Polyeucte

Polyeucte, musique de Ch. Gounod

Opéra en cinq actes, livret de MM. Jules Barbier et Michel Carré, musique de M. Ch. Gounod, représenté à l’Opéra de 7 octobre 1878. Les sujets religieux dans lesquels la foi profonde et résolue jusqu’au martyre est l’élément capital ne réussissent jamais au théâtre, quel que soit le mérite et les talents qu’y déploient les auteurs. Le génie de Corneille a triomphé sans doute des difficultés du sujet chrétien, en forçant le spectateur à admirer de belles pensées et des vers sublimes ; cependant au point de vue dramatique, le Cid, Horace, Cinna, ont été moins contestés à l’origine que Polyeucte. Le Martyre de saint Genest, de Rotrou, renferme des passages admirables ; néanmoins cette tragédie n’a pu rester au répertoire. Pour que ces pièces, chrétiennes par le sujet, sinon par l’objet et l’intention, ne perdent point de leur caractère et de leur effet, il faudrait qu’elles fussent représentées en dehors de l’Opéra ; je ne vais pas jusqu’à dire que l’oratorio soit la seule forme qui leur convienne ; on peut parfaitement représenter une tragédie lyrique sacrée ailleurs qu’à l’Opéra et à l’Opéra-Comique. Le voisinage des idées profanes écarté, tout ballet voluptueux banni, le spectacle des passions humaines contenu dans des limites qui laissent à la vertu son prestige et son charme, voilà des conditions essentielles au succès d’une pièce dont le sujet est chrétien. Si les auteurs de ce temps-ci considèrent et veulent qu’on considère le christianisme comme une mythologie, il n’y a plus rien à leur objecter : ils sont dans la logique de leurs opinions. Mais nous n’en sommes pas là, et les sentiments de religion sont encore trop délicats pour qu’on prenne plaisir à voir conférer le baptême sur les planches de l’Opéra, où se produiront, quelques instants plus tard, dans les poses les plus voluptueuses, les demoiselles du corps de ballet. La tragédie de Corneille a dû être très modifiée par les librettistes. Le proconsul Félix ne se convertit point. Il devient le bourreau de sa fille Pauline et de son gendre ; ce fait est, à lui seul, plus tragique que celui d’Agammenon sacrifiant Iphigénie, que celui de Brutus condamnant ses fils à mort, et, dans l’opéra, Félix n’est qu’un personnage secondaire. Néarque, l’auteur de la conversion de Polyeucte, est massacré sur la scène, tandis que Polyeucte et Pauline, sur lesquels ont dû se concentrer l’intérêt, ne meurent que derrière la toile. Les auteurs ont sans doute eu leurs raisons pour traiter ainsi leur livret, et les erreurs dans lesquelles ils sont tombés témoignent de l’impossibilité de faire un opéra avec le sujet de Polyeucte. Le livret de Scribe, mis en musique par Donizetti, était de beaucoup meilleur et n’a pas réussi non plus.

Quant à la forme, il n’y a  que des éloges à en faire. Les vers de M. Jules Barbier sont très beaux et très lyriques. Les stances de Corneille, « source délicieuse, en misères féconde,  « source délicieuse, en misères féconde, » ont été conservées ; elles sont chantées par Polyeucte dans la prison. La partition n’a pas d’ouverture. Un prélude expose quelques-uns des motifs du deuxième acte et du cinquième. Le premier morceau important est le duo dans lequel Pauline exprime à Polyeucte les pressentiments que lui suggère un songe ; elle le prie de ne pas la quitter au moment où on annoncera le retour de Sévère, qui devait l’épouser et qu’on avait cru mort. En effet Sévère, vainqueur des Perses, fait une entrée triomphale dans Mélitène. Toute cette scène a de la grandeur et le quatuor est à la hauteur du sujet. Les fragments les plus saillants dans le second acte sont le duo de Pauline et Sévère, où se trouve une phrase charmante : « Soyez généreux ; » la barcarolle chantée par Sextus ; le choral des chrétiens ; la scène du baptême chantée par Siméon, très froide à l’Opéra, mais d’une inspiration élevée. Dans le troisième acte, on a applaudi la cavatine de Sévère, Pour moi, si mes destins. La fête païenne est très brillante, variée, très développée, et on peut dire que c’est la partie de l’ouvrage à laquelle les spectateurs de l’Opéra, dans son état actuel, s’intéressent le plus. Les danses agrestes, guerrières, voluptueuses et dionysiaques se succèdent ; marche lente, pastorale, pyrrhique, bacchanale, toutes les ressources de l’art chorégraphique sont employées, et même, par un anachronisme qui aurait dû être évité, M. Gounod s’est laissé entraîner à y mêler une valse, une mazurka et une tarentelle.

La scène dans laquelle Polyeucte et Néarque renversent les idoles, où Sévère protège le héros chrétien, son rival heureux, contre la fureur du peuple, où Néarque est frappé par la hache du grand prêtre Albin, est habilement conduite. Sauf le rôle de Pauline, les parties du quatrième acte ont paru languissantes. Le cinquième est rempli de nobles accents ; c’est la profession de foi du Polyeucte, Credo ; la conversion de Pauline et les élans de leurs deux âmes en face de la mort, mêlés aux cris d’une multitude féroce. M. Gounod avait ajouté un dernier tableau représentant les martyrs dans le cirque ; il a été supprimé.

Dans les représentations suivantes, on a de beaucoup abrégé la scène du baptême, supprimé le Pater noster et opéré quelques autres changements. Les amateurs du grand art ne peuvent qu’apprécier comme ils doivent l’être les efforts de M. Gounod pour s’élever à la hauteur d’un pareil sujet, et désirer que la partition de Polyeucte, allégée de la fête païenne et des concessions faites au public de l’Opéra, soit exécutée dans des conditions mieux appropriées au sujet. Les interprètes de cet ouvrage ont été MM. Salomon, Sellier, Lasalle, Bosquin, Berardi, Auguez, Menu, Bataille, Gaspard : Mlle Krauss, Mme Calderon.

Dictionnaire des Opéras. Dictionnaire Lyrique. Félix Clément, 1881


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