Se suicider

Est-ce une expression légitime ?

Avant d’en venir au verbe, qui est contesté, occupons-nous du substantif, qui est admis.

Les anciens n’avaient pas de terme propre pour exprimer le suicide ; la  chose était connue, mais ce crime antisocial n’était point passé dans les mœurs. Il en fut de même pendant tout le moyen âge et dans les siècles suivant, jusqu’au XVIII° siècle  c’est alors seulement que se montre le mot suicide, apparemment pour satisfaire à un besoin reconnu, et (point assez digne de remarque) c’est en France qu’il fut inventé. Le Dictionnaire français-latin de Joubert, publié en 1732, ne l’a pas encore ; il est dans la troisième édition du Dictionnaire de l’Académie (1778). Les dictionnaires anglais de Guy Miège (1701), de Fox (1769), le grand dictionnaire allemand-anglais-français de Christian Ludwig (Leipzig, 1763), se servent encore d’une périphrase : - Self murderer, meurtre qu’on commet contre soi-même, - Self murderer, meurtre qui s’est tué.

Rien dans Trévoux, qui parut en 1740 ; mais le Supplément, publié en 1752, donne suicide et ajoute

« Nous devons ce mot à M. l’abbé Desfontaines ; il est substantif et adjectif : « Lorsqu’on veut favoriser un coupable au Japon, on lui permet de se faire tuer par ses parents ; mais le suicide est plus beau. » (L’abbé Desfontaines ). « Le spectacle des pièces tragiques porte par lui-même à l’amour romanesque, à la vengeance, et surtout diminue l’horreur du suicide, si ordinaire dans les catastrophes de nos tragédies. » (Observation sur les écrits modernes, t, IX, p. 209.)

Les Observations de l’abbé Desfontaines, qui, plus tard, devinrent la célèbre Année littéraire, parurent en trente volumes, de 1735 à 1743 ; le onzième volume répond à 1738, c’est donc à cette date qu’on doit rapporter la première apparition du mot suicide, créé par un abbé journaliste, à l’imitation d’homicide.

Observez que l’abbé Desfontaines n’a pas mis suicide dans son Dictionnaire néologique, publié en 1731.

Montesquieu, mort en 1755, ne s’est jamais servi du mot suicide, encore qu’il ait souvent parlé dans ses écrits de la mort volontaire. Il est intéressant de voir comment ce grand écrivain s’est passé de deux termes, dont l’un allait recevoir la sanction académique, et l’autre, en attendant, est entré jusqu’à un certain point dans l’usage familier.

Dans les Lettres persannes : « Les lois sont furieuses en Europe contre ceux qui se tuent eux-mêmes. » (Lettres 76.)

« Brutus et Cassius se tuèrent avec une précipitation qui n’est pas excusable… Caton s’était donné la mort  la fin de la tragédie ; ceux-ci la commencèrent en quelque façon par leur mort. » (Grandeur et décadence des Romains, chap. 13.)

Chapitre XII. Des lois contre ceux qui se tuent eux-mêmes  « Nous ne voyons point dans les historiens que, les Romains se fissent mourir sans sujet ; mais les Anglais, se tuent sans qu’on puisse imaginer aucune raison qui les y détermine. » (Esprit des lois, liv. XIV.)

Il est clair que les lois civiles de quelques pays ont des raisons pour flétrir l’homicide de soi-même ; mais en Angleterre on ne peut pas plus le punir qu’on ne punit les effets de la démence. » (Ibid)

Chapitre IX. Que les lois grecques et romaines ont puni l’homicide de soi-même sans avoir le même motif : - Du temps de la république, il n’y avait point de loi à Rome qui punit ceux qui se tuaient eux-mêmes … Du temps des premiers empereurs, les grandes familles de Rome furent sans cesse exterminées par des jugements. La coutume s’introduisit de prévenir la condamnation par une mort volontaire. » ((Esprit des lois, liv. XXIX.)

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