Politique (musique)

C’est surtout à l’époque de notre première révolution que la musique politique a joué un grand rôle. C’était en juillet 1789. On venait de prendre la Bastille. Le peuple célébrait sa victoire par des chants joyeux, par des cris d’enthousiasme ; mais depuis quelque temps, à l’Hôtel-de-Ville, les électeurs s’étaient rassemblés et exerçaient une magistrature provisoire. Les premiers ils commandèrent un ouvrage lyrique destiné à immortaliser cette victoire populaire : ils chargèrent un nommé Désaugier-Janson de composer un hiérodrame, ou drame sacré, retraçant autant que possible les épisodes les plus remarquables de la prise de la Bastille. Cet ouvrage fut exécuté en grande pompe dans l’église Notre-Dame, et jouit pendant quelque temps d’une certaine popularité. Une innovation est à remarquer à propos de l’oeuvre dont nous parlons ; une grosse cloche d’un timbre sonore comptait parmi les instruments de l’orchestre, et rendait au naturel les sons lugubres du tocsin. Traçons maintenant l’histoire des deux airs fameux au début de la révolution française, le premier chanté par tous les amis du roi, le second par tous les amis de la nation ; nous voulons parler du bel air : O Richard, ô mon roi, l’univers t’abandonne ! et du carillon national Ça ira.

Le mélodique Grétry était alors dans toute la maturité de son talent ; son triomphe avait été Richard Coeur-de- Lion, dont les paroles toutes monarchiques contrastaient singulièrement avec l’esprit démocratique qui se taisait jour chez le peuple. Les nobles, ou pour parler le langage du temps, les aristrocrates en consolidèrent le succès, et, à peine les états-généraux étaient assemblés, que dans tous les salons on chantait l’air du fidèle Blondel au pied de la tour qui renferme son royal maître. Quelque courtisans affectèrent de le faire entendre dans les modestes soirées que Louis XVI donnait à Versailles. Il devint bientôt une sorte de ralliement sous la bannière monarchique. Mais cette allusion ne se faisait d’abord que secrètement ; une occasion se présenta de la rendre publique.

En 1790, les gardes-du-corps donnèrent un banquet aristocratique dans l’Orangerie de Versailles. Après le toast, on Chanta l’air : O Richard, et on fit serment de délivrer Louis XVI. Dès ce moment, il devint une Marseillaise royaliste. Quand Louis XVI eut été enfermé au Temple, des joueurs d’orgue vinrent chanter sous les fenêtres du monarque l’air du troubadour, tant et si bien que, sous la Terreur, les musiciens ambulants durent l’enlever de leur répertoire, sinon passer pour suspects et aller en prison. Tel a été le sort de cet air, qui dut beaucoup de son succès à la politique. Occupons-nous maintenant de son rival, le Ça ira. Depuis la prise de la Bastille, le peuple manifestait hautement sa haine contre les nobles. L’expression Ça ira était ordinairement employée toutes les fois qu’il lanternait, c’est-à-dire accrochait au réverbère un ennemi de la constitution. Pendant les préparatifs qui précédèrent la fédération du 14 juillet 1790, Ça ira fut mis en chanson avec un grand nombre de variantes quant aux paroles. Le Ça ira officiel est celui que l’on attribue à Dupuis, l’auteur de l’Origine des cultes. Bientôt cet air s’entendit dans toutes les rues. Si l’on assassinait un aristocrate, si l’on plantait un mai de la liberté, le Ça ira était chanté. Ouvrez le Journal de Paris du temps, aux annonces, voici ce que vous y trouverez : Nouvelles variations pour le clavecin, sur l’air Ça ira ; rondeau sur l’air Ça ira. Le Ça ira vécut jus- que sous le Directoire. Aux clubs, on faisait souvent de la musique ; elle se composait le plus souvent de symphonies ayant pour basses continues des roulements de tambours, des vociférations et des décharges de mousqueterie. De la déchéance de Louis XVI à la Terreur, il n’y eut qu’un pas. Cependant au point de vue de l’art musical, la Terreur fut une époque à part. Les quatorze armées bordent et défendent nos frontières menacées par la coalition des rois étrangers ; la France fait un effort sur elle-même : et quel stimulant plus efficace que la musique peut inspirer les manifestations du courage ? Nous ne suivrons pas ces nouveaux soldats sur les champs de bataille : la Marseillaise leur suffisait, et dans toutes les occasions périlleuses, l’hymne fameux redoubla leur courage et les mena à la victoire. Et maintenant qu’on nous suive à l’Opéra sous la Terreur, voici les pièces qu’on entendra : le Siége de Thionville, musique de Jadin, l’Offrande à la Liberté, scène religieuse de Gossec, et Fabius, tragédie mise en musique par Méreaux. A cette époque, la musique politique a plus que jamais envahi le théâtre. Sous la Terreur, le catholicisme avait été remplacé, d’abord par le culte de la Raison, ensuite par celui de l’Être-Suprême, tous deux inaugurés par des fêtes solennelles. La fêle de la Raison fut célébrée dans l’église Notre-Dame ; plusieurs compositeurs concoururent à la partie musicale. Un témoin oculaire nous a assuré que les airs qu’on chantait dans ces solennités étaient vraiment imposants, et que les motifs en étaient d’une admirable simplicité. La Fête de l’Être-Suprême, qui suivit d’assez près celle de la Raison, fat plus remarquable sous le point de vue musical ; on y entendit des strophes en manière de cantiques, dans lesquelles Gossec se surpassa. Sous le Directoire, le Consulat, l’Empire, la Restauration, le règne de Louis-Philippe, la République et le second Empire, la musique politique n’a pas joué un grand rôle. Elle a cédé le pas à la musique sérieuse qui a été féconde en chefs-d’oeuvre. La Parisienne, les Girondins, Partant pour la Syrie, voilà tout ce qui mérite d’être signalé pendant cette période, dans l’histoire de la musique politique.
Dictionnaire de musique, Léon et Marie Escudier, 1872

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