Que se passe-t-il dans le cerveau d’un rappeur lorsqu’il improvise ?

Ceci peut paraître une gageure, mais la question n’était nullement ironique lorsque cette équipe de chercheurs américains se la sont posée. Il s’agissait de mieux comprendre les processus cognitifs impliqués lors des phases d’improvisation chez des rappeurs.

rap free style

L’improvisation ou free style dans le rap

Le processus créatif est relativement mal connu ; le free style dans le rap peut fournir une occasion d’étudier l’improvisation dans le champ singulier de la musique et de la langue.
Le rap est devenu une forme musicale particulièrement populaire depuis trois décennies. C’est une forme d’expression vocale sur fond musical appartenant au mouvement hip-hop.
Le rap consiste à décliner sur un fond rythmique des couplets rimés. Cette expression vocale se fait à la base sous une forme d’expression spontanée, improvisée. Le travail successif du rappeur vient ensuite donner une trame pour une forme plus transcrite du thème exprimée. Le rappeur se lance dans une « discussion musicale rimée et scandée », la musique vient simplement soutenir les paroles.
Une équipe de chercheurs a désiré savoir ce qui se passait dans le cerveau des rappeurs lorsqu’ils improvisaient. Cette forme, le free style, présente pour ces chercheurs une activité stimulante de créativité artistique spontanée qui méritait d’être mieux étudiée.

Le rap serait l’acronyme de Rythm and Poetry (RAP). Mais le mot rap vient aussi du verbe anglais to rap, qui signifie parler, baratiner, tchatcher. Le mot rap serait aussi l’acronyme de Rage Against the Police (RAP).

Quand les rappeurs participent à un projet d’étude scientifique

L’étude repose sur l’analyse comparative des processus neuraux en jeu d’une part lors des phases d’improvisation, et d’autre part lors de parties récitatives.
Pour cela, ils ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle pour étudier l’activité cérébrale de rappeurs lors des pratiques d’improvisation propres à ce style musical et déterminer les zones du cerveau stimulées pendant la pratique du rap.

L’expérimentation porte sur 12 rappeurs et comporte deux phases, toutes deux contrôlées par un IRMf.

  •   Dans la première phase, les rappeurs pratiquent le « free style », période d’improvisation où les rappeurs improvisent leur texte en direct sur la musique sans préparation particulière.
  •   Lors de la deuxième phase, on demande aux rappeurs lors de leur tour de chant de réciter des paroles apprises par cœur.

Ensuite les séries d’enregistrements sont interprétées par les chercheurs et les zones du cerveau stimulées identifiées. Les chercheurs mettent en évidence une redistribution fonctionnelle unique de l’activité cérébrale dans certaines zones cérébrales.
Durant les phases d’improvisation, les chercheurs relèvent une activité cérébrale faible (désactivation) des lobes frontaux, plus précisément au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral (partie supérieure du cerveau) qui joue un rôle de surveillance et de contrôle. Par contre, les chercheurs notent une suractivité du cortex préfrontal médian (placé plus bas), une zone responsable de la motivation de la pensée et de l’action. L’activité cérébrale est également augmentée dans le système péri-sylvien (impliqué dans la production du langage), l’amygdale (zone du cerveau liée aux émotions) et le cortex cingulaire moteur.

Images de gauche : en jaune, zone active, en bleu, zone désactivée
Images de droite : en jaune, zone active, en bleu, zone désactivée

L’équipe de chercheurs interprète ce zonage des activités cérébrales comme une « sorte de relaxation des « fonctions exécutives » qui permet de se décentrer et de lever l’autocensure, afin de laisser libre cours à sa créativité », déclare un des neuroscientifiques auteurs de cette recherche sur le site Nature. Ce style d’activation, important dans la zone frontale médiane, faible dans la zone dorso-latérale favorise un contexte neural nouveau dans lequel « l’autoproduction vocale spontanée et improvisée est libérée des contraintes attentionnelles et du contrôle exécutif facilitant ainsi la libre expression et la créativité. Ce processus permet aux rappeurs de « s’immerger complètement dans le processus créatif », « l’absence apparente de filtre cérébral permettrait à de nouvelles connexions, idées, associations d’apparaître plus naturellement sans être réprimées ». Des résultats similaires ont été observés par la même équipe chez des musiciens de jazz.
« Les activations préfrontales médianes étaient latéralisées à l’hémisphère gauche, alors que les désactivations préfrontales latérales se situaient dans l’hémisphère droit. »

Rap : zonage de l’activité cérébrale

L’activité cérébrale élevée dans les zones gauches préfrontale et prémotrice dévolues à l’initiation du mouvement et de la parole, ainsi que dans l’amygdale indique que les réseaux liés à la motivation, l’émotion, la parole sont fortement engagés dans le processus de l’improvisation. « Ces recherches sont en faveur d’une réorganisation élémentaire d’activité cérébrale facilitant l’improvisation. »
De manière inconsciente, les rappeurs durant le free style (phase d’improvisation scandée) mettent le cortex préfrontal dorsolatéral (CPD) en veilleuse, zone connue pour être en relation avec le contrôle de soi, afin de se rendre plus disponibles pour improviser plus librement ; parallèlement ils activent le cortex préfrontal médian (CPM), motivation et émotions prennent le relais en toute liberté.
La compréhension de ces mécanismes neuraux pourrait bénéficier à de nouvelles études afin d’appréhender les processus cognitifs d’autres formes artistiques spontanées.

Rédacteur Docteur Arcier André, président fondateur de Médecine des arts®
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Bibliographie

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