Pleyel Ignace

Pleyel Ignace, chronique de Prod'Homme paru en 1932

Pleyel Ignace« La renommée ne s’attache guère qu’au mérite réel ; mais l’engouement dévore ceux qu’il semble caresser », dit Fétis en parlant de ce musicien. « Quel autre a joui d’une réputation plus universelle, d’une domination plus absolue dans le domaine de la musique instrumentale ? Pendant plus de vingt ans, il n’est pas d’amateur ni ne musicien qui ne se soit délecté des inspirations de son génie ; point de lieu si écarté où ses compositions n’aient été connues ; point de marchand de musique dont il n’ait fait la fortune…
Mais il n’y a rien dont l’usage immodéré n’enfante le dégoût : Pleyel en fit la triste expérience…
La musique est l’art qui se démode le plus vite, lorsqu’elle n’est pas animée par l’étincelle du génie. Au début du siècle dernier, le musicien qui représentait presque seul, la musique symphonique et la musique de chambre, c’était Haydn, le vieil Haydn, bien oublié, mais non absolument délaissé de nos jours. A côté de lui son élève Pleyel était exécuté dans tous les concerts, étudié par tous les amateurs de musique de chambre. Dans sa lointaine petite ville de la Côte-Saint-André, le jeune Berlioz n’entendait que de la musique de chambre de Haydn et de Pleyel, et il s’exerçait sur sa flûte, à les accompagner. Ce seul exemple suffit à montrer la popularité, la diffusion de l’œuvre d’Ignace Pleyel.
Qu’était cet Ignace Pleyel, dont le nom germanique signifie étymologiquement « battoir de blanchisseuse » (Bleuet, Plewel, etc.) ? Né aux environs de Vienne, à Rupersthal, en 1757, un an après Mozart, il était – comme Schubert – fils d’un maître d’école, qui eut de sa première femme vingt-quatre enfants, et qui, s’étant remarié, en eut encore quatorze et mourut à quatre-vingt-dix-neuf ans ! Ignace était le vingt-quatrième et dernier du premier lit.
Il apprit la musique avec son alphabet, étudia le piano à Vienne, avec Wanhall, et, remarqué par un grand amateur viennois, le comte d’Erdoedy, fut confié par lui à Joseph Haydn, chez qui il resta de 1772 à 1777. Il fit ensuite deux voyages en Italie. A son retour, François-Xavier Richter, organiste et compositeur d’origine morave, maître de musique de la cathédrale de Strasbourg depuis 1747 et âgé de soixante-quatorze ans, lui fit proposer sa survivance. Pleyel accepta. Il vécut neuf à dix ans aux bords de l’Ill, succéda à Richter en 1784 et se maria en 1787. Le 18 décembre 1788 naissait le premier de ses six enfants, Camille, qui fut un excellent pianiste et devait donner l’extension que l’on sait à la manufacture de pianos fondée par son père en 1807.
Les vingt années qui s’écoulent jusqu’en 1807 – vingt années lourdes d’histoire – sont les plus fécondes dans la carrière d’Ignace Pleyel, compositeur. Dès 1784, Mozart écrivant de Vienne à son père, lui signale ses quatuors : « Si vous ne les connaissez pas, dit-il, tâchez de vous les procurer, cela en vaut la peine. Ils sont bien écrits et très agréables. Vous y reconnaîtrez tout de suite son maître. Bonne et heureuse chose pour la musique si Pleyel en son temps peut remplacer Haydn. »
Malheureusement le souhait de Mozart ne se réalisé pas. Pleyel compositeur ne fut le rival de Haydn que pour ses contemporains. On publiait ses quatuors arrangés pour piano et cordes, à Paris, dès 1786 ; l’année suivante, on applaudissait au concert spirituel ses symphonies, qu’Imbault publiait, tandis que d’autres étaient éditées à Mannheim. A l’époque révolutionnaire, Pleyel, devenu citoyen français, fit chanter à Strasbourg, le 25 septembre, un Hymne à la Liberté et, à la fin de la même année, engagé à Londres par les Professional Concerts, comme chez d’orchestre, il se trouva, en concurrence avec son maître Haydn, engagé par Salomon, (l’ancien voisin de Beethoven à Bonn), qui dirigeait l’entreprise rivale. Mais le bon Haydn, loin d’en vouloir à son ancien élève, s’empressa d’accepter l’invitation que lui adressa Pleyel et, le lendemain de son arrivée à Londres, ils passèrent ensemble la soirée du 24 décembre. Pleyel commença ses concerts le 13 février, et Haydn alla l’applaudir, écrit-il à un ami viennois, et nous retournerons tous deux, contents, chacun chez nous. »
Revenu à Strasbourg, ou plutôt à Dorlisheim, Pleylel suspect par son origine autrichienne, dénoncé sept fois comme aristocrate, dut donner la preuve non équivoque de civisme et, pour l’anniversaire du 10 août, il composa en sept jours et sept nuits, une œuvre de circonstance : le Tocsin allégorique, pour l’exécution de laquelle on avait réquisitionné toutes les cloches de Strasbourg. Pleyel en choisit sept, donnant les notes de la gamme, et dont l’effet, dit un contemporain, était majestueux et terrible.
Malgré cette preuve de civisme, Ignace, avec sa famille ne se sentait pas très en sûreté en Alsace et il se souciait peu de faire connaissance avec l’échafaud, comme cela arriva, en 1794, à son confrère Edelman. Il vint à Paris en l’an III (1795) « dans l’intention, dit-il dans un mémoire de 1804, d’y fixer son domicile, et d’y monter un magasin de musique, tant comme compositeur que comme éditeur ». Il acquit de Dussek, à Londres, des œuvres de ce compositeur-éditeur, et l’œuvre 74 des quatuors de Haydn, dont il publia en outre une jolie édition de petit format, très recherchée aujourd’hui.
Considéré comme un des compositeurs les plus en vue, quoique de second ordre, Pleyel fondait avec beau-frère et associé Schaeffer, son magasin, situé au n°728 de la rue Neuve-des-Petits-Champs (35 actuel), et il joignait bientôt un atelier de gravure. Il eut, tant comme auteur à succès que comme éditeur, à se débattre contre les contre-facteurs qui malgré la nouvelle législation protégeant la propriété intellectuelle et artistique, exerçaient comme ci-devant leur peu honorable mais lucrative industrie. Editeur de Haydn, de Boccherini, de Dalayrac, et de cent autres, il publia le premier à Paris plusieurs œuvres de Beethoven , et ce fut lui qui se chargea, en 1800, d’aller demander à Haydn sa partition de la Création du monde, qui fut exécutée à l’Opéra le 24 décembre. On sait que c’est en se rendant à cette audition que Bonaparte essuya l’explosion de la « machine infernale », au moment où il sortait des Tuileries. Mais l’infortuné Pleyel, qui était sans doute indésirable dans son ancienne patrie, ne put obtenir, malgré les démarches de Haydn et de son éditeur Artaria, de pénétrer en Autriche, et ce fut Steibelt qui rapporta la parition. Ignace Pleyel ne revit Vienne que cinq ans plus tard, et c’est alors qu’il fit, avec son fils Camille, la connaissance de Beethoven.
En 1807, il fondait sa manufacture de pianos, et quittait le n°13 de la rue des Petits-Champs, en face de la Trésorerie (Bibliothèque Nationale), pour le boulevard Bonne-Nouvelle. Il avait le titre de « fabricant de forte-piano de S.M. le roi de Westphalie ». Plus tard Pleyel, qui, jusqu’en 1828, conserva sa maison d’édition, se transporta boulevard Montmartre. Il se retira vers ce temps-là à la campagne, à Samoreau, près de Melun, laissant à son fils Camille la direction de sa maison et de ses ateliers, 9, rue des Récollets. Le 1er janvier 1830, 9, rue Cadet, étaient inaugurés par un concert auquel participèrent Kalkbrenner, le flûtiste Tulou, Mme Damoreau, Adolphe Nourrit, etc., les « salons de MM. Pleyel », qui se transportèrent bientôt rue Rochechouart, 20.
 
Pleyel Ignace, décèsLa révolution de 1830 affecta profondément le vieux Pleyel, et il vécut désormais à la campagne. Mais, contrairement à ce que laisse croire sa biographie par Fétis, il était à Paris, où sans doute il revenait passer habituellement l’hiver, lorsqu’il décéda, le 14 novembre 1831, à dix heures du matin, rue des Récollets, 9. Son acte de décès, conservé aux Archives de la Seine, constate le fait et le dit « fabricant de pianos, né à Ruperthal (Autriche), époux de Gabrielle Lefebvre, âgée de soixante-cinq ans, demeurant comme dessus ».
Pleyel disparaissait, à l’âge de soixante-quinze ans, à l’aube d’une époque nouvelle, déjà oublieuse du brillant élève de Haydn qui avait été, dans l’esprit de ses contemporains, plus d’une fois considérée comme son égal. Une autre gloire était promise à son nom, qui n’évoque plus guère, de nos jours, le compositeur d’innombrables quatuors, trios et symphonies, connus de toute l’Europe musicale. A côté du petit maître viennois, un autre Viennois, mais d’adoption, le rhénan Beethoven, retenait singulièrement l’attention du public dilettante.
J.-G Prod’Homme
article paru sur Le Ménestrel, 1932

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