Hippocrate

Le serment d'Hippocrate

A l’égard de la matière médicale, il ajouta beaucoup à celle qui était en usage parmi les Cnidiens ; et comme ceux-ci n’employaient d’autres remèdes que le lait, le serum lactis et le suc épaissi du concombre sauvage, il attribuait la simplicité de cette médecine au défaut de génie et d’expérience. Il avouait cependant qu’avec ces remèdes si simples on pouvait guérir de très grandes maladie ; mais il ne sentit pas moins qu’il était important d’enrichir la matière médicale, pour la mettre en état de répondre à la variété des cas. Le choix qu’il fit de ses médicaments est si judicieux, il les employa même avec tant de succès, que la plupart sont encore aujourd’hui en usage, et se trouvent dans cette foule surchargés. Parmi les médicaments familiers à Hippocrate, il en est plusieurs qu’on ne saurait trop définir, tant il est difficile d’expliquer leur préparation. Sa pharmacopée, qu’il cite plus d’une fois, n’a jamais été publiée ; en sorte que nous n’en pouvons juger que par ce que nous trouvons dans ses livres sur les maladies des femmes et dans d’autres endroits. C’est de là que nous apprenons qu’il ne fit jamais usage que de peu de remèdes et des plus simples.

Hippocrate mourut à Larissa, ville de Thessalie, âgé de quatre-vingt-dix ans, et selon d’autres de quatre-vingt-cinq seulement ; mais il y en a qui le font vivre jusqu’à cent quatre et même cent neuf ans ; ce qui ferait honneur à savoir et à son régime. Il fut inhumé entre Gyrtone et Larissa. C’est ainsi qu’en parle Soranus qui rapporte que de son temps on montrait encore l’endroit où était son tombeau. Ce grand médecin n’avait point demandé aux Dieux, pour récompense des services qu’il rendait aux hommes, ou des plaisirs, ou des richesses, mais une vie longue et de la santé, du succès dans son art, et une réputation durable chez la postérité. Ces souhaits sont contenus dans le serment qu’il exigeait de ses disciples. Ils furent accomplis ; car il vécut fort âgé, sain de corps et d’esprit ; et tels furent ses succès dans la médecine, qu’il en a été regardé comme fondateur. Les honneurs dont on l’a comblé pendant sa vie ont rendu sa mémoire immortelle. Il mérita une statue d’or de la part des Argiens ; les Athéniens lui décernèrent des couronnes, le maintinrent lui ses descendants dans le Pritanée, et l’initièrent à leurs grands mystères : marque de distinction qu’on accordait rarement aux étrangers, et dont Hercule seul avait été honoré avant lui.
Quelques grandes qu’eussent été les marques de considération que les contemporains d’Hippocrate lui ont données, eux qui semblent avoir épuisé tous les moyens que dicte la reconnaissance pour honorer son mérite, la postérité ne voulut rien leur devoir de ce côté-là. Elle substitua les éloges aux récompenses ; monuments plus durables que ces mystérieuses cérémonies du paganisme, dont l’éclat passager finit avec la personne. Platon et Aristote, les deux plus sublimes génies qui peut-être ont paru depuis lui ; l’ont regardé comme leur maître et n’ont pas dédaigné de le commenter. Tous les auteurs anciens l’ont vanté comme le père de la médecine, et l’ont proposé comme le premier guide dans les difficultés dont cet art est rempli. Macrobe a dit de lui : Hippocrates qui tam fallere quam falli nescit. Mais il faut remarquer que cet illustre médecin était bien éloigné de penser aussi favorablement sur son compte : après avoir mérité l’admiration de ses contemporains par sa science, il fallait encore qu’il méritât celle de la postérité par sa modestie. En effet, il ne fait point de difficulté d’avouer ses fautes ; on ne voit pas non plus qu’il craigne de rapporter les exemples des malades qui sont morts entre ses mains. Il avait coutume de dire qu’il fallait si bien apprendre la médecine, qu’on manquât le moins possible, et il ajoutait que dans cette profession, celui-là est fort à louer, qui fait le moins de fautes. Au cinquième livre des Epidémiques, il avoue, même avec une ingénuité dont il n’y a guère que les grands génies qui soient capables, qu’avant été appelé auprès d’Autonomus qui avait reçu un coup à la tête, il prit la blessure du crâne pour une des sutures et négligea de le trépaner. Le jour suivant le malade sentit une douleur violente au côté, il eut des convulsions dans les bras. Hippocrate reconnut alors sa faute, trépana Autonomus ; mais ce fut en vain, car il y avait une quinzaine de jours qu’il était malade, on était en été et il mourut le jour suivant. Une autre preuve que donne ce médecin de son ingénuité à avouer ses malheurs, c’est dans le premier et le troisième livre des Epidémiques.

De quarante-deux malades, il ne n’en trouve que dix-sept qui se soient tirés d’affaire ; tous les autres sont morts. Cet aveu n’a rien coûté à sa modestie ; c’est pourquoi on doit le croire, lorsqu’il dit dans le second livre qu’on vient de citer, en parlant de certaine esquinancie qui était accompagnée de grands accidents, que tous les malades en échappèrent ; s’ils étaient morts, ajoute-t-il, je le dirais de même. Quintilien le loue beaucoup de cette ingénuité ; et si l’on voit dans ce procédé le caractère d’un homme d’honneur et de probité, il paraît qu’il était tel par toutes ses maximes, mais spécialement par celles que renferme le serment qu’il exigeait de ses disciples. Je sais que certains auteurs regardent le livre De jurejurando comme supposé ; mais comme toute l’antiquité l’a attribué à Hippocrate, et que d’ailleurs il est calqué sur les sentiments que tout le monde lui accorde, on n’avance rien de trop, en lui faisant honneur des maximes, dont il faisait jurer l’observance à ses élèves. Telle est la teneur de ce serment :
 

« Qu’un médecin sera obligé de regarder comme son propre père celui qui lui aura enseigné la médecine, qu’il lui aura enseigné la médecine ; qu’il lui fera part de tout ce qui sera en son pourvoir, par rapport aux choses nécessaires à la vie ; qu’il regardera aussi les enfants de cet homme comme ses frères, et qu’il leur enseignera à son tour la même profession, s’ils ont dessein de l’apprendre, sans en exiger aucun salaire ; qu’il leur communiquera tout ce qu’il saura, comme à ses propres enfants ; et qu’il usera de même à l’égard de tous ceux qui voudront s’engager par le présent serment, mais non pas à l’égard des autres. Qu’il ordonnera à ses malades le régime de vivre qu’il jugera leur être le plus convenable, et qu’il empêchera de tout son pouvoir qu’on leur nuise. Qu’il ne se laissera jamais persuader de donner à personne une drogue mortelle ou du poison, ni ne conseillera aux autres de le faire, et que pareillement il ne donnera à aucune femme des remèdes pour la faire avorter ; mais qu’il exercera son art en homme de bien. Qu’il ne taillera point ceux qui ont la pierre dans la vessie ; mais laissera faire cela aux personnes qui se destinent particulièrement à cette opération. Que dans les maisons où il entrera, ce sera uniquement à dessein de travailler au bien du malade, et qu’il se conduira en sorte que l’on n’ait jamais aucune matière de soupçon contre lui, ou qu’on ne le puisse accuser d’avoir fait le moindre tort ou la moindre injure à qui que ce soit, particulièrement d’avoir abusé de quelque femme ou fille, ou jeune homme, soit libre, soit esclave ; enfin, qu’il observera de tenir secret ce qu’il aura vu ou entendu, soit en faisant la médecine, soit autrement, lorsqu’il jugera que c’est une choses qui ne doit pas être publiée. La conclusion est qu’il souhaite que toute sorte de bonheur lui arrive dans l’exercice de sa profession s’il tient religieusement son serment, et le contraire s’il se parjure. Celui qui fait ce serment jure par Apollon le médecin, par Esculape, par Hygioea, par Panacea, et par tous les autres dieux et déesses. »

Se peut-il un plus honnête païen ? On voit assez par ce serment qu’Hippocrate ne se contenta pas d’enseigner son art à ceux de sa maison ; comme il faisait la médecine par un principe d’humanité, et non pas simplement pour en tirer du profit et de la gloire, il voulut bien encore faire part de ses connaissances aux étrangers qui en avaient du goût. Il fut le premier des Asclépiades qui en usa de cette manière : ce qui fit que la médecine, qui avait été enfermée dans une seule famille, fut dès lors communiquée à tout le monde, et put être apprise, au moins dans la Grèce, par tous ceux qui voulurent s’y appliquer. Mais enfin que cette communication fût plus générale, Hippocrate écrivit de gros ouvrages, si utiles encore aujourd’hui à toute l’Europe. Les plus célèbres écoles l’ont suivi et le suivent encore comme interprète le plus fidèle de la nature ; et malgré les révolutions que l’esprit de système a opposés à la simplicité de l’ancienne médecine, le génie de ce grand homme est toujours victorieux des entraves qu’on a voulu mettre à sa doctrine. Quoi qu’en disent même les novateurs de nos jours, Hippocrate conservera dans tous les siècles à venir un ascendant, une gloire, une réputation, que deux mille ans et plus ont laissés sans atteinte.
Le précieux dépôt de cette doctrine que nous devons au prince de la médecine s’est conservé dans les ouvrages qui sont passés jusqu’à nous ; les savants ne lui donnent cependant pas tous ceux qu’on lui attribue, non plus que toutes les lettres qu’on a mises sous son nom.

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