Audition colorée

Des observations d'audition colorée, Mme B.

Ces faits sont plus connus qu’on ne pense et M. Mendoza nous dit que sur 372 personnes qu’il a interrogées, il a rencontré 13 observations. Le phénomène en question paraît se rattacher dans la très grande majorité des cas à la physiologie des sensations, soit qu’il provienne des sensations, soit qu’il provienne d’une impressionnabilité, d’un état particulier du système nerveux, d’une plus grande puissance d’imagination ou d’une habitude de tout colorer datant de l’enfance. En effet, presque tous les sujets observés ont été notés comme parfaitement constitués, sains de corps et d’esprit et souvent même d’une culture distinguée. Nous ne rapporterons pas les nombreuses observations recueillies par M. Suarez de Mendoza, mais nous donnerons, seulement à cause de l’intérêt tout particulier qu’elles présentent au point de vue de l’hérédité, les observations recueillies sur quatre personnes de la même famille, la mère et ses deux enfants et une pièce.

Madame B…
Cette dame nerveuse, fort impressionnable et jouit d’une santé excellente. La vue est bonne ; le sens des couleurs très développé. L’oreille est parfaite, et l’acuité auditive normale.
D’un caractère plutôt doux qu’irritable, douée d’une sensibilité parfaite, Mme B… est fort intelligente et d’une culture intellectuelle bien au-dessus de la moyenne. Elle aime passionnément la musique ; elle est d’ailleurs excellente musicienne, sans être cependant très forte exécutante. Aussi loin que remontent ses souvenirs, Mme B… se rappelle avoir éprouvé les mêmes fausses sensations colorées, telles que nous allons les décrire.
Les sons vocaux l’impressionnent beaucoup plus que les sons musicaux. Ce sont les voyelles qui, chez elle, déterminent la couleur perçue ; quelques consonnes seulement la modifient légèrement. Nous devons faire remarquer que c’est le son seul des voyelles et des mots, entendu ou évoqué mentalement, qui éveille les images colorées. Les formes graphiques des mêmes lettres n’ont aucune influence sur la production du phénomène. Voici les impressions de couleurs provoquées à l’audition, par les noms des différents lettres :

  • A.
    • 1° Son : entendu, éveille une teinte bleue ; évoqué mentalement, une teinte bleue ;
    • 2° Forme graphique : vue, ne donne rien ; évoquée, ne donne rien. De même, â éveille une sensation de bleu foncé ;
  • E, gris terne ;
  • É, gris d’acier ;
  • È, gris verdâtre ;
  • I, rouge vif ;
  • O, noir ;
  • AU, noir violacé ;
  • U, jaune ;
  • AN, bleu violacé ;
  • IN, bleu rosé ;
  • UN, éveille une sensation de jaune biche ;
  • EU, gris sale ;
  • ON, gris sale ;
  • OU, brun ;
  • OI, teinte difficile à définir ;
  • D et T, éclaircissant la couleur des voyelles ;
  • P, l’épaissit ;
  • R, y ajoute un reflet métallique.

Les mots présentent des images colorées diversement, suivant leurs voyelles et les quelques consonnes influentes, sans que leur signification ait aucune action sur la couleur éveillée.
Les nombres donnent une couleur qui correspond à la voyelle dont les mots sont formés.
Les noms des notes de musique suivent la même règle.
Les sons musicaux n’impressionnent pas le sujet aussi nettement que les voyelles et les mots. Les sons graves lui paraissent sombres ; mais à mesure qu’ils s’élèvent vers les sons aigus, ils passent graduellement à des teintes plus claires ; il en est ainsi, qu’ils s’agissent de mélodie ou d’accords. Ceux-ci ne donnent rien de particulier. Les timbres ne paraissent pas influer sur la couleur de l’image.

Pour Mme B…, chaque morceau de musique, chaque partition a aussi sa couleur propre, ou sa teinte générale.

  • La musique d’Haydn lui paraît d’un vert désagréable.
  • La musique de Mozart est bleue, en général.
  • La musique de Chopin se distingue par beaucoup de jaune.
  • La musique de Wagner lui donne la sensation d’une atmosphère lumineuse, changeant successivement de couleur. Dans la chevauchée des Walkyries, de Wagner, tout le morceau lui paraît vert.
  • Le dernier scherzo de Saint-Saëns donne à Mme B… l’impression du rouge et du vert grisâtre ; et singulière coïncidence, ces couleurs sont précisément celles que l’éditeur a employées dans le titre de couverture du morceau, où le mot scherzo est imprimé en rouge et précédé d’un ornement vert.

Ces sensations de couleurs sont si intimement liées à l’audition ou au souvenir de chaque œuvre musicale, que Mme B… ne peut évoquer l’une sans éveiller l’autre.
Ces sensations de couleurs sont si intimement liées à l’audition ou au souvenir de chaque œuvre musicale, que Mme B… ne peut évoquer l’une sans éveiller l’autre.
Ces associations, passées en habitude, se manifestent d’une manière tellement impérieuse, que cette dame fait relier toutes ses partitions suivant la teinte générale de chaque œuvre, et qu’elle ne peut pas supporter que la reliure en soit d’une couleur différente.
Elle perçoit également bien les couleurs, soit les yeux ouverts ou fermés, dans l’obscurité ou en pleine lumière, soit enfin qu’elle entende le son ou qu’elle évoque mentalement.

Ainsi au retour du théâtre, avant de céder au sommeil, elle voit, au souvenir de la partition entendue ses yeux, suivant les morceaux évoqués. Les impressions sont très nettes, bien définies et semblent siéger dans la région frontale. Loin de constituer une gêne, elles sont pour le sujet une jouissance considérable.
Mme B… présente quelques traces d’autres associations sensorielles. Ainsi, certains morceaux de musique lui donnent une impression de chaud, d’autres une impression de froid. Certains sons lui occasionnent un certain agacement de la peau des mains ; d’autres lui amènent l’eau à la bouche. La musique de Don Juan, de Mozart, a la spécialité de lui agacer les dents, etc.
Elle a encore un frère, M. J…, et une nièce de douze ans, Mlle J…, fille du dit frère, qui colorent aussi les sons de la bouche. Nous allons donner ci-après, dans cet ordre, leurs observations respectives.

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