Garde-robe

Le mot s’entend suffisamment de lui-même, et désigne la collection de costumes qu’un comédien doit posséder pour remplir son emploi. Chose singulière ! tandis qu’à Paris tout ce qui rentre dans le costume proprement dit doit être fourni à l’acteur par l’administration du théâtre auquel il appartient et reste à la charge de celle-ci, l’acteur n’ayant à pourvoir qu’aux dépenses des toilettes dites de ville, le pauvre comédien de province, dont les appointements sont singulièrement plus modestes, est obligé de se fournir lui-même tous les costumes, tous les habillements nécessaires à son emploi. Et si l’on songe qu’un seul théâtre, en province, joue les pièces de différents genres qui sont représentées sur la plupart des théâtres de Paris, on se rendra compte du nombre et de la variété des costumes qu’il peut être appelé à revêtir : moyen âge, renaissance, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, époque révolutionnaire, uniformes militaires, etc., avec les accessoires spéciaux nécessaires à chacun d’eux, tels que chaussures, épées, armures, cottes de mailles, coiffures et le reste. Aussi la garde-robe d’un comédien amoureux de son art est-elle chose fort importante, et doit-elle être pour lui l’objet de soins incessants. Jadis, nos acteurs parisiens, qui avaient de grands protecteurs, n’hésitaient pas, le cas échéant, à s’adresser à quelqu’un de ceux-ci dans un moment d’embarras pour en obtenir un allégement à la dépense à laquelle, les obligeait le soin de leur garde-robe, qui alors était à leur charge. C’était à une époque où l’on n’avait pas, sur la dignité de l’homme et de l’artiste, les mêmes idées et les mêmes scrupules qu’aujourd’hui, et l’on s’en rendra compte par cette petite supplique que Raymond Poisson, le fameux Crispin de l’Hôtel de Bourgogne, adressait au duc de Créqui quelques jours avant la première représentation de la Mère coquette, comédie de Quinault dans laquelle il était chargé d’un rôle fort important :

Les Amants brouillés, de Quinault,
Vont sous peu de jours faire rage :
J’y joue un marquis, et je gage
D’y faire rire comme il faut.
C’est un marquis de conséquence,
Obligé de faire dépense
Pour soutenir sa qualité.
Mais s’il manque un peu d’industrie,
Il faudra, malgré sa fierté,
Qu’il s’habille à la friperie.

Vous, des ducs le plus magnifique,
Et le plus généreux aussi,
Je voudrais bien pouvoir ici
Faire votre panégyrique.
Je n’irais point chercher vos illustres aïeux
Qu’on place dans l’histoire au rang des demi-dieux.
Je trouve assez en vous de quoi me satisfaire :
Toutes vos actions passent sans contredit…
Ma foi, je ne sais comment faire
Pour vous demander un habit.

Chappuzeau, dans son Théâtre-François, signale ainsi les frais que les comédiens de son temps faisaient pour leur garde-robe :
Cet article de la dépense des comédiens est plus considérable qu’on ne s’imagine. Il y a peu de pièces nouvelles qui ne leur coûtent de nouveaux ajustements, et le faux or, ni le faux argent, qui rougissent bientôt, n’y étant point employé, un seul habit à la Romaine ira souvent à cinq cents écus. Ils aiment mieux user de ménage en toute autre chose pour donner plus de contentement au public, et il y a tel comédien dont l’équipage vaut plus de dix mille francs. Il est vrai que lorsqu’ils représentent une pièce qui n’est uniquement que pour les plaisirs du Roi, les gentilshommes de la chambre ont ordre de donner à chaque acteur pour les ajustements nécessaires une somme de cent écus ou quatre cents livres, et s’il arrive qu’un même acteur ait deux ou trois personnages à représenter, il touche de l’argent comme pour deux ou trois.

Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d'Arthur Pougin, 1885


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