Hamlet (Opéra)
Premier acte
Opéra en cinq actes, paroles de MM. Michel Carré et Jules Barbier, d’après la tragédie de Shakespeare, musique de M. Ambroise Thomas ; représenté à l’Opéra le 9 mars 1868. Cet ouvrage est le plus remarquable qui soit sorti de l’école française et qui ait été écrit pour notre première scène musicale depuis les grandes tragédies lyriques de M. Halévy. Nous nous servons à dessein de cette dénomination de tragédie lyrique, appliquée aux œuvres de l’auteur de la Juive, de Charles VI, de la Reine de Chypre, afin d’établir entre les genres une différence dont on doit tenir compte. C’est un drame romantique que M. Ambroise Thomas avait à traiter, et, de tous les drames, celui qui paraissait se prêter le moins aux exigences d’un opéra, à cause de la portée philosophique qu’à tort ou à raison l’opinion publique lui attribue. Il a fallu nécessairement que les auteurs de la pièce française missent de côté un grand nombre d’épisodes, les longs monologues, les dialogues grossiers, les scènes rebutantes qu’on trouve dans l’auteur anglais, afin le spectateur se trouvât en présence d’une action forte, simple et que les situations fussent compatibles avec la musique. Je sais bien que, depuis la conception de certaines théories nouvelles, on a attribué à l’art des sons une virtualité universelle, je veux dire la puissance de tout exprimer, même les plus subtils problèmes psychologiques ; mais il ne suffit pas d’émettre des théories, il faut, pour qu’elles ne restent pas à l’état de logomachie stérile, qu’elles aident à l’éclosion de belles œuvres qui s’imposent sans violence et par leur mérite intrinsèque à une admiration publique, durable et croissante. Or, il n’est sorti jusqu’à présent de ces larves si vantées que d’assez vilains papillons de nuit au vol lourd et à l’aspect peu sympathique.
J’approuve donc entièrement MM. Michel Carré et Jules Barbier d’avoir refondu le drame de Shakespeare à l’usage de l’œuvre lyrique. Je regrette même qu’ils aient cru devoir conserver le to be or not to be célèbre monologue d’Hamlet, et la scène des fossoyeurs, qui sera toujours insupportable aux yeux des gens de goût. Je leur reproche aussi de n’avoir pas muni Polonius, le complice du crime, dont le châtiment est le sujet de l’opéra entier.
A part ces réserves, nous ne faisons aucune difficulté de louer le mérite littéraire de la pièce, la beauté des vers et le choix heureux des expressions dans les passages caractéristiques. En somme, la division de l’ouvrage en cinq actes est ainsi motivée :
Premier acte : Couronnement de la reine Gertrude, veuve du feu roi, et devenue la femme de Claudius, roi de Danemark, son beau-frère ; tristesse d’Hamlet ; scène et duo d’amour entre Ophélie et Hamlet ; départ de Laerte, frère d’Ophélie ; scène de l’esplanade du château d’Elseneur ; apparition de l’ombre du feu roi ; révélation du crime ; Hamlet jure de venger son père.