Ingénuités

L’un des emplois de femme les plus charmants qui soient au théâtre. Suffisamment caractérisé par son nom, il appelle seulement cette remarque que l’ingénuité est une toute jeune amoureuse, dont le cœur s’ouvre à peine aux émotions et aux accents de la passion, et qui conserve la candeur et l’innocente la plus pure. Les deux rôles d’Agnès de l’École des femmes et de Marianne de Tartufe sont les types de l’ingénuité de ka haute comédie. Celui de Chérubin, dans le Mariage de Figaro, rentre aussi dans cet emploi, et offre un des rares exemples de rôles travestis qu’il comporte ; cependant il semble tenir plutôt et tout à la fois de la jeune première et de la soubrette. Parmi les ingénuités qui se sont rendues célèbres à la Comédie-Française, il faut citer tout d’abord cette charmante Mme de Brie, l’amie de Molière, qui a soixante ans jouait encore Agnès de manière à faire illusion, et Mlle Mars, qui jouit du même avantage et qui a laissé un nom impérissable. On ne saurait oublier non plus Mlle Gaussin, que Dorat a chantée dans des vers langoureux, et dont de Boissy a fait ce joli portrait dans une de ses pièces, l’Embarras du choix, en parlant précisément du personnage qu’elle représentait :

Rien ne peut l’enlaidir, tout sied à sa personne ;
Tout devient agrément par l’air qu’elle lui donne.
On ne saurait la voir sans en être enchanté.
Son air, son caractère est l’ingénuité,
Mais l’ingénuité fine, spirituelle ;
Car elle a de l’esprit presque autant qu’elle est belle.
Ses grâces sans étude, et qui n’ont rien d’acquis ;
Charment dans tous les temps, sont de tous les pays ;
Et son âme parfaite, ainsi que sa figure,
Pour devoir rien à l’art tient trop à la nature.

Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d'Arthur Pougin, 1885

Du latin ingenuitas

Ce qui est ingénu est simple, franc, sans déguisement et sans finesse. Beaucoup d’actrices croient imiter l’ingénuité en baissant la tête du côté soit à gauche soit à droite ; elles se trompent étrangement ; elles marquent l’afféterie et la manière, mais non le naturel. Il faut baisser la tête perpendiculairement sur la poitrine et non de côté, ce qui est du dernier ridicule, surtout dans la tragédie. Quelquefois en jouant des ingénues, les actrices paraissent vouloir représenter des personnes fort instruites ; elles prennent aussi trop souvent, croyant avoir par là le ton plus simple, la voix dans la tête.

Dictionnaire de l’art dramatique A l’usage des artistes et des gens du monde Ch. De Bussy Paris, Achille Faure, 1866