45
14,00 € Accéder à la boutique

La boutique

Revues

Revue Médecine des arts N°31
Revue Médecine des arts N°31
14,00 € Accéder à la boutique