La médecine du temps de Mozart. Les systèmes médicaux. Tome 5

Les concepts de maladie

Pour les auteurs du XVIIème et du XVIIIème siècle, ce qui manque pour une classification des maladies, c’est une meilleure connaissance de leurs causes. Ils cherchent les causes dans les intempéries, la nature du sol, l’alimentation, les dispositions morales, les passions. Hippocrate avait opposé aux explications théologiques une conception naturelle des maladies : l’influence sur les humeurs des climats et des saisons, des changements de temps, des erreurs de régime, devaient tout expliquer. C’est ainsi que jusqu’au milieu du XIXème siècle, la maladie relève de la pathologie humorale.

Au XVIIème siècle, Sydenham (1624-1689) incriminait avant tout, comme Hippocrate, les constitutions de l’air, mais pressentait également qu’il existait d’autres facteurs, et que les circonstances climatiques ou météorologiques ne lui indiquaient que les causes favorisantes, alors que « les véritables causes de la plupart des maladies sont entièrement incompréhensibles. Il supposait que dans les maladies aiguës « en certain temps l’air se trouve rempli de corpuscules qui sont contraires à l’économie du corps humain ». Cette influence de l’air sur la santé est très présente dans la correspondance de Mozart, expliquant de nombreux maux de toute la famille : « Je regrette que tant de gens soient malades. C’est la faute de la mauvaise saison, nous avons eu beaucoup de pluie et il fait actuellement plutôt chaud pour l’époque, c’est très malsain. » (Madame Mozart) (65) « …il existe ici une sorte de mal du pays, que l’on nomme « refroidissement ». C’est la raison pour laquelle presque personne ne porte de vêtements d’été, mais seulement des vêtements de drap. Ce refroidissement est si dangereux pour les gens qui ne sont pas de bonne constitution, qu’il peut en résulter une consomption, comme ils disent, mais que je nomme « febrem lentam » ; et pour ces gens, la seule possibilité est de quitter l’Angleterre et de rentrer par la mer sur le continent. » (65)

Certains font valoir la théorie de la coction et de l’évacuation, qui guident les choix thérapeutiques. Les effets des traitements ainsi entrepris, bons ou mauvais, sont rétrospectivement autant d’éléments au diagnostic. On considère également que les maladies peuvent se transformer les unes les autres. Barthez se détache de « l’humorisme », et affirme que ce sont les « forces vitales qui sont atteintes dans la maladie. Il insiste également sur l’importance du terrain. Morgani, plus que tout autre, s’est proposé de découvrir le siège des maladies. Il note ce qu’il a vu, et cherche à comprendre. Depuis l’ antiquité, la fièvre (7) (8) (41) est appréciée par le pouls et la chaleur. On considère que l’augmentation du pouls entraîne une augmentation de chaleur, par hyperréactivité du coeur et des artères.

La fièvre, considérée comme salutaire par Hippocrate et plus tard par Boerhaave, est « l’effort que fait la nature pour opérer la coction de la matière morbifique. » ( la coction , selon Hippocrate, est une des trois périodes de la maladie aiguë, située entre la « crudité » et la « crise »). On la voit comme une véritable maladie, différente d’une maladie d’organe car sans signe de localisation. Au cours de toute fièvre, le degré de température du sang et des humeurs est au-dessus de l’état naturel. Pour les humoristes, les remèdes sensés lutter contre la fièvre sont donc tout naturellement les évacuants, exutoires et vomitifs. La fièvre fait l’objet de nombreuses classifications selon son rythme d’évolution et l’humeur corrompue en cause. On lui attribue de nombreux qualificatifs, de la « fièvre inflammatoire » à la « fièvre diathésique », de la « fièvre simple » à la « fièvre putride ». On distingue la fièvre des muqueuses de celle apparaissant lors des maladies éruptives. Cullen classe les fièvres continues en « inflammatoires » (« synocha ») et nerveuses (« typhus »). Haller y introduit la notion d’irritabilité. Stoll prend en compte les saisons, la météorologie. Pour Bordeu, il existe trois temps dans la fièvre : irritation, coction puis excrétion, qui correspondent aux trois temps du pouls. Pour Boerhaave et Van Swieten (27), la fièvre se définit par trois points essentiels : le frisson, le pouls rapide et la chaleur, points variables au cours de la fièvre. Seul le pouls rapide, présent du début jusqu’à la fin, est pathognomonique de la fièvre. Boerhaave distingue la « fièvre vraie », caractérisée seulement par un pouls rapide, de la « fièvre aiguë », qui recouvre la notion d’apparition rapide et de danger. Certaines causes externes, telles que la colère ou les émotions, peuvent provoquer une fièvre, alors que les causes internes sont représentées, entre autre, par des maladies telles que la variole. Il classe les causes de fièvre en 5 parties :
- l’ « ingesta » de nature acide
- le « retenta » ( rétention de choses dans le corps qui auraient du être éliminées)
- le « gesta » ( actions du corps menées à l’excès)
- l’ « applicata » ( application externe . au corps de choses acides, corrosives)
- enfin « toute chose produisant de grandes altérations dans les humeurs et leurs mouvements »

Il distingue également les fièvres en fonction de leur degré de continuité orientant le choix thérapeutique, qui reste entièrement symptomatique. Le type de fièvre détermine ,le moment et l’endroit de la saignée, largement employée dans de nombreuse fièvres. Si le patient guérit, cela veut dire que « la matière morbide a été éliminée ». Boerhaave et Van Swieten prêchent l’importance de l’approche individuelle de chaque malade, s’intéressent au traitement des symptômes et au pronostic de la maladie. Huxham (1692-1768), élève de Boerhaave, se penche lui aussi sur le problème, dans son « Essai sur les fièvres ». Il distingue principalement deux types de fièvres, les fièvres « inflammatoires » ,et les fièvres par « tension nerveuse basse ». Les fièvres inflammatoires sont dues à des fibres ou des vaisseaux trop fermes et tendus, et à un sang trop riche et dense. Elle s’observe après exposition au froid, excès d’alcool, etc. Son traitement repose sur les saignées et les « excrétions » modérées. La fièvre par « tension nerveuse basse » est due à des fibres lâches, un sang pauvre, des humeurs rêches qui obstruent les vaisseaux séreux et lymphatiques. C’est le cas des fièvres apparaissant après une diète pauvre, au cours d’un temps humide ou chez les esprits anxieux. Dans ce cas, la saignée n’est pas indiquée.

De son coté, Pringle (1716-1794), dans ses « Observations sur les maladies de l’armée », distingue fièvre inflammatoire et fièvre putride (ou « bilieuse »), dont les causes sont soit externes, soit internes ( relâchement des fibres, tendance à la putréfaction des humeurs). Parmi ces fièvres, le cas de la « fièvre rémittente pestilentielle » est particulier en ce sens qu’elle apporte la notion de « contagion ». Selon lui, la dissémination de la contagion se fait par « exhalation putride », c’est-à-dire par un ferment conduisant le sang à la putréfaction. Il existe une grande variété de ce genre de fièvre, selon la quantité de « miasmes » virulents. Cullen (27), grand représentant du mouvement nosologique, sépare les fièvres symptomatiques ou « secondaires », des fièvres essentielles ou « primaires », elles-mêmes divisées en fièvre intermittente et fièvre continue. Contrairement à Boerhaave qui voyait dans la fièvre une « lenteur des humeurs », Cullen y voit plutôt un spasme des artères. Il insiste également sur le caractère épidémique de nombreuses fièvres, en relation avec des effluves, et porte une attention particulière au froid et aux changements de température dans le déclenchement des fièvres. Il préconise les traitements diminuant les spasmes artériels : repos, application de froid, saignée, purgation, vésicatoires. Enfin, Brown, pour qui les relations entre excitabilité et stimuli expliquent tous les états corporels, sépare la « vraie fièvre » qu’il met du coté des maladies asthéniques, de la fièvre avec état inflammatoire local qui appartient au groupe des maladies sthéniques. Aucune de ces théories ne se détache réellement des autres, et c’est plutôt la confusion qui prédomine dans ses essais de classification des fièvres. Le dictionnaire Panckoucke (73), qui date du début du 19ème siècle, recense des dizaines de types de fièvres, définies de façon plus ou moins précise, et qui laissent le médecin d’aujourd’hui bien perplexe. L’inflammation (73) est externe ou interne. Interne , elle est diffuse, engendrée par une déséquilibre du sang, et donc résolue par la saignée. La définition donnée dans le dictionnaire Panckoucke est celle-ci : « Terme purement abstrait, par lequel on désigne l’ensemble des symptômes qui se développent dans une partie qui en est affectée. On dit qu’une partie est enflammée quand elle est rouge, tuméfiée, douloureuse, tendue et plus chaude que dans l’état naturel. »

Les traitements de l’inflammation sont la saignée (par excellence), les topiques si le siège de l’inflammation est externe, les repercussifs ( liquides ou cataplasmes), les émollients et les topiques irritants.

Léopold Mozart est très familier avec ce type de traitement : « …j’essayais de combattre le mal en transpirant, ce qui est un remède généralement employé ici, mais cela ne servit à rien. Je pris un léger laxatif, sans résultat. Le pire était mon mal de gorge. Mes amygdales étaient enflammées et écarlates, et aucun gargarisme ne servait à rien. On dut me saigner, car je ne pouvais même plus avaler de bouillon. Les maux de gorge s’apaisèrent peu après la saignée, mais j’avais toujours de la fièvre et il m’était aussi interdit de prendre autre chose qu’un mauvais bouillon. J’étais totalement affaibli et mon estomac si complètement dérangé que le médecin vint, le 25, il fut un peu gêné et dit que je n’étais pas un sujet à prendre tant de médicaments, que je devais manger et reprendre des forces grâce à la nourriture. » (65)

La contagion (15) est un concept issu du grand mouvement du XVIIème siècle de découverte de l’histologie et de l’histophysiologie par Malpighi (en 1660). Ce développement permit également à Redi, dans son ouvrage de 1668, de mettre en doute la doctrine de la génération spontanée, avancée par Aristote. De même se développe au XVIIème siècle la théorie du « contagium vivum », qui donne les causes et mécanismes de propagation d’une affection contagieuse. Selon cette théorie, on peut supposer que les maladies contagieuses sont causées par des insectes invisibles à l’oeil nu (15). En 1714, Cogrossi affirme que la nature vivante de la contagion permet d’expliquer certaines caractéristiques des maladies contagieuses. C’est le début des notions d’immunité naturelle, d’hygiène publique face à la contagion, de réinfestation, de diffusion rapide de la contagion, de la transmission, de la période d’incubation, etc. A la même époque, Spallanzani (1729-1799), lors de ses recherches sur les moisissures, découvre l’existence des spores. C’est aussi le début des concepts d’endémie et d’épidémie. On établit que « les épidémies (65) reconnaissent pour agents la rapidité et l’étendue des changements que l’atmosphère éprouve dans ses qualités et modes. » Les épidémies relèvent de plusieurs Causes : les épidémies « constitutionnelles » sont dues aux altérations de l’air. les épidémies « effluviennes » ont pour cause les exhalaisons des marais. Enfin les épidémies « miasmatiques » ont pour origine « toute émanation du corps de l’homme ». L’atmosphère est le principe de toute épidémie.

« II est certain qu’avec cette humidité générale, on peut craindre pour sa santé, et il est bien possible que certaines personnes qui, par suite, mangent du mauvais grain ne soient atteintes par des épidémies. Il faut se tenir chaudement vêtu et faire attention au temps puisque le vent et Vair sont extrêmement froids. » (65)

Les « effluves » expliquent le phénomène d’intermittence des maladies. Parmi les épidémies « constitutionnelles », soumises aux tempéraments : les rhumes, les phlegmasies aiguës des poumons, les rhumatismes, etc. Les épidémies miasmatiques comprennent le typhus, la « dysenterie putride », la « pourriture d’hôpital », etc. La contagion (15) (73), quant à elle, est « due au contact médiat ou immédiat avec un agent de transmission : le « virus », dont l’origine est inconnue, qui résiste au milieu extérieur et qui est influencé par l’atmosphère. Les maladies contagieuses sont donc distinguées des maladies à développement spontané. L’air n’est pas considéré dans ce cas comme un mode de transmission. Les « virus », véhiculés par un « fluide », sont absorbés par la peau et les muqueuses. On pense que toutes les maladies contagieuses entraînent des symptômes cutanés, et que tout virus est susceptible de faire l’objet d’une inoculation. Sont considérées « non contagieuses » des maladies telles que : le typhus, la dysenterie. Sont considérées comme contagieuses : la peste, la vérole, la variole, la gale. On commence alors à. parler de mesures anti-contagieuses : l’isolement, les lotions, les vapeurs font leur apparition. L’infection, classée comme la contagion et les épidémies dans les maladies non sporadiques, est due à « l’atmosphère qui transporte les miasmes, les émanations putrides ou les effluves. » (73)

Les concepts de maladie, de fièvre et d’inflammation sont très familiers à Léopold Mozart. Il en a une idée à la fois classique et à la fois personnelle, donnant de nombreux détails en ce qui concerne les phénomènes corporels. Il se révèle également très au fait des indications thérapeutiques, insistant particulièrement sur les mesures diététiques : « Il est normal que ton catarrhe ait empiré lors de la répétition, tous les nerfs de la tête sont échauffés et tendus par la concentration de l’ouïe et de la vue, et cette tension se transmet à la poitrine du fait de l’ardeur et de l’attention. On ne respire pas bien, ni régulièrement, comme à l’ordinaire, on retient parfois son souffle ou -on respire trop rapidement et trop fort, etc. Cela échauffe et fatigue la poitrine, le sang bouillonne, le rhume ne peut donc pas s’apaiser et l’engorgement devient au contraire plus fort. Tu as fort bien fait de prendre du sirop de violette’ et de l’huile d’amande douce, - la poudre noire et la poudre du margrave ne peuvent rien gâcher, N.B. : le soir, avant de se coucher - mais pas beaucoup - et lorsque tu n’es pas échauffé, tu peux prendre un peu de poudre noire, seule, car la poudre du margrave n’agit que lorsqu’on a un échauffement. Le principal est la diète. Mange peu. De la soupe, tant que tu veux, mais pas de boeuf. Un peu de veau bouilli ou du mouton.- De préférence, de la langue bouillie. Du riz bien bouilli, de la bouillie d’orgeat ; mais pas le sucre, seulement le suc, et de l’orge pressé clans un linge propre. Cela donne des forces à la poitrine en l’humidifiant. Tu peux boire de l’eau d’orgeat, qui adoucit l’échauffement de la poitrine, l’humidifie, fait circuler le sang, l’adoucit et améliore l’humidité naturelle bénéfique, etc. On prend six demi-onces d’orge de bière, c’est l’orge dont se servent les brasseurs, on y ajoute une petite demi-once de réglisse, on fait cuire le tout dans trois pintes d’eau (dans deux litres d’eau) d’après les mesures utilisées à Munich - mais on laisse bouillir jusqu’à ce que l’orge éclate, ou s’ouvre, puis on retire du feu, sinon cela devient trouble. - On y met un peu d’anis et on laisse refroidir et reposer, puis on verse lentement dans un autre récipient, pour boire, en laissant le dépôt au fond. Si l’on ajoute à la réglisse une demi-once de racine d’althoea (guimauve), que l’on fait également cuire, c’est remarquable pour la poitrine. Avant de boire, on ajoute une tranche de citron. » (65) « Maintenant tu as assez de remèdes au choix. Ta soeur, qui va bien, et moi- même, avons toujours bu de l’orgeat ; nous en avons souvent pris, et toi aussi, tu le sais bien. Ainsi, tu n’as plus besoin de poudre noire, à laquelle il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’avoir recours quotidiennement. Les bains de pieds, pas trop chauds, sont toujours bénéfiques. Es libèrent la tête en tirant les influx vers le bas. Mais pas de vin, et rien de froid. Pour le déjeuner et le dîner, les carottes cuites sont également excellentes, ainsi que les betteraves bien cuites, ou, pour employer un langage culinaire, les carottes et betteraves à l’étouffée sont remarquables, et de temps en temps, des pommes de Maschansk cuites, etc., dans la journée, pour s’humidifier. Il suffit de les mettre sur le poêle ou dans le four, etc., Voici une bonne pharmacie et bien des recettes de cuisine. Mais le mieux pour s’en sortir rapidement consiste à se mettre au lit de bonne heure, l’estomac libre, pour laisser la nature en paix, dans une chaleur régulière, où les humeurs malignes qui sont à l’origine du rhume peuvent se diluer, se liquéfier, et s’échapper plus aisément par la salive, ou per urinam et secessum. Ita Clarissimus Dominus Doctor Léopoldus Mozartus. » (65)

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