Troisièmes rôles

Classe de rôles masculins qui forment un emploi difficile, souvent ingrat et qui réclame beaucoup d’habileté de la part du comédien, celui-ci devant sauver le côté odieux du personnage qu’il est appelé à représenter, et, tout en en accentuant fortement le caractère général, glisser plutôt qu’appuyer sur certains détails qui parfois feraient cabrer le spectateur. Ces rôles, en effet, sont caractérisés par la seconde appellation de traîtres, qu’on leur donne souvent, et, dans le drame et dans le mélodrame, où on les nomme aussi tyrans, ils acquièrent une grande importance. L’ancien répertoire classique n’a guère connu ce genre de rôles, bien qu’on y classe parfois celui du comte dans la Fausse d’Agnès, de Destouches ; mais il me semble que le premier type du véritable troisième rôle est celui de Bégearss dans la Mère coupable. Dans le répertoire moderne, je crois qu’on peut faire rentrer dans cet emploi don Salluste de Ruy Blas et le comte de Diane de Lys, de même que Saltabadil du Roi s’amuse. Mais au beau temps du drame et du mélodrame, il n’était pas une pièce de ce genre qui ne contînt un troisième rôle ou un traître caractérisé. Au commencement de ce siècle, deux artistes notamment, Stockleit et Defrêne, se rendirent fameux aux boulevards dans cet emploi, et firent la fortune des terrifiants chefs-d’œuvre de Hapdé, de Caigniez et de Guilbert de Pixérécourt. Plus près de nous, c’est-à-dire il y a une quarantaine d’années, trois excellents comédiens, Surville à la Gaîté, Raucourt à la Porte-Saint-Martin, Chilly à l’Ambigu, s’étaient fait une spécialité de ces rôles véritablement fort difficiles, qui leur valaient les injures des spectateurs naïvement passionnés du parterre et du paradis ; ceux-ci ne manquaient jamais de les traiter à haute voix de lâche ! de canaille ! et de misérable ! lorsqu’ils les voyaient sur le point de faire un mauvais coup ; et quand, à la fin de la pièce, la morale longtemps outragée retrouvait enfin tout son prestige par le châtiment inattendu du traître, la salle entière poussait un cri de satisfaction, et quelques-uns s’écriaient, en le voyant tomber sous le poignard vengeur : Ah ! le gredin ! ne le manquez pas ! c’est bien fait ! Tant il est vrai qu’au théâtre pour le moins, le crime doit toujours être puni et la vertu récompensée.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885


 

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