Lésion des lèvres chez un musicien, instrumentiste à vent, un corniste

Le témoignage suivant est l’histoire clinique et pédagogique d’un professeur de cor, victime il y a prés de 27 ans d’une lésion de l’orbiculaire en relation avec son apprentissage à cet instrument. Ce musicien a voulu évoqué le problème qu’il a vécu afin que cette expérience permette aux musiciens, les plus jeunes, mais aussi les professeurs puissent intégrer l’importance d’un apprentissage qui respecte la physiologie afin que son évolution ne soit pas compromis par un problème de santé en relation avec son art.

TÉMOIGNAGE d'un musicien avec une lésion des lèvres

Une histoire clinique qui a commencé il y a plus de 23 ans
Je devais avoir environ 17 ans. J’étais un étudiant en musique, d’un tempérament que l’on pouvait qualifier de très travailleur. J’écoutais scrupuleusement les conseils de mon professeur qui, hélas, ne devait pas savoir de quelle façon il jouait lui-même du cor. Son jeu était limité à deux octaves alors que le mien s’approchait des quatre octaves. J’ai brûlé les étapes et réalisé en quatre ans ce que la plupart des étudiants en musique obtiennent en 10 ans d’études si tout va bien.
Il m’est souvent arrivé à cette période de jouer trois heures d’affiler sans repos en écrasant mes lèvres car j’avais le souci d’appliquer ce que disait mon professeur. Il me donnait la plupart du temps un programme difficile demandant beaucoup de tonicité dans l’aigu et de résistance.
Pendant que je jouais devant lui, il n’hésitait pas à prendre ma tête pour l’appuyer fortement contre l’embouchure en me disant « n’hésite pas à appuyer ton embouchure sur tes lèvres pour avoir un meilleur aigu ». Ce professeur avait une pédagogie qui datait sans doute d’un autre âge mais pensait certainement bien faire et puis j’avais totalement confiance en lui, j’appliquais à la lettre ce qu’il me disait avec acharnement et ceci pendant plusieurs heures d’affiler chaque jour. Il est vrai que si j’avais été un élève paresseux et peu scrupuleux l’accident ne se serait pas produit au bout de quatre ans de pratique instrumentale.
À l’âge de 16 ans, j’ai grandi de 20 cm en un an sans prendre un seul kilo, je ne faisais pas de sport donc j’étais peu musclé et je pense que tout cela a dû contribuer à ce désastre programmé.

La position de l’embouchure enseignée à cette époque
La position d’embouchure que m’avait imposée mon professeur est certainement l’un des paramètres importants qui a contribué à l’écrasement et à la déchirure du muscle orbiculaire. En effet, la sonorité que j’avais à cette époque ne plaisait pas à mon professeur qui me disait que le son était trop petit. Il pensait que l’ouverture des lèvres n’était pas suffisante. Cette technique d’ouverture ne peut fonctionner que dans le grave et le médium ; il est bien évident que les sons aigus sont impossibles à obtenir dans ces conditions et c’est pour cela que l’écrasement des lèvres sous la pression de l’embouchure était la seule solution pour parvenir à monter dans l’aigu mais à quel prix !

Des symptômes annonciateurs sont apparus au fil des mois de travail instrumental

  •   Diminution progressive de la vibration des lèvres.
  •   Diminution de la souplesse.
  •   Lèvres enflées et durcies.
  •   Mise en lèvres de plus en plus longue pour obtenir un confort minimum de jeu.
  •   Multiplication des impuretés dans le son.
  •   Douleurs musculaires de plus en plus fréquentes au niveau des joues nécessitant des massages à base de lotions alcoolisées pour décongestionner.

Malgré le nombre d’alertes cumulées, mon professeur ne semble pas s’être posé la question à propos du danger imminent. Maintenant je peux dire que mon côté naïf ainsi que mon acharnement au travail allant jusqu’à la fatigue extrême ont bien contribués au résultat final de l’accident.

Le métier de musicien, au-delà de la souffrance et grâce à une réflexion et un travail personnel
J’ai réussi tout de même à faire de la musique, en général et du cor en particulier, mon métier uniquement grâce à l’acharnement dicté par une passion extrême. Le handicap a toujours été un problème à résoudre chaque jour, un peu comme une rééducation quotidienne liée à une technique tout à fait personnelle faite de réflexion donc de travail principalement intellectuel et bien sûr physique mais sans excès.

Convictions au bout de 30 ans de réflexion
 Actuellement encore, quasiment aucun professeur de cor ne prendra le risque de parler à ses élèves de lèvres, de muscles, de diaphragme, d’ouverture des mâchoires, de position de la langue, du travail de la lèvre supérieure dans l’embouchure… Etc.
Il est vrai que cet instrument est particulier et requiert un instinct extrême comparable peut-être à la voix mais surtout pas à la plupart des autres instruments qui possèdent des repères visuels, tactiles, mécaniques, avec une base de sons pré-accordés ou faciles d’émission. Le langage qu’utilisent les professeurs de cuivres tourne autour d’images et de sensations : « Respirer, soutenir, pression, vitesse d’air, colonne d’air, largeur de son, projection du son, couleur du son, timbre… »
Pratiquement personne, dans le milieu de l’enseignement ne se risquera à rentrer dans les détails de la fabrication du son émanant essentiellement de la vibration des lèvres avec comme support les dents.

Il est vrai qu’il serait dangereux d’utiliser des mots susceptibles d’être interprétés différemment suivant les élèves et le contexte. Cependant, le professeur se doit de s’aventurer dans ce terrain avec précautions pour aider un élève en difficulté à cause de problèmes dus à la position de son embouchure et ou de lèvres.

Position idéale de l’embouchure
Mon obsession à vouloir progresser constamment, à rechercher un certain confort à travers ce handicape ainsi que mon sens de l’observation m’ont amenés à penser qu’une position basse de l’embouchure sur la lèvre supérieure avec un appui direct sur le muscle orbiculaire est la cause principale des écrasements et déchirures graves.
Environ 95 % des cornistes professionnels placent l’appui supérieur de l’embouchure juste au dessus du muscle orbiculaire. Ceux-là ne semblent pas préoccupés outre mesure par un accident grave durant leur carrière.

Blessure accidentelle provoquée par un excès de travail accompagné de défauts cumulés datant de 1973
Ce sera 27 ans plus tard seulement que je déciderai de parler de mon cas à des médecins à l’écoute des musiciens. L’écrasement de la lèvre supérieure et la déchirure musculaire au niveau de l’embouchure côté gauche du muscle orbiculaire supérieur ont été diagnostiqués par échographie en 2000 et mesurés précisément : 4 mm de profondeur sur 3 mm en largeur. Les tissus musculaires se sont cicatrisés de chaque côté de la déchirure mais pas ressoudés.

Résultats d'examen échographique
Interprétation de l’examen échographique de la lèvre supérieure 24/02/2000
(Appareil utilisé : Siemens elegra, mis en service : janvier 99.
A l’échographie des parties molles, on constate que ce soit en coupes transversales ou en coupes sagittales, l’existence d’une rupture ancienne avec des parois bien limitées hyperéchogènes située à gauche du limbus sur le muscle orbiculaire de la lèvre supérieure. Cette rupture s’étend en profondeur jusqu’à 4 mm et en largeur jusqu’à 3 mm.
Conclusion
Rupture ancienne du muscle orbiculaire de la lèvre supérieure génant le patient dans sa profession, sans autre anomalie.

Philippe Durand Professeur de cor au conservatoire de Paris XI depuis 1977 Professeur de Conservatoire
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