La

Article et célébrité

La Malibran

C’est une coutume, en Italie, lorsqu’on parle d’un personnage célèbre ou en vue, mort ou vivant, de faire précéder son nom de l’article le, la, pour indiquer le cas qu’on en fait. C’est ainsi qu’on dit il Tasso, l’Ariosto, il Boccaccio, et que l’on fait de même s’il s’agit d’un comédien, d’un chanteur, d’une cantatrice de renom ; on dit ainsi la Malibran, il Lablache, la Patti, etc. Il est fort rare qu’on dise comme chez nous, Monsieur, Madame (il signor, la signora), et l’article précédant le nom est comme un hommage, un peu banal, mais réel, adressé à l’artiste dont on parle. En France, chacun le sait, il n’en est pas de même, et l’article la, placé devant le nom d’une femme, est loin de constituer une formule élégante et flatteuse. Il fut un temps, cependant, où l’on parlait volontiers ainsi des comédiennes, et sans que cet usage portât avec lui une signification méprisante ; c’était au dix-septième siècle : on disait alors couramment la Molière, la Maupin, la Rochois, la Desmatins, et dans un ordre officiel du duc de Créqui, gentilhomme de la chambre, relatif à la réunion en une seule troupe des acteurs de l’Hôtel de Bourgogne et de ceux de la rue Guénégaud (1680), on voit tous les noms des comédiennes écrits de cette façon : la Baron, la Lagrange, la Dauvilliers, la Beauval, la de Brie, la Raisin, etc. Cependant, au dix-huitième siècle déjà, il n’y avait plus que les gens de peu qui employassent une telle façon de parler ; c’est ce qui faisait dire à Lemazurier, dans la préface de sa Galerie historique des acteurs du Théâtre-Français : « Nous avons toujours douté que les personnes qui disaient la Dumesnil, la Clairon, eussent réellement assez d’éducation pour juger Mlle Clairon et Mlle Dumesnil ; l’autorité de Voltaire nous a confirmé dans cette opinion, et c’est avec plaisir que nous avons trouvé la phrase suivante dans le supplément à sa Correspondance, publié en 1807 : « Les petits maîtres de la rue Saint-Denis disaient la Lecouvreur, et le cardinal de Fleury « disait Mlle Lecouvreur, et le cardinal de Fleury « disait Mlle Lecouvreur ». Aujourd’hui on ne pourrait plus, sans caractère insultant, employer chez nous à l’égard d’une femme une telle forme de langage ; mais cette coutume a persisté en Italie, où elle reste, au contraire, un témoignage de l’estime qu’on fait de son talent et de sa valeur artistique.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885


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