Gossec

Gossec

Le Nestor des musiciens, le fondateur de l’école française moderne, le vénérable Gossec a cessé d’exister lundi dernier, 16 février, à l’âge de quatre-vingt dix ans. Exemple remarquable de ce que peuvent produire le travail et l’étude, Gossec, fils de laboureur, dénué des avantages de la fortune et du secours des maîtres, s’est formé seul, et s’est acheminé vers une route pure et classique, dont il semblait devoir être écarté par tout ce qui l’environnait. Placé dans une école imbue des préjugés nuisibles, il a su se préserver de ses erreurs, et a jeté les bases de la splendeur où la musique française est parvenue. L’étude des modèles classiques, et je ne sais quel pressentiment de la science, qui en est le génie, lui avaient fait devancer l’époque où cette science devait s’organiser et prendre de la consistance parmi nous ; et lorsque les circonstances vinrent seconder ses vœux et ses efforts, on le vit, bravant les atteintes de l’âge, prodiguer à une jeunesse studieuse l’instruction qu’il ne devait qu’à lui-même, et qui était le fruit d’un travail constant.
Né en 1733, à Vergnies, petit village du Hainaut, Gossec, dont les heureuses dispositions pour la musique s’étaient manifestées de bonne heure, fut placé, à l’âge de sept ans, comme enfant de chœur, à la cathédrale d’Anvers. Après y avoir passé huit années, il en sortit pour se livrer à l’étude du violon et de ce qu’on nommait alors la composition. Ses progrès furent rapides, et bientôt ses amis suggèrent que le séjour de Paris était le seul qui convînt à ses talents. Il y arriva à l’âge de dix-huit ans, en 1751, et n’eut d’abord ressources que d’entrer chez le fermier-général de la Popelinière, pour diriger l’orchestre que ce financier entretenait à ses frais. Alors Rameau était dans toute sa gloire. C’est sous ses yeux que Gossec fit son début dans la capitale, et ce fut dès ce moment que celui-ci comprit tout ce qu’il y avait à faire pour réformer la musique française. Le style instrumental lui parut surtout mériter son attention. En effet, si l’on excepte quelques sonates de violon, et les pièces de clavecin de Couperin et de Rameau, il n’existait rien en ce genre qui méritât quelque estime parmi les productions françaises ; la symphonie proprement dite y était absolument inconnue. Les premières furent publiées par Gossec en 1752. C’était une chose nouvelle ; on n’en sentit pas d’abord tout le prix ; mais, après les avoir entendues au concert spirituel plusieurs années consécutives, le public commença à goûter ces formes vigoureuses d’harmonie et d’instrumentation, et les ouverture de Lulli ou de Rameau ne purent plus soutenir la comparaison dans un concert. Il est assez remarquable que ce fut dans l’année même où Gossec tentait cette innovation parmi nous, que la première symphonie de Haydn fut écrite. Devenu vieux, Rameau cessa d’écrire pour le théâtre, et la Popelinière, qui n’avait établi son orchestre que pour essayer ses ouvrages , le réforma. Alors Gossec entra chez le prince de Conti. Cette situation était avantageuse ; il profita des loisirs que lui laissait sa place, pour se livrer au travail, et des composition de tous genres en furent le fruit. Ses premiers quatuors parurent en 1759, et eurent tant de succès, que l’édition de Paris fut contrefaite, dans l’espace de deux ans, à Amsterdam, à Liège et à Manheim. Mais l’ouvrage qui fit le plus d’honneur à Gossec, et qui fonda sa réputation , fut sa messe des morts, qu’il fit graver en 1790, et qui fut exécutée à Saint Roch avec un succès prodigieux. Philidor qui était alors le musicien le plus en réputation, dit en sortant qu’il donnerait tout ses ouvrages pour avoir fait celui-là.
Ce ne fut qu’en 1764 que Gossec s’engagea dans le style dramatique par le petit opéra de faux Lord, qui fut représenté à la Comédie-Italienne, et qui ne se soutint que par la musique. Mais les Pêcheurs, qui furent joués le 8 avril 1766, eurent tant de succès, que de fut presque le seul opéra qui occupa la scène pendant le reste de l’année. Le double Déguisement, Toinon et Toinette, au même théâtre ; et à l’Opéra, Sabinus, Alexis et Daphné, Philémon et Baucis, Hylas et Sylvie, la Fête du village, Thésée, Rosine, etc, ont achevé de classer Gossec parmi les compositeurs dramatiques les plus distingués de l’école française.
En 1770, il fonda le concert des amateurs, dont l’orchestre était dirigé par le fameux chevalier de Saint-Georges. C’est de cette institution que date la première impulsion donnés au perfectionnement de l’exécution instrumentale en France, et Gossec peut être considéré comme y ayant eu la plus grande part. Jusqu’alors les partitions les plus chargées d’instruments n’avaient renfermé que deux parties de violon, violes, basse, deux hautbois et deux cors. Gossec sentit qu’avec de nombreux instruments on parviendrait à varier les effets, et il écrivit pour le concert des amateurs sa vingt-unième symphonie en ré, dont l’orchestre se composait de deux parties de violon, viole, violoncelle, contrebasse, deux hautbois, deux clarinettes, flûte, deux bassons, deux cors, deux trompettes et timbales. L’effet en fut très remarquable. Dans le même temps, Gossec écrivit sa symphonie de la chasse qui, depuis, a servi de modèle à Méhul pour son ouverture du jeune Henri.
L’entreprise du concert spirituel était devenue vacante en 1773 ; Gossec s’en chargea en société avec Gavinies et Leduc l’aîné. Pendant les quatre années de sa direction, cet établissement prospéra, et le goût s’améliora par le bon choix des ouvrages qu’on y exécuta, et par le grand nombre des talents étrangers qui y furent attirés. Mais le service le plus essentiel que Gossec rendit à la musique française, fut l’institution de l’Ecole Royale de chant, première origine du Conservatoire. La direction de cette école fondée en 1784, fut confiée à ce savant musicien qui en avait conçu le plan, par le baron de Breteuil. C’est là que furent formés quelques-uns des acteurs qui ont brillé depuis sur les principaux théâtres de Paris. Gossec y donnait des leçons d’harmonie et de contrepoint, et commença ainsi l’édifice de l’Ecole française, qui depuis lors s’est placé si haut dans l’opinion des artistes de toute l’Europe. Parmi ses élèves les plus distingués, on remarque particulièrement M. Catel.
Les fêtes nationales de la révolution française ouvrirent un nouveau champ aux talents de Gossec. La plupart de ces fêtes ayant lieu en plein air, il était difficile d’y faire usages des instruments à cordes : Gossec imagina d’accompagner les hymnes et les chœurs avec des orchestres d’instruments à vent, et il écrivit dans ce système un grand nombre de morceaux, et même plusieurs symphonies qui se font remarquer par une rare énergie. Toute cette musique excitait alors le plus vif enthousiasme. Ses Opéras du Camp de Grandpré et de la Reprise de Toulon se firent aussi remarquer dans le même temps par les mêmes qualités. Ce fut dans le premier de ces ouvrages qu’il arrangea en chœur et à grand orchestre l’Hymne des Marseillais, avec une harmonie extrêmement remarquable par son élégance et sa force.
Lors de l’établissement du conservatoire en 1795, Gossec fut nommé l’un des inspecteurs de cet établissement, et concourut activement à son organisation, ainsi qu’à la formation de plusieurs ouvrages élémentaires destinés à l’enseignement des élèves. Quoique déjà fort âgé, il ne montrait pas moins d’ardeur et d’activité que ses jeunes confrères Méhul et Chérubini ; et même ce fut lui qui eu la plus grande part à la rédaction et à confection des diverses parties du volumineux solfège que les professeurs du Conservatoire ont publié. Il ne se borna point à ce travail ; car lorsqu’on crut les études assez avancées pour pouvoir joindre une chaire de composition à celles qui existaient déjà, ce fut lui qui se chargea des fonctions de professeur, et pendant plus de douze ans, c’est-à-dire jusqu’en 1814, il remplit ces fonctions avec zèle. Ainsi il enseigna les principes de son art jusqu’à l’âge de quatre-vingt-un ans. Au nombre des élèves qu’il a formés, on distingue Androt, qui mourut jeune à Rome ; MM. Dourlen, Gasse et Panseron.
Lors de la formation de l’Institut, Gossec y fut admis comme membre de la section de musique dans la classe des beaux-arts ; et Napoléon lui accorda la décoration de la Légion-d’Honneur, lorsqu’il institua cet ordre. Après la dissolution du Conservatoire du musique, en 1815, il fut admis à la pension, et cessa de s’occuper de son art pour goûter le repos qui lui était nécessaire après tant de travaux. Toutefois, il continua de fréquenter les séances de l’Académie des beaux-arts jusqu’en 1823 ; mais alors, ayant atteint l’âge de quatre-vingt dix ans, ses facultés s’affaiblirent, et il se retira à Passy, où le reste de ses jours s’écoula paisiblement. Voici la liste des ouvrages les plus connus de ce musicien laborieux :

I° Musique dramatique

  •  à L’OPÉRA :
    • 1773, Sabinus, trois actes ;
    • 1775, Alexis et Daphné, un acte
    • 1775, Philemon et Baucis, un acte ;
    • 1776, Hylas et Sylde, un acte ;
    • 1778, la Fête du Village, un acte ;
    • 1782, Thésée de Quinault, remis en musique, 3 actes ;
    • 1786, Rosine, 2 actes ;
    • 1793, le Camp de Grandpré ;
    • 1794, la Reprise de Toulon ;
  •   A la Comédie Italienne
    • 1764, le faux Lord, un acte ;
    • 1766, les Pêcheurs, un acte ;
    • 1767, Toinon et Toinette, un acte ;
    • 1767, le double Déguisement, un acte, cet ouvrage n’eut qu’une seule représentation ;
  •  A la Comédie Française
    • les chœurs d’Athalie. Gossec avait en portefeuille quelques opéras non achevés, parmi lesquels se trouvait une Nitocris, à laquelle il travaillait à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

2° Musique d’église

Plusieurs messes avec orchestres, plusieurs motets pour le concert spirituel, entre autres, un Exaudiat qui fut redemandé plusieurs fois ; la célèbre messe des morts qui a été gravée en 1760, et dont les planches ont été volées et fondues ; un Te Deum qui eut beaucoup de réputation ; O Salutaris Ostia, à trois voix sans accompagnement, qui fut écrit à un déjeuner chez M. de La Salle, secrétaire de l’Opéra, au village de Chenevières, et chanté à l’église du lieu, deux heures après, par Rousseau, Laïs et Chéron. Ce morceau, devenu célèbre, a été intervalle dans l’oratorio de Saül. Quelques oratorios, exécuté au concert spirituel, parmi lesquels on distinguait celui de la Nativité. Il y avait dans cet ouvrage un chœur d’anges très remarquable, qui se chantait au-dessus de la voûte de la salle.

3° Musique à l’usage des flûtes patriotiques

  • I° Chant du 14 juillet (Dieu du peuple et des rois) ;
  • II° Chant martial (Si vous voulez trouver la gloire) ;
  • III° Hymne à l’Être Suprême (Père de l’univers)
  • IV° Hymne à la liberté (Vive à jamais la liberté)
  • V° Autre (Auguste et consolante image)
  • VI° Hymne à l’humanité (O mère des vertus)
  • VII° Hymne à l’égalité (Divinité tutélaire) ;
  • VIII° Hymne funèbre aux mânes de la Gironde
  • IX° Hymne patriotique (Peuple éveille-toi)
  • X° Hymne à trois voix pour la fête de la Réunion
  • XI° Chant funèbre sur la mort de Ferrand ;
  • XII° serment républicain (Dieu puissant)
  • XIII° Chœurs, et chants pour l’apothéose de Voltaire ;
  • XIV° Idem, pour l’apothéose de Rousseau ;
  • XV Musique pour l’enterrement de Mirabeau, qui fut employée pour les obsèques du duc de Montebello, etc.,

4° Musique instrumentale

Vingt-neuf symphonies à grand orchestre, dont trois pour instruments à vent ; trois œuvres de six quatuors pour deux violons, alto et basse ; un œuvre de quatuors pour flûte, violon, alto et basse ; deux œuvres de trios pour deux violons ; six sérénades pour violon, flûte, cor, basson, alto et basse ; une symphonie concertante pour onze instruments obligés ; plusieurs ouvertures détachées, etc.

5° Littérature musicale

Exposition des principes de la musique, servant d’introduction aux solfèges du Conservatoire ; deux rapports lus à l’Institut sur le progrès des études musicales et sur les travaux des élèves pensionnaires à Rome ; divers rapports sur des instruments ou des méthodes soumises à l’examen de l’Institut ou du Conservatoire.

6° Musique élémentaire. Beaucoup de morceaux à deux, trois et quatre parties dans les solfèges du Conservatoire

Une récapitulation si considérable, bien qu’abrégée, doit frapper d’étonnement, si l’on fait attention aux nombreuses occupations qui ont rempli la vie de Gossec, soit comme professeur, soit comme directeur de divers établissements de musique, soit enfin comme inspecteur du Conservatoire.


Fétis. Dictionnaire


Médecine des Arts®    
715 chemin du quart 82000 F-Montauban
Tél. 05 63 20 08 09 Fax. 05 63 91 28 11
E-mail : mda@medecine-des-arts.com
site web : www.medecine-des-arts.com

Imprimer

Association

Faire un don
Adhérer

Formation Médecine des arts-musique

Cursus Médecine des arts-musique