Hygiène et santé publique du temps de Mozart. Dossier 2

Inoculation de la variole

La méthode de l’inoculation de pus variolique devient célèbre au XVIIIème siècle, au moment ou l’Europe connaît de nombreuses épidémies meurtrières de « petite vérole ». La méthode d’inoculation de la variole la plus anciennement connue est chinoise. Elle est mentionnée pour la première fois en Occident en 1700. Elle consiste à prélever le contenu des pustules varioliques sur un malade avec un petit coton, à le laisser sécher dans un récipient fermé et à l’introduire ensuite dans les narines de l’enfant. Elle reproduit l’invasion naturelle de la maladie.
Une méthode différente, dite « à la turque » se répandit en Europe, et est décrite pour la première fois en 1714. Elle consiste à perforer avec une aiguille l’épiderme en le soulevant légèrement pour introduire du pus de varioleux. La sécurité dépend de règles strictes. Cette méthode fut tout d’abord pratiquée en Angleterre, vers 1720.
L’inoculation est discutée mais exceptionnellement pratiquée hors d’Angleterre dans la première partie du 18ème siècle.

La variole fait peur ; on fuit les personnes touchées par la maladie, par peur de la contagion. Dans les formes graves, les lésions sont sévères, emportant le malade dans d’affreuses souffrances . A l’occasion de graves épidémies, vers 1750, elle est remise à l’honneur, soutenue par les Encyclopédistes, qui voient là une « machine de progrès ». A cette date, elle touche pratiquement tous les pays d’Europe, mais n’est appliquée qu’à un petit nombre de gens, principalement dans chez les riches.
« Samedi dernier, on a inoculé la variole à sa Majesté la fille de l’empereur, la Princesse Theresia et aux Princes Ferdinand et Maximilian. Vous pouvez vous imaginer l’émoi suscité ici. » [7] « Les nobles personnages inoculés se portent bien. Tout le monde veut maintenant se faire inoculer. » [7] Le principe de l’inoculation de la variole repose sur une constatation empirique fondamentale : les sujets qui ont subi une attaque de variole et ont survécu sont pour toujours protégés vis-à-vis de la maladie. L’hypothèse de base est donc que la contagion n’attaque pas deux fois la même personne, comme le suppose Léopold Mozart lorsque Nannerl est atteinte : « Ma fille a heureusement guéri de la variole ! C’est la preuve que les quelques maladies qu’elle avait eues étant enfant n’étaient pas la véritable variole, comme je le pensais bien. » [7]

Jenner inoculant la Vaccine par G. Melinque 1879

Après l’inoculation, la réaction est généralement bénigne, rarement mortelle, elle est nulle ou insignifiante chez ceux qui avaient déjà contracté la maladie par le passé.
L’inoculation universelle remplace les grandes épidémies par une endémie permanente, beaucoup moins dangereuse, car une petite éruption locale se substitue à une éruption généralisée. Ce principe, sous l’influence des Encyclopédistes, est représenté comme une « grande révolution à faire dans les esprits », malgré certains théologiens qui considèrent qu’il n’est pas permis de donner un mal pour procurer un bien, et malgré certains médecins qui craignent que l’inoculation dans un milieu non infecté ne soit à l’origine d’une épidémie iatrogène. Dans la population, le procédé fait également des sceptiques. Voici ce que Léopold Mozart en pense , dans une lettre aux Hagenauer :
« Savez vous ce que les gens veulent tous ici ? Ils veulent me convaincre de faire inoculer la variole à mon fils. Mais comme j’ai suffisamment donné à entendre mon aversion pour ce procédé, ils me laissent maintenant en paix. Ici, c’est la mode générale, mais on ne peut le faire en ville sans autorisation, et uniquement à la campagne, car du fait des bons résultats de l’inoculation, les gens petits et grands- se sont fait inoculer en masse, de sorte que l’on trouvait parfois 3, 4 personnes ou plus atteintes de la petite vérole dans une même maison. Comme cela aurait pu avoir des conséquences fâcheuses, on ne peut plus le faire qu’à la campagne ou demander l’autorisation auprès de l’intendant de Paris. Pour ma part, je m’en remets à la grâce de Dieu. Il dépend de sa bonté divine de laisser en ce monde ce miracle de la nature qu’il a bien voulu y mettre ou de le reprendre à Lui. Je veillerai sur lui de la même manière, c’est certain, que nous soyons à Salzbourg ou en quelque lieu qui soit au monde. » [7]
Le risque de provoquer la mort d’un enfant sain pèse lourd sur la responsabilité des parents et des médecins, même si ce risque est inférieur à celui de mourir plus tard de la contagion naturelle.

En 1763, en France, le Parlement interdit provisoirement l’inoculation, « en attendant que le dossier soit clairement jugé par les facultés de médecine :.. ». Peu de temps après, l’autorisation d’inoculer dans les communes est accordée, et l’inoculation se répandra au sein de la population, atteignant les classes défavorisées, permettant un net recul de la maladie dès la fin du XVIIIème siècle.
On édifie même des maisons spécialisées dans l’inoculation, accueillant les plus démunis :« A propos, avez-vous entendu parler du succès de l’inoculation de la variole ? A Meidling, près de Schonbrum, l’impératrice a mis une maison à la disposition des enfants traités par l’inoculateur anglais. Il s’agit d’enfants pauvres, qui reçoivent chacun - ou plutôt leurs parents - un ducat à leur admission. Quarante ont déjà été inoculés avec succès. L’empereur et l’impératrice viennent presque chaque jour leur rendre visite et soutiennent de toutes leurs forces cette entreprise. En revanche, presque tous les médecins sont furieux. Ce n’est pas étonnant, cette maladie et le traitement rapportaient généralement gros, quelle qu’en soit l’issue. Dieu merci, notre inoculateur était le meilleur ! . » [7]
Par la suite, Jenner améliorera la protection vis-à-vis de la variole en imposant l’inoculation de la « cow-pox », maladie bénigne des vaches, assurant une immunité contre la variole jusqu’à Pasteur et ses découvertes.

Rédacteur Médecine des arts® Docteur Gwenaëlle Martiné
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Bibliographie

Revue Médecine des arts, n°71. Numéro spécial Instrument à vent
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