Hamlet (Opéra)

Quatrième acte

Delacroix, Hamlet et sa mère (Polonius cachée)

Le quatrième acte, dont le premier tableau est un divertissement qui a pour objet de représenter la Fête du printemps, aurait dû offrir plus de variété et plus de gaieté, ou être beaucoup plus court et se rattacher immédiatement à la scène de la mort d’Ophélie. Si les auteurs, et ici le musicien est aussi en cause, avaient résolument adopté le principe de l’intermède de danses, pour reposer le public d’émotions fortes et déjà prolongées outre mesure par les développements musicaux qui maintiennent le système nerveux dans un état de tension plus pénible encore que trois actes en vers alexandrins, les auteurs, dis-je, auraient été d’accord avec la tradition et la raison. On a blâmé avec justice la longueur des ballets plus que l’introduction du ballet lui-même dans les opéras. Au temps florissant des tragédies lyriques en cinq actes, telles que celles de Quinault et de Lulli, les intermèdes de danse étaient bien plus fréquents que dans les ouvrages modernes, mais ils étaient plus courts. Au contraire, les auteurs d’Hamlet ont voulu que leur divertissement ne s’éloignât pas trop du caractère général de leur œuvre, et le compositeur lui a même donné comme une couleur scandinave. Les motifs en sont élégants, poétiques, originaux ; mais, encore une fois, ils manquent de vivacité et d’entrain.

De telle sorte que le spectateur n’est pas suffisamment reposé, lorsque le deuxième tableau lui montre la pauvre Ophélie, folle, au milieu des roseaux, om elle trouve innocemment la mort. Cette scène n’existe pas dans l’œuvre de Shakespeare, et c’est une heureuse idée de l’avoir imaginée. La ballade : Pâle et blonde, dort sous l’eau profonde la Willis aux regards de feu, est, dit-on, une traduction d’une poésie suédoise. Ophélie s’étant ensevelie sous les flots du lac bleu, qu’était-il besoin de la faire revenir dans un cercueil, escortée d’un cortège funèbre, et de diviser ainsi le dénouement, que la mort donnée à Claudius par Hamlet rendait assez saisissant ?

Nous le répétons, parce que nous aurions désiré que cet ouvrage si distingué fut parfait, après quatre actes, remplis par les plus sombres pensées et terminés par la mort gracieuse, si l’on veut, mais enfin par la mort d’Ophélie, il fallait, dans un court tableau, se contenter de l’arrivée d’Hamlet, lui faire dire le récitatif et l’arioso : Comme une pâle fleur éclose au souffle de la tombe, lui apprendre la mort de celle qu’il a aimée, faire apparaître une dernière fois le spectre et terminer brièvement par la mort de Claudius. Nous croyons que cet ouvrage vivra longtemps et qu’on renoncera définitivement à la scène des fossoyeurs, odieuse au théâtre.

Au début de cette analyse, nous avons fait allusion à des doctrines qui ont fait grand bruit et que nous ne partageons pas. Il faut convenir cependant qu’elles auront produit un bon résultat. Des compositeurs, les plus indépendants par leur propre talent et leurs succès, se sont préoccupés de toutes ces théories de mélodie infinie et indéfinie, du bruit qu’on entend dans la forêt, de musique psychologique et de modulations hardies, inattendues, conçues en dehors de toute tonalité antérieure et postérieure. Ces compositeurs, troublés peut-être par les critiques qu’on faisait de leurs œuvres, impressionnés plus qu’il ne fallait par le nombre des adhérents au nouveau système, ont voulu essayer de se placer sur ce nouveau terrain, et de mettre en œuvre les libertés nouvelles, peu nécessaire celles-là. Qu’est-il arrivé ? Deux maîtres français et deux italiens se sont mesurés avec le sphinx germanique. M. Gounod, dans plusieurs ouvrages célèbres, a remporté la victoire ; M. Ambroise Thomas, en traitant le sphinx germanique. M. Gounod, dans plusieurs ouvrages célèbres, a remporté la victoire ; M. Ambroise Thomas, en traitant le sujet redoutable d’Hamlet, avait des raisons légitimes de s’éloigner des traditions autant que les règles du goût le lui permettaient. Il a battu ses adversaires sur leur propre terrain, et jamais les Tannhäuser, les Lohengrin et les Rienzi, dont les poèmes ont été écrits pour les partitions, n’auront le nombre de représentations d’Hamlet, dont la partition a été écrite pour le poème. On sait que Verdi a cherché aussi à faire des concessions à l’esprit du jour dans Don Carlos ; mais il a été moins heureux. Quant à Rossini, il s’est donné, sur ses vieux jours, la satisfaction de livrer, sur ce nouveau champ de bataille hérissé de chausses-trapes, de cavaliers de frise et miné à chaque pas, un combat en règle. En fait de modulations hardies, éloignées, de constructions savantes et pleines d’audace, nous doutons qu’on dépasse jamais l’heureuse habilité de l’auteur de la Messe solennelle. Et cependant, jamais la mélodie n’est absente, jamais l’oreille n’est affectée durement. C’est à de telles conditions que le véritable progrès existe.

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