Jean-Laurent dit le chevalier Bernin ou Bernini en italien

Sculpteur, architecte et peintre né en 1680 à Rome

Sculpteur, architecte et peintre, originaire de Toscane, né à Naples en 1598 et mort à Rome  en 1680. Les leçons que le jeune Berlin reçut de son père assez bon sculpteur, jointes à l’étude des chefs-d’œuvre anciens et modernes qui font à Rome, développèrent bientôt ses talents pour les arts. Il fit à l’âge de dix ans une tête de marbre, que l’on voit aujourd’hui dans l’église de Sainte-Praxede, et qui mérita le suffrage de tous les connaisseurs. Paul V, qui voulut connaître un enfant d’un si rare mérite, lui demanda s’il savait faire une tête. Il répondit aussitôt : Quelle tête demande Votre Sainteté ? Si cela est, dit le pape, il les fait toutes. Il lui ordonna celle de S. Paul ; le modèle fut achevé en une demi-heure. Le pape, étonné de ce qu’il venait de voir, eut soin de faire cultiver un talent qui annonçait un second Michel-Ange. Le jeune Bernin continua de s’appliquer avec succès à la sculpture. Il avait à peine dix-sept ans, qu’on voyait déjà dans Rome plusieurs beaux ouvrages sortis de ses mains, parmi lesquels on compte le beau groupe d’Apollon et de Daphné, qui est dans la villa Pinciana. Sa réputation fut dès lors si bien établie, qu’on le regardait déjà comme un prodige, et qu’on se le montrait lorsqu’il passait dans les rues.

Cependant les louanges ne le corrompirent point  elles ne servirent, au contraire, qu’à exciter son zèle et son émulation. Son génie vaste embrassa la peinture et l’architecture, en même temps qu’il faisait des chefs-d’œuvre de sculpture. Nous n’entrerons pas dans le détail de tous ses ouvrages, qui nous mènerait trop loin ; nous nous conterons d’indiquer quelques-uns des principaux. La fontaine de la place Navone doit occuper le premier rang. On ne se lasse point d’admirer l’élégance et la noblesse jointes au naturel rigoureusement observé dans ce magnifique ouvrage. Le Bernin avait abandonné à ses élèves les quatre figures colossales qui représentent les quatre principaux fleuves de la terre, à savoir le Nil, le Danube, l’Euphrate et le Niger ; et il se réserva pour lui le rocher qu’il regardait comme le morceau le plus difficile.

La colonnade qui environne la place de Saint-Pierre n’est pas moins remarquable ; mais ce qui l’emporte peut-être est la fameuse chaire de Saint-Pierre, qui est toute de bronze doré et soutenue par quatre statues colossales du même métal, qui représentent les quatre Pères de l’église, dont deux Grecs, savoir S. Grégoire de Nazianze et S. Athanase et deux Latins, savoir S. Augustin et S. Ambroise. On raconte que la chaire de Saint-Pierre étant placée dans l’endroit où elle est aujourd’hui, notre artiste alla chez André Sacchi, peintre célèbre, pour le prier de venir avec lui dans l’église de Saint-Pierre, afin d’y examiner son ouvrage. Le peintre, qui était d’un caractère mélancolique et austère, ne voulait point se donner cette peine ; mais il ne put résister aux pressantes sollicitations de Bernin. Il monta en carrosse comme il se trouva chez lui, c’est-à-dire en robe de chambre et en pantoufles. Etant entré dans l’église de Saint-Pierre, il s’arrêta sous la voûte, et dit à notre artiste : C’est d’ici que l’on doit voir votre ouvrage. Bernin le supplia d’avancer un peu, mais André Sacchi ne voulut point faire un pas de plus. Après avoir considéré pendant quelques temps l’ouvrage de notre artiste, il lui dit : Ces figures devaient avoir une palme de plus ; et il s’en alla tout de suite. Le Bernin reconnut très bien que la critique du peintre était juste ; mais il n’était plus temps de réparer sa faute.

Parmi les autres monuments du génie de ce grand artiste, on distingue les tombeaux d’Urbain VII et d’Alexandre VII, la statue équestre de Constantin, la statue de sainte Bibiane ; celle de sainte Thérèse ; qui passe pour une des plus belles de Rome ; et qu’on peut citer comme un chef-d’œuvre d’expression, l’église de Saint-André du noviciat des Jésuites à Rome, qu’on regarde comme un bijou en fait d’architecture. Nous sommes obligés de passer sous silence, pour ne pas allonger cet article, bien d’autres ouvrages qui rendront la mémoire de Bernin immortelle. Nous allons parler plus en détail du voyage qu’il fit en France, parce que nous croyons que nos lecteurs y prendront plus d’intérêt. Louis XIV et Colbert avaient demandé à cet artiste des dessins pour la façade du Louvre. On en avait été si satisfait, que le roi lui envoya son portrait enrichi de diamants, et qu’il lui écrivit la lettre suivante, pour qu’il vint en France les faire exécuter lui-même.

Monsieur Le Chevalier Bernini
« J’ai une estime si particulière pour votre mérite que je désire avec empressement de voir et de connaître de plus près un artiste aussi célèbre que vous, pourvue que mes souhaits ne nuisent point au service de Sa Sainteté et qu’ils ne vous dérangent point. Telles sont les raisons qui m’engagent à expédier à courrier extraordinaire à Rome, pour vous inviter à me procurer la satisfaction de vous voir en France. J’espère que vous profiterez de l’occasion favorable que vous fournit le retour de mon cousin le duc de Créqui, mon ambassadeur extraordinaire, qui vous expliquera plus amplement les raisons qui me font désirer de vous posséder et celui de parler avec vous vous sur les beaux dessins que vous m’avez envoyés pour la construction du Louvre. Au reste, je m’en rapporte à ce que mon dit cousin vous fera entendre, par rapport à mes bonnes intentions. Je vous prie Dieu, Monsieur le chevalier Bernini, qu’il vous ait en sa sainte garde. LOUIS
A Lyon, ce 11 avril 1665

Le pape consentit au voyage de Bernin, qui partit pour la France en 1665. On peut donner le nom de marche triomphante à son voyage. Le roi fournit ses équipages à cet artiste. Le grand-duc de Toscane lui fit faire une entrée publique à Florence et pria le marquis Ricardi de le traiter magnifiquement. Le Bernin reçut les mêmes honneurs à Turin. Tous les professeurs de dessin qui étaient à Lyon, et toutes les personnes de qualité vinrent le complimenter ; on accourait en foule de tous les côtés pour le voir, comme s’il eût été un éléphant, ainsi qu’il le disait lui-même. Le nonce du pape sortit de Paris pour le recevoir, et le conduisit au Palais-Royal, comme un homme qu’il allait honorer la France. Toute la cour et toute la noblesse s’empressèrent à lui procurer toutes sortes d’agréments. Le roi le reçut avec bonté, et lui donna des preuves de sa générosité et de sa bienveillance. Le Bernin étant arrivé à Paris avec tant d’appareil, comme le seul homme digne de travailler pour Louis XIV, fut très surpris de voir la façade du Louvre, du côté de Saint-Germain l’Auxerrois, dont Claude Perrault avait donné le dessin. Lorsqu’il aperçut ce grand ouvrage, il dit publiquement qu’il était inutile de l’avoir fait venir en France, où il y avait des architectes de la première classe. Cette sincérité fait plus d’honneur au chevalier Bernin, que ses talents supérieurs pour la sculpture et pour l’architecture.

Cependant il ne fit rien en France comme architecte, quoiqu’il fût parti uniquement pour donner de nouvelles preuves de son mérite dans ce genre ; mais il exécuta le buste du roi en marbre. Un jour que Louis XIV lui donna une séance d’environ une heure, le Bernin s’écria : Miracle ! miracle  un roi si actif et Français est resté pendant une heure dans la même attitude.

Comme il dessinait une autre fois le portrait de ce prince, il éleva sur la tête de Louis XIV une boucle de cheveux, il éleva sur la tête de Louis XIV une boucle de cheveux, en lui disant : Votre Majesté peut montrer son front à tout l’univers. Les courtisans ajustèrent alors leurs cheveux comme le Bernin avait arrangé ceux du roi. Cette mode fut appelée à la Bernine. Cet artiste fit encore un compliment spirituel à la reine, qui louait beaucoup le portrait du roi qu’il venait de faire. Votre Majesté, dit le Bernin, loue ce portrait, parce qu’elle en chérit l’original. Quelques dames lui demandèrent qu’elles étaient les plus belles femmes, ou les Françaises, ou les Italiennes. Toutes, répondit-il ; il n’y a d’autre différence que le sang coule sous la peau des Italiennes et que l’on aperçoit le lait sous celle des femmes Françaises. Le Bernin eut cinq louis à dépenser par jour, pendant les huit mois qu’il demeura en France ; à la fin un présent de cinquante mille écus, avec une pension annuelle de six mille livres, et une pension de cinq cents écus pour son fils qu’il amena avec lui. De pareilles récompenses honorent le monarque et les arts. On prétend cependant qu’elles annoncent plus de faste que de discernement, parce que le Bernin avait fait très peu de choses en France.

Cet artiste, de retour à Rome, fit en reconnaissance de tant de bienfaits la statue équestre de Louis XIV, qui est actuellement à Versailles. Il avait quatre-vingts ans lorsque, pour témoigner sa reconnaissance à la reine Christine, sa protectrice la plus zélée, il commencer à sculpter avec le plus grand soin la statue de Jésus-Christ en marbre, en demi-figure, plus grande que nature. Elle fut particulièrement exécutée ; mais la reine ne voulut point l’accepter, parce qu’elle n’était plus en état de le récompenser comme elle l’aurait désiré. Le Bernin lui laissa cependant ce morceau par son testament. Cet artiste mourut enfin à l’âge de quatre-vingt-deux ans, et fut enterré  l’église de Sainte-Marie-Majeure. On prétend que sa succession montait à quatre cents mille écus Romains, c’est-à-dire à deux millions de livres de France. Elle parut une bagatelle aux yeux de la reine Christine ; elle dit au prélat qui lui donna cette nouvelle : S’il eût été attaché à mon service, j’aurais honte qu’il eût laissé si peu.
Le chevalier Bernin était plein de feu, colère, et avait un ait imposant. Il était d’ailleurs bon Chrétien, très charitable, et ennemi de la calomnie et de la médisance. La vivacité de son esprit tenait du prodige. Il aimait la comédie et se plaisait à la jouer impromptu. Il réussissait singulièrement dans plusieurs rôles. On aurait dit qu’il possédait par cœur Plaute et Térence, qu’il n’avait toutefois jamais lus. Il inventa plusieurs machines pour le théâtre ; entr’autres, un moyen très singulier pour faire paraître le soleil sur la scène, achevant son cours dans le ciel. Le roi de France en voulut avoir le dessin. Des machines plus utiles encore, qui sont également de son invention, se voit à la monnaie de Rome, où elles font l’office de balancier et de laminoir : elles sont mues par le moyen de l’eau. Le talent de cet artiste ne se manifesta pas seulement dans la sculpture et dans l’architecture ; il peignait encore, quoique ce fût pour son amusement. On compte cent cinquante tableaux de lui, qui sont pour la plupart au palais Barberin et au palais Chigi. On voit un grand tableau du même artiste dans la chapelle du très Saint Sacrement dans l’église de Saint-Pierre, qui représente un trait de la vie de S. Maurice.

Mais la sculpture était la passion dominante de Bernin, puisqu’il était capable de manier le ciseau pendant sept heures de suite. Il restait quelquefois en extase sur son échafaud et se plongeait souvent dans des méditations si profondes, qu’il fallait qu’il eût toujours une personne à côté de lui, de peur qu’il ne se laissât tomber dans ces moments de distraction, il ne voulait pas qu’on l’en détournât, et disait pour son excuse : Ne me touchez pas, car je suis amoureux. Il se mettait quelquefois en colère contre son ouvrage, parce qu’il n’en était jamais content. Le caractère de cet artiste dans la sculpture est le gracieux et le tendre ; son architecture est élégante, agréable et svelte. Ses édifices plaisent au premier coup d’œil, même aux ignorants.

Le chevalier Bernin eut plusieurs frères, dont l’un nommé Louis fut également sculpteur, architecte théoricien et très habile dans les mécaniques. Ce fut lui qui inventa cette tour de bois de quatre-vingts pieds de haut, que l’on voit mouvoir dans l’église de Saint Pierre avec tant de facilité, pour en nettoyer les murs. Il imagina encore une balance pour peser les bronzes de la chaire de Saint-Pierre et les statues colossales qui la supportent. Le fils du chevalier Bernin, appelé Paul, professait aussi la sculpture. Il a montré du talent dans les deux tombeaux qu’on voit à la chapelle de la Conception, dans l’église de Saint-Isidore, à Rome. On le trouve inscrit au catalogue de l’académie Romaine en 1672.

Dictionnaire des artistes ou Notice historique et raisonnée des architectes, peintres, graveurs, sculpteurs, musiciens, acteurs et danseurs. Ouvrage rédigé par M. l'Abbé de Fontenai. 1776


 

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