Verlaine à l’hôpital

Chez soi à l’Hôpital

Chronique médico-littéraire
Verlaine a fait de nombreux séjours à l’hôpital. Tant de jours, qui font des années, tant de jours appelaient cela « Chez soi à l’Hôpital », il en fait une courte rubrique paru une année après sa mort, en 1896, dans une revue médicale de l’époque. Voici ce qu’il écrivait à ce propos.

Chez soi à l’Hôpital
…Je m’étais promis de n’aller plus à l’hôpital ou tout ou moins de ne plus connaître l’hôpital qu’at home. Et voici que le mal me chasse à l’hôpital dehors. Tout le dévouement, toute la gentillesse possible, la petite aisance, bien précaire, mais si industrieusement employée, rien n’y fait. Le docteur lui-même et la nature de ce mal qui n’est pas dangereux, mais indéracinable aux soins sédentaires, me forcent d’y retourner, pour la quantième fois, bon Dieu du ciel ?

Du moins tant qu’il me restera quelque extrême, quelque suprême ressource pécuniaire, eh bien, de serais chez moi à l’hôpital. Et m’y voici.
C’est le plus grand hôpital de Paris, le plus vieux aussi, et de fait, en ce temps de mots médiévistes, ça pourrait s’appeler une maladrerie. Pittoresque dans plusieurs parties. Des morceaux Henri IV très remarquables. D’assez nombreux arbres, restes des bocages qui virent des nymphes et de l’histoire.

J’y jouis, dans un pavillon galamment baptisé, d’une chambre où j’ai surtout ceci d’être seul avec des livres et des visites tant que j’en veux. Le traitement consiste principalement en pansements. C’est ennuyeux avec des distractions dont la principale consiste à constater de visu des améliorations dont le médecin connaît plus circonspectement en général. Voici d’ailleurs venu le temps où je dois y mettre du mien : il me faut essayer de marcher. C’est la troisième fois depuis ce maudit mal (neuf ans déjà) que je renouvelle ces tentatives, dont je sors jusqu’à présent un peu plus boiteux chaque fois, capable, si on peut appeler ça ainsi , aller et de venir, dans une crainte perpétuelle des moindres heurts, , maudissant les pauvres bons chiens qui vont à leurs affaires, exaspéré contre les jeux des enfants dans la rue et inattentif aux seules voitures, bicyclettes et autres contingences trop multipliées et périculeuses pour ne m’en fier plus là-dessus qu’à une providence particulière. Ah ! le joli bébé que je fais avec ma canne et ma main se raccrochant à tous les angles de tous les objets. Parfois aussi j’ai recours à leur surface, et c’est en butant de bric et de broc autour de ma chambre, empoignant ici, là m’appuyant de tout le poids de ma paume restée libre, que je reprends mes habitudes de marcheur hésitant, qui, pour un peu, irait à quatre pattes.

Des camarades « s’amènent ». Alors, selon les gens, c’est la joie pure ou une médiocre distraction, du haut de mon lit, toto ab alto, j’écoute les nouvelles, je les commente, j’énonce des projets, beaucoup, j’en forme sur place beaucoup aussi. Quelque mal essaie de se dire sur les absents ou à propos d’eux, je passe outre ou j’excuse du mieux que je puis, mais c’est di difficile ! Et pourtant un des traits de mon caractère consiste à ne me pas montrer méchant d’ordinaire, je crois.
Mais voilà mon amie. Elle, c’est la vie. Sans elle, quoi ? Elle me gâte, m’apporte des douceurs, trop parfois. Elle doit se priver. Ça, je ne le veux pas, mais allons donc ! Elle m’a fait aimer les fleurs, les fleurs sur la fenêtre, les fleurs qu’on met dans un verre, les fleurs apprivoisées, discrètes, familières, qu’on croirait toujours les mêmes, qui vous parlent tout bas, dirait-on, et à qui à parle presque… « Et quelles nouvelles des oiseaux, combien d’œufs ? Un nouveau-né. Bah ! Et le poisson rouge ? – Mort ? –s. Je profite habituellement des trop nombreux loisirs que me laissent mes au fond laborieuses journées de maladie ou de convalescence pour lire ou relire, car j’ai tant et si mal lu tel bouquin autrefois et toujours poursuivi par mon paresseux éclectisme, mon éclectisme plutôt décousu, soyons juste et précis une fois, fût-ce envers nous-mêmes. Un de mes retardataires ou de mes retardés, comme vous voudrez, du moment, aura été ce précieux Volupté de Sainte-Beuve, que j’ai su par morceau, jadis, presque par cœur…..
……… Et puis ? Et puis, ah, tiens, j’ai relu Horace. Et je m’étonne de le lire presque sans dictionnaire ni traduction. Sa « Sagesse » n’est guère la mienne, mais quel latin, qui serait le premier sans Virgile, que je relis aussi ! Et alors, quelle toute-jouissance, en dépit de Huysmans et de son fâcheux des Esseintes, bien que celui-ci aime, paraît- il, y faire « un peu moisi » ! Il est vrai que tous deux méprisent Virgile. Excusez du peu ! Et puis ? Ah ! Le Monde illustré, gracieusement prêté par la bibliothèque de l’établissement, toute la collection depuis la fondation de ce périodique, 1857 !…. – Monsieur Verlaine, c’est aujourd’hui jour de bibliothèque. Donnez-moi votre pancarte si vous voulez que j’aille changer votre Monde Illustré. Quelle année voulez-vous, cette fois—ci ?
La bonne, mon ami, accompagnée de beaucoup d’autres.

Paul Verlaine

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