Querelles musicales

Les querelles musicales les plus célèbres sont celles qui eurent lieu dans le siècle dernier entre les Lullistes et les Ramistes, et plus tard par les Gluchistes et les Piccinnistes. Nos lecteurs nous sauront gré sans doute d’entrer dans quelques détails sur ce dernier sujet. Gluck, en venant en France avec son lphigénie en Aulide d’abord, ensuite avec Orphée arrangé pour notre théâtre, tout en nous apportant de nouvelles jouissances, flattait aussi notre orgueil national ; il rendait son éclat à un titre presque effacé de notre gloire. lphigénie en Aulide fut représentée en 1774. Le succès croissait de représentation en représentation, et les critiques croissaient aussi tous les jours. Ces critiques n’étaient pas seulement celles de l’envie, c’étaient celles de dix à douze hommes de lettres, dont les jugements avaient beaucoup d’autorité, et qui entraînèrent à leur suite une foule d’amateurs et de dilettanti. Ces hommes ne pouvaient plus concevoir une autre musique que celle dont ils avaient goûté le charme dans leur jeunesse ; d’autres affirmaient que Piccinni avait atteint les dernières limites de l’art, et criaient : Italiaim, Italiam, comme si Gluck était un barbare, parce qu’il était Allemand, parce qu’il sacrifiait de vains ornements à l’expression vraie des paroles et de la situation. C’était un avantage et non un inconvénient pour Gluck d’être né dans cette Allemagne, organisée et passionnée pour tous les genres de musique, et qui a donné à l’Europe de savantes leçons et d’éclatants modèles de l’harmonie la plus belle et la plus variée. C’en fut un autre pour lui de s’être transporté tout jeune en Italie, cette vraie patrie de la musique et où florissaient alors de célèbres écoles et d’excellents maîtres. Il étudia a Milan, sous la direction de J.-B. San-Martini, compositeur habile et fécond. C’est à Milan qu’en 1741, Gluck fit représenter Artaserse, son premier opéra. La naissance, la formation et l’entier développement des vues musicales de Gluck furent précisément les résultats de ces croisements de tous les pays. Il était naturel à ceux qui avaient concouru à créer ou à rapprocher du moins les éléments du génie de Gluck, placés à une grande distancé, de prendre un intérêt plus particulier et plus vif à ses créations ; et lorsqu’ils eurent entendu sa musique avec des transports de plaisir, il leur était naturel d’en parler avec des transports d’enthousiasme. D’anciennes habitudes, les préventions qu’elles donnent, les préjugés qu’elles établissent, pouvaient seuls faire penser que des compositeurs nés en Italie avaient le privilège exclusif de nous donner une musique qui convînt à notre langue, à nos oreilles et à notre scène lyrique. Les premiers s’appuyaient sur l’autorité des faits, si puissants sur nos jugements, et sur celle des impressions, si puissantes sur notre âme. Les seconds n’avaient pour appui que des doctrines et des ouvrages que les Piccinni et les Sacchini pouvaient faire un jour, mais qu’ils n’avaient pas faits encore. Ces derniers, tous écrivains renommés, étaient en grand nombre. Parmi les premiers, l’abbé Arnaud et Suard parurent longtemps seuls dans la lice. Mais le plus habile défenseur de la musique de Gluck l’ut, sans aucun doute, l’auteur anonyme d’une série d’articles qui parurent dans la Gazette de Paris, sous ce titre : Petites lettres, par un habitant de Vaugirard. Rien de plus solide et de plus piquant que cette correspondance, qu’on attribue généralement à Diderot. Depuis les dix-huit petites lettres de Pascal, qui firent une si glorieuse révolution dans la langue, dans la plaisanterie et dans l’éloquence françaises, jamais petites lettres n’ont été, depuis la première, attendues avec plus d’impatience ; on courait de toutes parts aux cafés de Foy et du Caveau, et l’on en faisait des lectures publiques ; on : s’étouffait pour mieux entendre ; on battait des mains avec des transports et avec des bravos. Pendant que tout ceci se passait, des scènes d’un caractère plus grave et plus sérieux avaient lieu dans la salle de l’Académie royale de Musique ; on applaudissait avec fureur, on sifflait avec acharnement, et les jeunes gens, les vieillards même en venaient quelquefois aux mains.

Dictionnaire de musique, Léon et Marie Escudier, 1872


 

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