Ordre de début

Jadis, au temps heureux des privilèges, et au temps plus heureux encore où les gentilshommes de la chambre du roi étaient chargés de l’administration supérieure des théâtres subventionnés, on accordait à ceux-ci une sorte de droit de préemption sur tous leurs confrères, c’est-à-dire que si l’Opéra, ou l’Opéra-Comique, où la Comédie-Française trouvait, dans un théâtre de Paris ou de la province, un acteur à sa convenance, il lui faisait adresser par le surintendant un ordre de début. Sur cet « ordre », le susdit acteur était obligé de quitter le théâtre auquel il appartenait, et ce théâtre devait lui rendre sa liberté, en dépit de tout engagement. Que si, par impossible, l’acteur se refusait à l’honneur qu’on lui voulait faire, il lui était interdit de paraître à l’avenir sur aucun théâtre de France, et sa carrière était brisée. Cette façon paternelle d’envisager les droits de l’homme et du comédien avait disparu avec la Révolution ; on la retrouve plus vivante que jamais sous la Restauration, et le procès célèbre de Perlet en est une preuve. Voici comment l’Almanach des spectacles de 1823 racontait cette affaire, qui fit tant de bruit en son temps : Dans le courant de mars (1822), Perlet reçut de l’autorité l’ordre de débuter au Théâtre-Français, aux termes des conditions imposées au Gymnase et insérées dans son privilège. Perlet, ne voulant point s’exposer aux chances de ce dangereux honneur, s’y refusa avec modestie, mais en termes positifs. Nos lois nouvelles ne mettant point, comme au bon vieux temps, des lettres de cachet à la disposition des gentilshommes de la chambre, il faut donc souffrit que Perlet ait une volonté. Mais comme le système des privilèges est très favorable à l’arbitraire, en même temps qu’on renonce à faire débuter Perlet au Théâtre-Français, on défend au Gymnase de le faire jouer davantage. Perlet, qui connaît tous ses droits, se présente au bout du mois à la caisse du Gymnase, pour y toucher le traitement stipulé dans son engagement. Refus de payer, motivé sur les défenses de l’autorité. Action intentée au Gymnase par Perlet, en vertu de l’acte en bonne forme qui les lie mutuellement. Tant que l’affaire demeure pendante, Perlet ne touche point son traitement. La privation de son service cause un dommage notable au directeur du Gymnase. Le province, M. Nestor, directeur du théâtre d’Orléans, a pris le parti d’indiquer très clairement, par une dernière ligne, l’ordre de la représentation, et de numéroter les pièces. » Mais comme les progrès les plus simples, les réformes les plus faciles ne sont pas du goût de tout le monde, nous devons bien constater qu’aujourd’hui tous nos théâtres indiquent l’ordre de leur spectacle de cette façon rationnelle, tous, à l’exception de nos quatre grandes scène subventionnées, qui, après un demi-siècle, en sont encore au vieux errements. C’est ainsi, par exemple, qu’il n’est pas rare de voir l’affiche de la Comédie-Française conçue de cette façon baroque.

LE VILLAGE
précédé de
LA JOIE FAIT PEUR,
suivie de
LE FEU AU COUVENT.
commencera par
LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR

Et puis reconnaissez-vous là-dedans, si vous pouvez (Au moment même où je corrige les épreuves de cet article, je remarque que l’affiche de la Comédie-Française a enfin renoncé à cette coutume incommode et ridicule. Elle suit aujourd’hui l’exemple que depuis si longtemps lui ont donné les autres théâtres, et fait connaître chaque jour, par une mention spéciale, l’ordre du spectacle.

Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885


 

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