Foyer

Chaque théâtre possède au moins deux foyers : l’un, attenant à la salle qui est un lieu de promenade et de réunion pour le public durant les entractes ; l’autre, attenant à la scène, qui est lieu d’attente et de repos pour les comédiens. Le foyer public de la nouvelle salle de l’Opéra, avec la loggia qui le borde à l’extérieur, est une véritable merveille, et les admirables peintures dont M. Paul Baudry l’a orné, la richesse en tout genre de sa décoration, ne peuvent qu’exciter, l’admiration de tous ceux qui sont à même de le voir. Les foyers de l’Odéon, de l’Opéra-Comique, du Châtelet peuvent compter parmi les plus beaux de nos théâtres. C’est surtout aux soirs de première représentation que le foyer du public, dans les théâtres importants, prend un aspect curieux et animé, c’est là qu’on le voit mouvementé d’une façon particulière, c’est qu’il est intéressant à observer. Dans chaque entracte viennent s’y réunir les spectateurs ordinaires de ces sortes de solennités : artistes de tout genre, gens de lettres, feuilletonistes, critiques très ou peu influents, amateurs, etc. Des discussions parfois ardentes s’établissent alors sur les mérites ou les défauts de l’œuvre nouvelle, chacun dit son mot, on échange ses impressions, on se tâte réciproquement pour connaître le fond de l’opinion de chacun ; les idées, les critiques, les éloges, les paradoxes jaillissent de toutes parts, les esprits s’échauffent, les théories se font jour, depuis les plus banales et les plus rationnelles jusqu’aux plus audacieuses et aux plus étranges ; on passe en revue le sujet, l’action, le style de l’œuvre représentée, ainsi que le talent des interprètes ; on juge la mise en scène, les décors, les costumes ; les têtes se montent, les voix éclatent, les mots partent comme des fusées… jusqu’au moment où la sonnette de l’entracte vient annoncer à tous que le moment est venu de rejoindre sa place. Le foyer se vide alors en l’espace d’une minute, et redevient muet et silencieux jusqu’à l’entracte suivant, où les discussions reprennent de plus belle pour aboutir de nouveau au même résultat. Beaucoup plus paisible, beaucoup plus morne est le foyer des artistes, où chacun vient prendre un instant de repos pendant les scènes où il ne figure pas, et où la préoccupation de la réplique prochaine ne laisse guère de place à d’autres sentiments. A l’exception de certains théâtres, comme la Comédie-Française, l’Opéra, l’Opéra-Comique, ce foyer, d’ailleurs, n’est guère qu’une petite salle assez pauvre, assez nue, dont l’unique ornement est représenté par le tableau quotidien du spectacle et des répétitions. Les artistes qui ont quelques moments à eux aiment mieux remonter dans leur loge que d’attendre au foyer, d’autres restent dans les coulisses, et de tout cela il résulte que le foyer ne brille généralement que d’une animation très relative. Il y eut cependant un foyer d’artistes célèbre entre tous à l’époque de la Révolution, et qui était tout à la fois comme une sorte de club politique et de rendez-vous de galanterie : c’était celui du théâtre Montansier (Variétés actuelles), qui a laissé dans l’histoire de ce temps de véritables souvenirs. En dehors du foyer du public et du foyer des artistes, certains théâtres importants ont des foyers secondaires, tels que le foyer de l’orchestre, le foyer des chœurs, même le foyer des machinistes ; il est à peine besoin de dire que ce n’est pas par un luxe oriental que ceux-là se font remarquer. Mais il faut signaler le foyer de la danse à l’Opéra, dans lequel ont droit d’entrée les abonnés du théâtre, et qui est, au contraire, une vaste salle aussi remarquable par ses proportions que par la richesse, l’harmonie et le bon goût de sa décoration. J’en voudrais pouvoir dire autant des propos qui s’y tiennent, mais je n’ose, dans la crainte de donner à la vérité une entorse excessive.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d'Arthur Pougin, 1885

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