L’aspect relationnel dans l’enseignement du piano. Chronique d’un professeur de piano. N°14

Hoppenot, une pédagogie au service du musicien

Dans son livre, Le violon intérieur, Dominique Hoppenot se place plus d’un point de vue d’instrumentiste mais rejoint les idées pré-citées. Elle dit : « La démarche instrumentale est un cheminement intérieur […]. La recherche requiert l’échange, elle requiert un enseignement dans lequel le rapport d’autorité est remplacé par un esprit de recherche et de collaboration entre le maître et l’élève. […] Il faut prendre l’élève tel qu’il est, là où il est […]. Il faut comprendre l’élève, découvrir qui il est, quels sont ses goûts, ses voies d’approche, ce qui est bon pour lui et ce qui ne l’est pas : ainsi on pourra lui fournir les moyens adaptés à sa recherche [….]. En favorisant l’échange, le maître pourra amener l’élève trop introverti à verbaliser ses doutes, ses intuitions, ses illuminations […]. Le maître doit apporter à son élève la certitude d’une absence de danger et ranimer l’espoir au moment où celui-ci faiblit ». Il faudrait afficher ceci dans tous les conservatoires et écoles de musique ! Voici pour les grandes lignes philosophiques. Concernant l’application pratique, voilà quelques exemples.

En ce qui concerne les annotations sur la partition, elle propose que l’élève écrive lui-même ses doigtés ou remarques. Quand le professeur gribouille, elle considère cela comme « une marque concrète du manque de respect moral et matériel de l’élève ». Quand l’élève écrit lui-même, c’est une démarche personnelle, sinon le maître devient encore une fois « un supérieur qui a tous les droits et une compétence indiscutables ». Je suis tout à fait d’accord et laisse généralement les élèves annoter eux-même les partitions. C’est en plus moins fatigant pour moi, la position à prendre pour écrire étant anti-physiologique quand on est à côté de l’élève.

Elle souligne un point intéressant qu’elle nomme « la tentation de trop en dire » et écrit : « Il ne faut choisir que les informations qui peuvent aider les élèves […]. Il est parfois nécessaire de gommer des erreurs, de ne pas faire de remarque à tout propos (surtout si la résistance psychologique de l’élève est faible). Si on intervient trop, on risque de l’étouffer, il faut ne dire que ce qui peut l’aider, avoir des paroles constructives qui l’encouragent, lui restituent la bonne image de soi qu’il n’a parfois jamais eue ».
C’est en effet fondamental, ce n’est pas la peine d’insister sur certains problèmes que l’on sait insolubles pour l’élève, cela mûrira peut-être plus tard. C’est, je pense, pour certains professeurs, une façon d’affirmer leur supériorité et de se rassurer. Parfois, je choisis de ne pas relever l’erreur ou je la signale seulement en précisant qu’on ne la corrigera pas car ce n’est pas le moment ou ce n’est pas déterminant. Mon professeur de conservatoire appelait cela « la pédagogie du positif ».
Enfin, Dominique Hoppenot parle beaucoup du corps en souhaitant que « les professeurs s’appuient sur des définitions claires et des principes approuvés en accord avec la logique du corps ». Ce qui, en 1982, date de publication de son livre, n’était pas du tout une priorité.
Elle aborde aussi le travail sur le ressenti : « faire naître la bonne sensation pour que l’élève puisse travailler le mouvement utilement chez lui, le perfectionner, se l’approprier […], ceci en donnant des images individualisées (des comparaisons avec un autre geste) ». Elle ajoute : « La pédagogie doit être un échange, un travail libre et confiant où toutes les barrières sont supprimées, pour explorer jusqu’à l’extrême limite toutes les possibilités de l’échange […]. Il ne s’agit plus de l’instruction d’un élève mais de la découverte d’une autre personne dans laquelle une naissance nouvelle et partagée devient possible ».
Enfin, par rapport à l’autonomie, elle dit : « L’élève doit devenir tôt ou tard son propre maître, il doit apprendre à travailler seul afin de découvrir ses propres méthodes et affirmer ses moyens d’expression ».

J.-C. Pennetier (revue Piano n°12), renchérit : « Les élèves ne doivent pas toujours être en quête de conseils, de soutien, d’assistance. Il faut apprendre à s’appuyer sur sa propre énergie et à gérer soi-même l’économie de sa progression, c’est au professeur d’en donner les clés, non de rester trop longtemps le tuteur omniscient, omniprésent ».
Certes, c’est sûrement un idéal à atteindre mais j’y ajouterai quelques nuances. Je ne suis pas sûre que ce soit le souhait de tous les élèves. C’est comme pour les doigtés que certains refusent de chercher seuls (bien qu’ils en soient capables). Je pense que le cours de piano fait partie à long terme de la vie de certains, c’est leur activité, leur moment d’échange, d’évasion dans la semaine.
Comme on peut pratiquer du sport en groupe toute sa vie, on peut avoir envie de cours permanents. C’est une façon de partager la musique car tout le monde ne peut pas jouer en groupe (impossibilité matérielle, temps, niveau trop limité, manque d’envie). C’est plus compliqué de jouer en groupe ou en concert que de chanter dans une chorale. Cette démarche est acceptable (j’en reparlerai ultérieurement) et c’est, je pense, d’autant plus vrai, quand le niveau ou les moyens sont limités. Ce n’est pas évident pour le professeur, quand on a des élèves adultes pendant quinze ou vingt ans : les progrès sont faibles, il faut sans cesse renouveler le répertoire.

A l’inverse, il est aussi difficile et frustrant de suivre les élèves peu de temps comme c’est souvent le cas à la fac. L’inscription est normalement pour l’année universitaire mais c’est parfois seulement un semestre (en cas de stage ou pour les étrangers). Difficile en peu de temps d’établir le contact, de trouver le fonctionnement de chacun. La notion d’engagement est parfois malmenée, on me demande de plus en plus souvent des cours d’essai. Je refuse toujours, je résiste ! J’adapte mon enseignement à l’évolution (cf. partie III). C’est indispensable mais je tiens à garder une cohérence, je n’ai rien à vendre et la musique reste un apprentissage. Le respect et l’échange doivent être réciproques. J’ai peu de problèmes avec les adultes sur ce sujet, la pratique instrumentale reste leur projet, leur libre choix, contrairement aux enfants dans certains cas. Cependant, beaucoup sont quand même surpris par la difficulté de l’apprentissage et la rigueur nécessaire, surtout les adultes après trente ans, les autres étant encore dans une dynamique d’étude.

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