Ombre (L')

Analyse

Soutenir l’intérêt pendant trois actes avec si peu de ressources semblait une tâche difficile. Les auteurs s’en sont acquittés avec honneur et succès ; tant il est vrai qu’une œuvre où l’inspiration, le goût, le véritable talent en un mot préside, peut se passer de toutes ses complications dont on a surchargé les plus modestes opéras-comiques. Quel luxe indigent dans la plupart ! Ici, au contraire, la simplicité, et néanmoins un grand effet ! La partition est une digne émule de celle de Martha. L’inspiration y est moins abondante ; il y a plus de recherche et d’effort ; néanmoins, tout y est traité avec goût et distinction. Le travail harmonique laisse, à mon avis, quelque chose à désirer ; on trouve des modulations éloignées d’un fâcheux effet, surtout dans l’ouverture. Lorsque M.de Flotow veut être savant musicien, il s’égare ; quand il se contente d’écrire sous la dictée de son inspiration, il exprime avec beaucoup de naturel le sens dramatique, et l’expression mélodique est à la fois juste et agréable. L’ouverture débute par un larghetto pathétique et doux, l’allergro qui suit est formé en partie du motif des couplets du docteur : Quand je montre Cocotte. La transposition dans plusieurs tons de ce motif gracieux, qui doit son succès à sa parfaite adaptation aux paroles, n’est pas toujours heureuse. Le compositeur a aussi abusé de l’accord de septième, de sensible et des renversements plaqués et en arpèges. Depuis une quinzaine d’années, cet accord jouit d’une trop grande faveur. Le duo du docteur et de Mme Abeille est bien traité dans le style qui convient à l’opéra-comique, mais n’offre rien de saillant. Le trio, malgré une assez jolie phrase dans l’andante, est médiocre et dans le goût des opérettes de M. Offenbach. On regrette d’y trouver de ces répétitions par deux voix du dernier mot chanté par le soprano. Cet effet n’est plus comique, mais commun et suranné. Je n’ai que des éloges pour les couplets très réussis du docteur ; le quatuor du premier acte est le morceau le plus important de tout l’ouvrage ; l’andante : La nuit approche, voici l’heure, est d’un rythme gracieux, et, lorsque le motif est exécuté pour la seconde fois, la voix de soprano dessine des broderies d’un charmant effet. Toute cette première partie du quatuor mérite d’être rangée au nombre des plus jolis morceaux du répertoire de l’Opéra-Comique. Il est redoutable que l’allegro n’y réponde pas. C’est un chœur qui paraît avoir été écrit pour les orphéons :
Et tic et toc et tic et toc,
De nos verres vive le choc.

Il me semblait que les auteurs de livrets d’opéra-comique avaient répudié définitivement cette vieille défroque de M. Scribe. Tout le reste du premier acte est dramatique. Les moyens musicaux sont bien simples et presque pauvres, le ténor répète à l’octave les phrases du soprano, puis arrivent de fréquents unissons. Mais il y a tant de mobilité, tant de variété, dans le travail artistique de M. de Flotow que l’intérêt ne languit jamais. Le deuxième acte est précédé d’une sorte de rêverie symphonique. La sonorité en est douce et habilement conduite, mais la mélodie contournée ; des effets de quintes et des fausses relations sont mal dissimulés sous les nuances et les élégances de l’instrumentation. L’air de Mme Abeille est très médiocre. Je ne comprends pas qu’un musicien de la valeur de M.  de Flotow se soit laissé influencer par les petits effets rythmiques particuliers à M. Offenbach, et qu’il ait imité ses appogiatures interrompues et dures, ses éternelles valses chantées. Les couplets du docteur : Une femme douce et gentille, qui sont loin de valoir ceux qu’Auber mettait dans ses opéras-comiques, ont le tout gaulois. Quant au second quatuor : Un mot, chère voisine ; il ne vaut pas le premier, mais il est très scénique et se termine par un allegretto d’une gaieté communicative. Le duo de Jeanne et de Fabrice : D’où vient que maintenant près d’elle, est à la fois d’une vérité d’expression très soutenue et d’un charme mélodique incontestable. Bien écrit pour les voix, il prendra place dans le répertoire des chanteurs. Avec la première partie du quatuor du premier acte, c’est le morceau que je trouve le mieux réussi. La fin de l’acte est d’un effet pittoresque. Une petite symphonie jouée par les instruments à cordes en sourdine est traitée avec cordes en sourdine est traitée avec goût. Des critiques sévères pourraient reprocher aux auteurs d’avoir abusé dans cette opéra des hors d’œuvre et d’avoir fait une part trop grande aux épisodes descriptifs. Mais les morceaux sont courts et mélodieux. M. de Flotow a du goût et n’insiste pas comme l’a fait souvent Meyerbeer, qui traçait un grand tableau là où il aurait fallu un simple croquis. Cette observation n’est suggérée par les couplets si applaudis sur les heures de midi et minuit. Cet andante est fort gracieux ; je crois que le sens voluptueux des paroles, qui flatte le goût du public de ce temps, a bien un peu contribué au succès de cet intermède.

La romance de Fabrice : Pauvre ange dont la triste vie, n’est qu’une inspiration distinguée. Elle est loin de rendre tout ce que la situation de Fabrice a de poignant. Cette scène m’a fait penser à une scène analogue dans le Déserteur, et la cantilène : Adieu, chère Louise, du vieux Monsigny, est bien autrement émouvante. Après un assez joli trio avec un effet de cloches sonnant le mariage, et une romance médiocre du docteur, l’opéra se termine par un trio dramatique, dans lequel on peut admirer une phrase large et belle chantée à l’unisson, et par la reprise finale du chœur des cloches. L’Ombre restera un des jolis ouvrages du répertoire de l’Opéra-Comique. Les rôles ont été créés par Monjauze, Meillet, Mlles Marie Roze et Priola.


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