Expression

L'expression au théâtre

Du latin expression

Représentation vive. L’action et la récitation composent l’essence de l’expression. L’expression doit être exacte et précise. Elle naît du sentiment … Il est mille circonstances où l’expression seule est plus que le mot qu’on prononce.

Les paroles : vous m’aimez ! peuvent peindre deux sentiments contraires ; l’expression (en les prononçant) peut dire : vous me ravissez  comme elle peut dire : comme vous m’indignez ! Ce dernier exemple se trouve dans Zaïre, acte IV, scène V.

Il faut savoir parler avant que de parler pour exprimer justement. La facilité d’expression produit l’harmonie, cette musique du style.

Un principe général, en fait d’expression, et qu’il faut suivre au théâtre comme dans tous les autres arts, c’est de ne pas blesser les organes, à force de vouloir les ébranler. Quand la voix n’est pas juste, il n’y a jamais de noblesse dans l’expression. Comme l’ivresse physique attaque tout le système nerveux, depuis le sommet de la tête jusqu’au bout des pieds, il en doit être de même de l’ivresse morale des affections ; car l’homme n’a qu’une âme qui modifie son corps. Ainsi, quand une affection simple dirige toutes les forces de l’âme vers un seul point, et que les idées et les sentiments sont parfaitement à l’unisson, alors, tout le corps doit en partager l’expression, et le mouvement de chaque membre doit y coopérer. – On ne doit jamais outrer l’expression ; dès que le spectateur s’en aperçoit, il n’y a plus d’effet ; l’outré ne vient jamais de la trop grande force du sentiment, mais bien des accessoires qui le gâtent, nous voulons dire, la mécanique du geste et de la voix. Ce sont l’apprêt et la pesanteur qui font les comédiens forcés. Plus un mouvement est vif, moins il faut y rester ; par là on imite a nature humaine qui n’a pas la force de soutenir longtemps les situations qui la contraignent. L’art de bien dire est le premier pas vers le théâtre ; l’art d’exprimer ce qui doit l’être est le point de perfection. Les paroles en disent moins que l’accent, l’accent moins que la physionomie, et l’inexprimable est précisément ce qu’un acteur sublime nous fait connaître. Le comédien qui n’a pas d’expression n’est rien, et le danseur dénué de ce talent, n’est qu’un sauteur.

Les passions se manifestent par un grand nombre de petites marques, dont aucune n’est distinctement aperçue, mais qui réunies, forment l’expression vraie de la nature. On est généralement persuadé de l’accord qui doit exister entre les paroles, le geste et les mouvements de la physionomie ; mais il importe autant d’exercer, de cultiver les organes de la physionomie, les moyens d’expression, que les organes de la voix et de la prononciation. C’est en cela que l’étude de l’anatomie et des mouvements que font naître les passions chez les hommes, est nécessaire au comédien. Il ne suffit pas d’avoir une sensibilité facile à émouvoir, et d’être profondément dans le sentiment et sous l’enthousiasme de son rôle pour ajouter le plus grand effet, le langage physionomique, à la diction. Larive dit que le jeu et l’expression physionomique sont, dans l’acteur, l’effet naturel et facile de son émotion intérieure. Il a raison en partie, mais le comédien rendra encore mieux ce qu’il sentira bien s’il a exercé beaucoup ses moyens d’expression ; d’ailleurs n’est-il pas obligé d’exercer d’abord sa voix ? Sans cela le premier venu sentant vivement, serait comédien ; d’après ce système il n’y aurait plus d’étude à faire.

S’il faut que les passions se peignent avec vivacité sur le visage du comédien, il ne faut pas qu’elles le défigurent ; il ne doit pas représenter la colère avec des convulsions, et l'affliction hideuse au lieu de la rendre intéressante.

Il faut en général mieux exprimer le sens que les paroles, et les sentiments avec lesquels nous considérons les objets qui occupent notre pensée, plutôt que ces objets mêmes ; cependant, dans le comique et le burlesque, le jeu pittoresque peut être quelquefois permis. C’est dans le mouvement qui existe sans cesse dans tous les êtres, et qui est le caractère le plus noble des ouvrages de la nature, que l’artiste de génie doit puiser les beautés de l’expression. Il est à remarquer que la seule force de la représentation d’un objet peut en produire l’imitation dans le corps de celui dont l’esprit en est fortement occupé ; on peut faire cette observation dans une salle où il n’y a toujours quelques spectateurs qui, bien attentifs, suivent les mouvements et les expressions physionomiques des acteurs. Cette remarque sur ce que le geste étranger a de communicatif, est très importante pour le comédien, parce qu’il en doit tirer un grand avantage pour rendre sur la scène son jeu muet plus animé. Une des conditions sous lesquelles il peut se permettre l’imitation des gestes du personnage avec lequel il est en scène est celle-ci : l’attention qu’il lui prête, ou mieux encore, celle qu’il donne à sa réplique, et qui doit être pour lui du plus grand intérêt ; aucun sentiment personnel et contraire à la situation ; ainsi qu’à l’imitation, ne doit croiser cette attention ; car, lorsqu’il faut qu’il commence à se fâcher au moment où son interlocuteur sourit, il ne peut sans doute pas imiter ce sourire.

Expression, imitation des affections physiques ou corporelles
Les expressions de ce genre sont celles que le comédien emploie pour imiter différents états physiques, tels que l’ivresse, l’éternuement, le sommeil, la douleur, l’angoisse et la mort. L’acteur doit observer la nature même dans ses effets, et ne jamais blesser les convenances par une imitation qui sente la charge, ou qui soit trop servile, en représentant une nature animale ou corporelle dont il faut toujours adoucir et ennoblir le caractère.

Expression particulière des parties du visage et de la face (œil, sourcil, front, bouche, nez, cheveux, visage, face.)

Un des moyens de se former l’expression de la figure, est de répéter ses rôles en ne faisant aucun geste ; alors l’expression se manifeste involontairement par la force du sentiment qui détermine le jeu des muscles et des traits. En physiologie, les mots face et visage, ne sont pas synonymes : la face est cette grande division de la tête placée au-dessous et au-devant du crâne dans l’homme et qu’occupent les sens de la vue, de l’ouïe, du goût et de l’odorat ; une partie des organes de la mastication et ceux qui servent à l’expression de la physionomie ; l’implantation des cheveux, le bord inférieur et l’angle de la mâchoire marquent les limites de la face, dont la figure se rapproche de la forme élégante d’un ovale insensiblement comprimé et restreint à son extrémité inférieure. Le visage ne se dit que de la face considérée relativement à l’exercice des sens de la vue et au langage physionomique. La partie de la face où paraît principalement le visage, s’étend de la lèvre supérieure au sommet du front. La parole du visage consiste dans les muscles dont il est fourni, et dans le sang qui l’anime. Lorsque le cœur est abattu, toutes les parties du visage doivent l’être.

Œil

La fonction de l’œil, considéré comme organe de vision et d’expression, est ce qui frappe le plus dans la partie de la face qui constitue essentiellement le visage. Il faut généralement ménager les regards et ne point les prodiguer à chaque parole. Les yeux perdent leur expression par un mouvement continuel. Les regards fixés de côté font beaucoup d’effet, surtout lorsque dans ce moment on ne fait aucun geste. Le plus grand acteur ne serait rien sans le langage des yeux ; tout languit dès que les regards ne sont points animés. L’œil est l’âme du discours. Ecoutez un grand acteur sans le regarder, il ne vous fera qu’une légère impression ; retournez-vous, sa pantomime vous effraie. Le tonnerre de la parole d’un orateur ne produit qu’un bruit inutile, s’il n’est accompagné de l’éclair de ses regards, et la compassion est plus l’ouvrage des larmes que l’on voit couler, que du récit de l’infortune qui les cause. Il faut, en règle générale, regarder toujours celui à qui l’on parle, cela donne de la vérité au dialogue. Il n’existe aucune passion qui ne soit indiquée par un mouvement particulier des yeux. Pour agrandir l’œil, baissez la tête. Un coup d’œil lancé à propos dit plus vite et mieux qu’un long discours ; quand les yeux sont abusés, les oreilles le sont aussi plus aisément. Si l’acteur est profond dans son art, il fera que l’expression des yeux précède celle de la parole ; il préviendra alors si bien le spectateur de ce qu’il va lui dire, qu’il le fera entre tout d’un coup dans ses dispositions, qui, par la suite du discours, lui feront recevoir plus aisément les impressions que l’on demande. Ordinairement, tant que l’acteur ne dit que des choses indifférentes ou de peu d’importance, il doit laisser ses yeux presqu’à demi-fermés, et sans expression marquée ; alors ils produisent plus d’effet dans les moments importants.

Sourcil

Il y a deux mouvements dans les sourcils qui expriment tous les mouvements des passions. Celui qui s’élève vers le cerveau exprime les passions les plus farouches et les plus cruelles. Quand le sourcil s’élève par son milieu, cette élévation exprime des mouvements agréables ; dans ce cas, la bouche s’élève par les côtés, et dans la tristesse elle s’élève par le milieu. Lorsque le sourcil s’abaisse par le milieu, ce mouvement marque une douleur corporelle, alors la bouche s’abaisse par les côtés.

Front

Le haut du visage doit jouer sans cesse ; la bouche et le menton ne doivent ordinairement se mouvoir que pour articuler, excepté dans les affections bien vives ; autrement l’on fait des grimaces. Le mouvement du front aide beaucoup celui des yeux. Le jeu des muscles du front produit un grand effet.

Cheveux

L’arrangement des cheveux, la manière de les distribuer sur le front, influe beaucoup sur la physionomie de l’acteur.

Bouche, lèvres

La bouche est la partie de tout le visage qui marque le plus particulièrement les mouvements du chœur. Elle est le siège principal de la dissimulation. L’articulation nette, dépend du travail de différentes parties de la bouche, surtout dans la prononciation des consonnes. La voix, quelque belle qu’elle soit, ne séduira jamais en sortant d’une bouche lente et paresseuse. En général une bouche enfoncée ne peut jamais rendre avec éloquence les caractères de la douleur. La manière de contracter ou de dilater les lèvres, influe beaucoup sur l’expression de la physionomie. Les muscles de la lèvre inférieure, surtout les muscles triangulaires, produisent le plus grand effet dans les passions oppressives et contractées. – Pour parler purement, les sons doivent sortir de la voûte du palais, et le travail des lèvres doit les modifier, les épurer et les perfectionner. La plus belle partie du talent de mademoiselle Mars était sa prononciation nette et perlée ; elle la devait naturellement à la conformation de sa bouche en général, et surtout à celle de ses lèvres, en particulier, qui étaient extrêmement mobiles et déliées. A force d’étude et de travail, on pourrait acquérir jusqu’à certain point ces qualités si précieuses dans l’art du comédien, celles d’une articulation parfaite.

Nez

Les acteurs chargés des premiers emplois dans le haut comique, finissent par acquérir une mobilité remarquable dans l’appareil musculaire des cils, du nez et de la lèvre supérieure. Tel était surtout Fleury, ce qui le rendait si supérieur, dans l’expression des caractères d’hommes à bonnes fortunes, de roués, de séducteurs, et surtout dans l’ironie et le persiflage.

Joues

La partie des joues qui est positivement placée sous les yeux, contribue en s’élevant et en s’abaissant à l’expression ; mais il faut être modéré dans le mouvement de cette partie qui devient aisément forcée.

Expression particulière des parties du corps, (tête, col, bras, mains, doigts, pieds)

Chaque partie du corps a son expression particulière ; de là dans l’ensemble, cette expression étonnante, lorsque l’acteur est bien pénétré ; et c’est de la réunion de toutes ces expressions particulières, que naît cet ensemble parfait, le comble de l’illusion théâtrale.

Tête

La tête et ses mouvements peuvent produire de très grands effets sans le secours du bras. La tête trop relevée marque l’arrogance ; trop baissée ou négligemment penchée, c’est ou langueur ou timidité, ou dévotion affectée ; la modestie la met dans sa vraie situation.

Changez la position du corps, vous changez la tête. On peut soumettre à des règles le mouvement de la tête. A l’exception des actions de refus et de dédain, la tête doit être toujours tournée du côté du geste : rien de si gauche que ces actrices qui, pour paraître ingénues, penchent la tête à droite ou à gauche en parlant, la vertu, la vraie pudeur laisse pencher la tête perpendiculaire, autrement c’est de l’affectation.

Col

Le col indique la manière de porter la tête et d’envisager les événements de la vie. Ici l’on voit une attitude noble, libre et fière : là cette résignation d’une victime sans énergie et prête à se laisser immoler.

Bras

On ne parvient à la grâce des bras qu’avec beaucoup d’études, et quelques bonnes que puissent être nos dispositions naturelles, le point de perfection de l’art. Il faut toujours faire sentir dans les bras, les plis du coude et du poignet. Point de noblesse dans les bras croisés quand ils sont bas.

Mains, doigts, poings, poignets

Le jeu des mains est modifié de la même manière que la démarche dans les différentes passions de l’âme. Du moment qu’une difficulté ou un obstacle se présente, le jeu des mains s’arrête entièrement. Tout l’extérieur aide à la parole ; la main quelquefois supplée. La main et les doigts sont très utiles à l’orateur pour dépeindre et caractériser certains faits. Le célèbre Fabius disait que sans le geste des mains, l’action est faible et sans âme. Toutes les autres parties du corps aident l’orateur, mais les mains paraissent avoir un second langage. La mobilité de la main est très expressive : c’est de toutes les parties de notre corps la plus riche en articulations et la plus agissante. Plus de 20 jointures et emboîtures concourent à la multiplicité de ses mouvements et les entretiennent. Dans le geste ordinaire, les doigts ne doivent pas être trop écartés. Les doigts ouverts annoncent l’étonnement, l’admiration, la surprise ; il faut y joindre aussi l’élévation de la poitrine qui se dilate pour recevoir l’idée qui la frappe. Un défaut, chez un acteur, c’est de donner au pouce une forme triangulaire, ce qui est disgracieux et détruit l’expression qui pourrait être produite du reste par le mouvement de la main. On doit éviter d’avoir le poing entièrement fermé, et surtout de le présenter directement à l’acteur auquel on parle, dans les instants même de la plus grande fureur ; ce geste, par lui-même, est ignoble ; devant une femme impolie, et vis-à-vis d’un homme il est insultant. Il ne faut point agiter le poignet, même dans les plus grands mouvements ; ces saccades détruisent la noblesse et la grâce. Le poignet tenu un peu hors du bras, caractérise bien l’énergie.

Pieds

La pose des pieds entre dans l’action au théâtre ; et si l’acteur tragique ne doit pas se poser comme un danseur, il ne doit pas non plus, en outrant l’expression des statues antiques, placer ses pieds en dedans ; car, ainsi que nous l’avons dit déjà, en voulant outrer l’expression, on devient ridicule.

Sur l’expression en général

Un grand nombre d’acteurs n’apportent au théâtre que le tiers ou la moitié de l’expression qu’ils mettent à leur rôle dans leur cabinet. Les causes en sont la lumière, le changement de lieu, la grandeur de la salle, et surtout la réplique que l’acteur n’attend point comme il voulait l’entendre, comme il se l’était donnée lui-même mentalement. Ceci fait désirer qu’il y ait une entente parfaite entre les comédiens lorsqu’ils répètent une pièce, et qu’ils concourent tous de leur mieux à l’expression générale.

Dictionnaire de l’art dramatique A l’usage des artistes et des gens du monde Ch. De Bussy Paris, Achille Faure, 1866


 

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