Petit Faust (Le)

Opéra-bouffe en trois actes et quinze tableaux, paroles de MM. Hector Crémieux et Jaime fils, musique de M. Hervé ; représenté au théâtre des Folies-Dramatiques le 23 avril 1869. Si on devait juger du mérite d’une œuvre par le succès et par le nombre de représentations successives, celle-ci l’emporterait de beaucoup sur les meilleurs opéras d’Hérold, de Boieldieu et d’Auber, voire même de Rossini ; aucun ouvrage de ces maîtres n’a joui à son apparition d’une vogue comparable psychologique à résoudre. Pour ma part, je ne proposerai pas d’autre solution que celle-ci : il faut retourner la proposition et dire : on peut juger de l’état mental d’une société par le succès qu’une œuvre telle que le Petit Faust y obtient et par le plaisir qu’on y prend. Il est impossible de donner une analyse supportable des scènes décousues composant cette pièce, dont le musicien a fait ça et là une parodie de l’opéra de M. Gounod, mais qui, sous la plume des librettistes, n’est qu’une olla podrida de lazzi plus indécents les uns que les autres, et dans lesquels l’esprit ne dissimule pas la grossièreté. Faust est un vieux maître d’école qui tient une classe de garçons et de filles. Marguerite lui est amenée par son frère Valentin, qui part pour la guerre ; cette drôlesse met l’école sans dessus dessous, et se sauve pour devenir ce qu’on sait. Faust, rajeuni par Méphisto, court après sa belle, la trouve dans un bal public, l’enlève dans un fiacre après avoir tué son frère. Le spectre de Valentin apparaît aux yeux des coupables et les entraîne dans un enfer fort tristement parodié. Pour qu’on ne m’accuse pas de sévérité outrée, voici le texte du finale du troisième acte que les auteurs n’ont pas craint d’intituler : Hymne à Satan !...

Méphisto
Riez, chantez, ô cher troupeau maudit
Maître Satan vous ouvre sa demeure ;
Quand vous chantez, il sait que l’on gémit ;
Quand vous riez, il se dit ; quelqu’un pleure !
C’est moi qui donne le signal,
Démons, tournez dans une ivresse folle
Et qu’une horrible farandole
Ajoute à ce bal
Un aspect infernal !
Et dansez donc !
Et tournez donc !
Deuxième couplet
Riez, chantez, un jour tout finira.
Au train que va la vertu sur la terre,
Le temps est proche où Satan vous dira :
Reposez-vous, je n’ai plus rien à faire.
Et dansez donc !
Et tournez donc !
Vous danserez pendant l’éternité.
Méphisto, Marguerite, Faust.
Ah ! c’est le châtiment !
Danse Général.
Dansez, tournez, dans ce bal infernal,
C’est Méphisto qui donne le signal

Et le rideau tombe sur cette danse ignoble vulgairement appelée cancan, qu’à Londres comme à Vienne, à Berlin comme à Pétersbourg, on appelle la danse nationale française. Je ferai observer que c’est en 1858 que M. Offenbach a le premier introduit dans une œuvre lyrique, Orphée aux enfers, cette danse de mauvais lieu ; que la société policée d’alors, je ne dis pas la société polie (elle avait déjà été rejoindre les vieilles lunes), non-seulement passa condamnation sur ce fait, mais s’en amusa si fort que, depuis, cette danse devint le finale obligé de toutes les opérettes du maestro Offenbach ; que l’administration, fidèle interprète de l’opinion publique, fit de lui et de ses collaborateurs autant de chevaliers de la Légion d’honneur… Ce mouvement musical, si brillamment inauguré en 1858, a régné sans interruption jusqu’à présent. La guerre et les malheurs de la patrie ne l’ont pas interrompu. Il sera l’un des caractères de notre époque et fournira à la postérité des éléments pour la juger. La musique M. Hervé a écrite sur ce livret, considérée en elle-même, est meilleure que ne le comportait le sujet, sans toutefois s’élever beaucoup au-dessus du genre de composition en usage dans les bals publics ; les motifs de valse, de polka et d’autres danses abondent ; l’ouverture elle-même est une valse. La parodie musicale de la kermesse du chœur des soldats, de divers procédés particuliers à M. Gounod est assez spirituelle. Le musicien a traité aussi heureusement plusieurs tyroliennes. Comme il en met dans tous ses ouvrages, il a acquis une grande habitude dans l’arrangement vocal de ces cantilènes ; mais les idées qui pourraient être gracieuses sont dénaturées par des effets de charge à outrance, qui les rabaissent au niveau des tréteaux de la foire. Cependant, au milieu de ces extravagances, on a remarqué deux pages de musique qui se distinguent par un sentiment poétique, une harmonie bien caractérisée ; c’est une idylle qui a pour titre les Quatre saisons. Ce hors-d’œuvre n’a pas de sens dans la bouche de Méphiste et perd une grande partie de son charme au voisinage des sottises et des turlupinades qui l’accompagnent. Mais il est là comme un témoignage de la pensée humaine qui n’abdique pas complètement ses droits, et un hommage presque involontaire rendu à l’art qu’on injurie et qu’on profane. Les représentations du Petit Faust dépassèrent le chiffre de deux cents. L’auteur de la musique joua lui-même le rôle de Faust ; les autres rôles principaux furent chantés par Milher, Vavasseur, Mmes van Ghel, Blanche d’Antigny.


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