Jean-Jacques Rousseau, la cause de sa mort

L'autopsie de Jean-Jacques Rousseau

Masque mortuaire, marques entourées en jaune sur le front de J-J. Rousseau

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le lendemain matin de la mort de Jean-Jacques Rousseau, le 3 juillet 1778, Houdon et ses assistants vont mouler le masque mortuaire de Rousseau.
Une autopsie est pratiquée ce même jour et le diagnostic annoncé de la cause du décès alors est une apoplexie séreuse avec la présence dans son crâne de 250 grammes d’une matière qui aurait fait pression sur le cerveau.
L’autopsie est pratiquée par Casterès, chirurgien à Senlis, assisté des chirurgiens Chenu et Bouvet, de Lebègue ami de Jean-Jacques Rousseau et en présence de six autres personnes.

L’ouverture de la tête et l’examen des parties renfermées dans le crâne nous ont fait voir une quantité considérable (plus de huit onces) de sérosité épanchée entre la substance du cerveau et les membranes qui la couvrent. Ne peut-on pas attribuer la mort de M. Rousseau à la pression de cette sérosité, à son infiltration dans les enveloppes ou la substance de tout le système nerveux ? […] [Ainsi, puisque] à l’exception de deux hernies inguinales, peu considérables […] tout le reste du corps ne présentait rien contre nature […] les parties internes étaient saines […] [on n’a] point trouvé d’autre cause apparente [1]

Le corps de Jean-Jacques Rousseau est placé dans un cercueil en plomb. Il sera enterré à Ermenonville, puis le 20 vendémaire de l’an III (1794), il est décidé de placer le cercueil au Panthéon.

Jean-Marc Dizès, lors d’un colloque récent sur Jean-Jacques Rousseau communiquait sur les diverses hypothèses et rumeurs depuis la mort de l’écrivain, philosophe. Elles n'ont jamais cessées depuis la mort de Jean-Jacques Rousseau. « Dès l’élaboration du masque funéraire, Corancez, journaliste et ami de Rousseau, qui était présent, rapporte ensuite le bruit selon lequel le crâne de Rousseau aurait été fracassé par un coup de pistolet et ajoute « je ne dois pas omettre de dire qu’il nous fut proposé de voir le cadavre en nous prévenant qu’il avait un trou au coin de l’œil occasionné par une chute.»[2]

Pourtant l'autopsie, sur le plan strictement objectif ne semble pas relever de quelconque doute et est en faveur d'une mort « sans cause apparente » c'est-à-dire naturelle.

Cependant, le témoignage de Houdon, invoqué quarante ans plus tard dans l’enquête ouverte sur la question du suicide, éveille chez certains des soupçons qui ne se sont pas dissipés depuis [3]. Le sculpteur a en effet adressé le 18 mars 1819 une lettre à Petitain, éditeur de Rousseau :
« J’ai tardé à vous écrire parce que je voulais rechercher et examiner de nouveau le masque de J.-J. Rousseau que j’ai moulé sur lui-même après sa mort. Il résulte de ce nouvel examen que la contusion qui existe au front paraît bien la suite d’un coup violent et non l’effet d’un trou. Je crois bien que la peau a pu être endommagée ; néanmoins on aperçoit parfaitement au travers de cette contusion les lignes non interrompues des rides. »

Meutre, suicide, mort naturelle ?

Il se serait suicidé, il aurait pris du poison, ou se serait même tiré une balle dans la tête. Suicide ou meurtre, telles sont les premières hypothèses. Les spécialistes qui analysent le masque mortuaire retiennent selon les uns les traces d’une balle, ou pour d’autres les traces d’un objet contondant qui aurait précipité l’écrivain au sol, tandis que d'autres encore ne voient que les marques de la chute au sol de Rousseau avant le trépas.

Mais si c’est un meurtre, il faut un meurtrier ; les mêmes qui avaient avancé cette hypothèse précisent que le couple « battait de l’aile » et que son épouse Levasseur l’aurait tué car elle venait d’apprendre sa liaison ancillaire avec une domestique.

Alors, « il n’y a plus qu’à exhumer le corps de Jean-Jacques Rousseau. L’occasion va en être donnée par les politiques qui vont le décider en 1897. Après la période révolutionnaire, les royalistes restaurent le régime et le Panthéon est rendu à sa première destination religieuse. On accusa l’Eglise d’avoir laissé profaner les tombes de Voltaire et de Rousseau, aussi pour couper court à la rumeur, le ministre de l’Instruction publique charge une commission de s’assurer de la bonne conservation des squelettes [4] »
« À l’ouverture du cercueil de J.-J. Rousseau (18 décembre 1897), nous fûmes frappés, Buffenoir et moi, de la ressemblance qu’avait le moulage avec le crâne, qui, entre parenthèses, n’avait aucune fracture, si ce n’est le sciage pratiqué pour l’autopsie… Aussi, dans notre procès-verbal, disons-nous avec M. Badin : « Avons également reconnu que l’os du nez avait une courbure conforme au moulage fait par Houdon [1]... Le crâne avait été scié en vue de l’autopsie. J’ai pris les deux morceaux dans mes mains… et j’ai constaté… qu’il ne portait aucune mutilation, perforation, fracture ou lésion anormale [5] »

Mais dès le lendemain de cette ouverture du cercueil, le 19 décembre 1897, la constestation est relancée. « Le Dr Hamy, le savant professeur d’anthropologie au Muséum d’histoire naturelle, publiait, dans les journaux, une lettre, dans laquelle il mettait en doute l’authenticité du squelette trouvé dans le tombeau de Rousseau. Les liquides et les chairs avaient disparu […] tous nos confrères de la presse extra-scientifique nous disent, de la meilleure foi du monde, et les spectateurs du Panthéon disent de même « mais le crâne que l’on a montré, ne porte aucune trace de balle ; donc Rousseau ne s’est pas suicidé ! » […] Et encore, restait-il à nous expliquer l’observation de Houdon, qui s’étonnait de trouver « une perte de substance aussi considérable » lorsqu’il procédait au moulage de la tête […] M. Berthelot donne d’intéressants détails [1] Mon assistance au Panthéon […] réclamée […] pour vérifier l’hypothèse de la mort de Rousseau par coup de feu. J’avais eu soin […] de prendre […] avec mon cousin, le Dr Louis Monod, quelques mesures […] Mais aujourd’hui […] comme nous l’apprend mon excellent collègue et ami, M. le Dr Laborde, dans la Tribune médicale — M. le Ministre de l’Instruction publique s’oppose à l’examen anthropologique des squelettes de Voltaire et de Rousseau [5] »

Mais l’énigme se corse car certains contestent également que le corps placé au Panthéon soit le corps de l’écrivain ; il n’y serait jamais arrivé ; le corps serait-il resté à Ermenonville ? De nouvelles hypothèses sont émises sur les ossements du cercueil et sur l’emplacement véritable du squelette.

La rumeur ne cesse pas. « En 1912, le docteur Julien Raspail examine par le détail le masque mortuaire fait par Houdon et relève trois blessures au visage très certainement provoquées par le même instrument. Une plaie au front et une lésion de l’œil du côté droit, l’autre sur la région latérale gauche du nez, ce qui prouve qu’elles ne résultent pas de la chute de Rousseau au moment de sa mort » [1]

Ainsi vont les sciences lorsqu'elles s'aventurent dans des chemins, des démonstrations qui ne sont guère scientifiques. Par ailleurs quoiqu'on y fasse, la rumeur est toujours plus forte que les sciences.

Bibliographie

[1] Julien Raspail « Comment est mort Jean-Jacques Rousseau ? »  La Chronique Médicale. art. cité, p. 500.
[2] R. A. Leigh, « La mort de J.-J. Rousseau : images d’Epinal et roman policier », Revue d’histoire littéraire de la France, 79e année, n° 2-3, p. 187-198.
[3] André Michel, « Deux portraits de Rousseau », Annales de la Société de J.-J. Rousseau, 2, Genève, 1906, p. 147.
[4] St A. Berville, Du prétendu suicide de Jean-Jacques Rousseau, Paris, A. Masson, 1868
[5] Gaspard Valette, « La sépulture de J.-J. Rousseau au Panthéon », Annales de la Société J.-J. Rousseau, 1, Genève, 1905, p. 262-263 ; voir aussi M. Berthelot « Observations relatives aux cercueils de Voltaire et de Rousseau au Panthéon, ouverts le 18 décembre 1897 », Comptes Rendus des Séances de l’Académie des Sciences, n° 25, 20 décembre 1897, p. 1059-1061.
[6] Ch. Monod, « Lettre du 11 février 1898 », La Chronique Médicale, vol. 5, Paris, 1898, p. 96.

 

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