Dernier jour de Pompéi (Le)

Dernier jour de Pompéi, Gazette de Paris, 26 mars 1859

Opéra en quatre actes et cinq tableaux, livret de MM. Nuitter et Beaumont, musique de M. Victorin Joncières, représenté au Théâtre-Lyrique le 21 septembre 1869, et les épisodes du roman de Bulwer Lytton ont servi à plus d’un auteur, non seulement à propos de Pompéi et d’Herculanum, mais presque chaque fois qu’il a été question d’une ville embrasée ou d’un palais en flammes. Seulement, dans ce livret-ci, les auteurs ont perdu le filet qui sert à les lier. Il en est résulté une suite de scènes décousues, des personnages peu caractérisés et une action languissante ; une meilleure musique aurait triomphé difficilement d’un aussi mauvais poème.

Au premier acte, après une scène où les gladiateurs jouent un rôle épisodique, Hermès arrache une jeune esclave, nommée Nydia, à la brutalité de son maître, le gladiateur Milon, et la lui achète. Nydia témoigne sa reconnaissance à son nouveau maître et devient immédiatement éprise de lui ce qui n’est pas invraisemblable, mais blesse les mœurs de l’art dramatique. L’auteur qui commet cette faute ne comprend donc pas que le public ne s’intéresse à une passion qu’autant qu’elle est suffisamment préparée, amenée, fortifiée dans un cœur honnête, c’est-à-dire capable de la ressentir et de la contenir surtout dans de justes réserves. Enfin, en quatre vers de récitatif, et séance tenante, voilà Nydia jalouse d’Ione, amante d’Hermès. On célèbre les fêtes d’Isis, la bonne déesse. Païens et chrétiens sont en présence. Le prêtre Pythéas apostrophe Diophas, nouveau converti au christianisme, et excite contre lui la fureur populaire. DIophas renverse l’idole. Le peuple, effrayé d’une telle audace et en proie à une terreur superstitieuse, s’enfuit. Pythéas jure de punir Diophas. Il est distrait de sa vengeance à la vue d’Ione qu’il aime en secret. Hermès arrive au rendez-vous et chante avec Ione un duo d’amour. Nydia les voit, tombe accablée de douleur sur les marches du temple. Pythéas comprend qu’il peut trouver en elle un instrument de sa vengeance. Dans le deuxième acte, une sorcière, la Saga, prédit la destinée de Pompéi et se livre à des incantations. Ione et Hermès, au milieu de la tempête qui mugit au dehors, viennent lui demander asile et la consulter sur leur sort. La Saga leur annonce les plus grands malheurs ; Ione s’en effraye et Hermès se raille de la sorcière qui les poursuit de ses imprécations. Pythéas a assisté caché à cette scène ; voilà la troisième fois que cela lui arrive ; c’est trop de deux. Il prend en main la cause de la sorcière méprisée, et obtient de celle-ci un breuvage qui rendra son rival fou et débile ; ensuite a lieu une orgie en l’honneur de Vesta. Diomède, bien nommé, parle ainsi aux convives réunis :

Voici venir un mets que je vous recommande.
Des murènes ! Dans mes viviers
Pour les nourrir trois mois,
Je leur ai fait jeter
Dix esclaves gaulois.
(On apporte solennellement les murènes.)

Il me semble que M. Jourdain n’avait pas tort de s’étonner de ce que tout ce qui n’est point prose est vers. Voici un échantillon du poème du dernier jour de Pompéi qui est l’idéal entrevu par le bourgeois de Molière. Le musicien n’en a pas moins écrit une marche bien contre-pointée pour l’entrée des murènes, et l’a fait suivre d’un chœur agréable, appelé dans l’ouvrage Chœur des gourmets. Mais on a donc perdu toute espèce de goût artistique et littéraire dans notre malheureux pays ? Qui pourrait prêter l’oreille à la plus jolie musique et en même temps habituer son esprit et ses nerfs au repas de ces espèces d’anthropophages ? Après que les dix esclaves gaulois ont été mangés, on danse et on tire une loterie. Pythéas arrête Nydia qui porte à Hermès des tablettes d’Ione. Il lui dit qu’il a deviné son amour pour son maître. Il excite sa jalousie, et finit par lui faire accepter le philtre préparé par les mains de la sorcière, et qui doit la faire triompher de sa rivale.

Elle le verse à Hermès dans la scène suivante. Il produit un effet instantané. Hermès, il est vrai, oublie Ione et donne des marques de tendresses à Nydia ; mais il a perdu la raison. Pendant ce temps, Ione attend son amant dans le bosquet de Cybèle ; pourquoi pas Cythère ? Pythéas donne à deux esclaves noirs l’ordre d’enlever Ione et de la transporter dans sa maison des champs. Diophas se présente ; le prêtre d’Isis cherche à le ramener au culte des idoles par les promesses de l’ambition et les séductions de la volupté. Diophas résiste à tout, et Pythéas dans sa fureur le frappe de deux coups de stylet pendant qu’on voit les esclaves enlever Ione.

Hermès paraît, toujours sous le charme du philtre. Pythéas l’accuse du meurtre qu’il a lui-même commis ; le malheureux est hors d’état de se justifier. Il succombe sous la vindicte publique et, malgré les efforts de Nydia, il est condamné à mort par le préteur ; ainsi finit le quatrième acte. Les auteurs ont eu le tort de faire commencer le quatrième acte par un chœur sur les mots : A mort ; une œuvre dramatique ne comporte jamais ces répétitions, séparées par un entracte. Nydia s’introduit dans la prison où Hermès a été jeté. En vain elle veut se faire reconnaître ; en vain elle veut se faire reconnaître ; en vain le peuple au dehors réclame que le coupable soit livré aux lions du cirque : Hermès ne parle que de se couronner de fleurs Ione, qui s’est rendue libre, entre en scène. Nydia, renonçant à ses propres efforts, traîne Hermès devant Ione, espérant que sa vue et sa voix lui feront reprendre l’usage de la raison ; c’est ce qui arrive en effet. Pythéas à son tour est démasqué et convaincu. Il résiste inutilement ; il est maudit par tous. Un tremblement de terre se déclare ; des flammes envahissent le théâtre. Pythéas est renversé par la chute d’une colonne ; une symphonie descriptive succède ; elle doit exprimer l’éruption du Vésuve. Lorsque les nuages se dissipent, on voit en pleine mer, sur une barque, Nydia, Hermès et Ione, les deux amants sont endormis. Ici commence une scène fort belle, la meilleure des trois derniers actes. Nydia fait ses adieux à la vie ; elle a sauvé Hermès et Ione. Elle ne peut supporter la vue de leur bonheur, qui cependant a été son œuvre, et, après avoir longtemps contemplé celui qui est l’objet de sa passion fatale, l’infortunée se précipite dans les flots. Cette scène a un caractère de simplicité antique qui aurait décidé du succès de l’ouvrage, si le reste du livret y eût répondu. M. Joncières a eu la main malheureuse ; mais il prendra sa revanche s’il consent à entrer dans la voie qui lui est propre, d’abord, et s’il ne fait pas traîner à sa muse, plus gracieuse que tragique, un si lourd boulet.

L’introduction est pleine d’entrain et de verve. Le style et la liaison des idées ne laisseraient rien à désirer, si on n’y remarquait pas de nombreuses réminiscences des opéras d’Hérold, en particulier de Zampa. Les procédés de composition sont identiques. La scène de l’achat de l’esclave, la romance de Nydia : C’est toi dont la clémence, ont un bon sentiment ; mais l’expression n’en est pas assez forte pour un grand opéra. La scène de l’Opéra-Comique et les livrets qui lui conviennent, voilà quel devrait être l’objectif de M. Joncières. Je ne sais s’il brillerait là au premier rang, mais, à coup sûr, il occuperait dignement le second. La marche des prêtres d’isis a de la chaleur, de l’ampleur. Quant à la couleur de l’orchestration, elle se rattache à la manière de Wagner et n’ajoute rien à l’effet. Le morceau d’ensemble : Quelle audace inouïe, qui procède par imitations à l’octave, est ultra-classique et n’en est pas moins un des passages les mieux réussis de l’ouvrage. Le style, cette qualité si rare, semble naturel à M. Joncières. Il donne même à quelques morceaux les apparences du plagiat, comme par exemple à la grande scène dans laquelle Diophas brave les sectateurs d’Isis ; dans d’autres endroits, le musicien cherche, au contraire, des effets étranges, comme dans le chœur : Voici les jours fêtes, sur des quintes à la pédale, et n’arriver qu’à offenser l’oreille. Le duo qui termine le premier acte est poétique et mélodieux. Là aussi quelques réminiscences de la musique de M. Gounod ; cet acte est bien supérieur aux autres. Le deuxième débute chez la Saga (la sorcière). La scène fantastique est faible ; toutes ces septièmes diminuées, employées de diverses manières, ne produisent plus d’effet, tant le procédé est usé. Dans le trio qui suit, au milieu de souvenirs de l’Herculanum de M. Félicien David, on distingue une jolie phrase : Nulle autre femme. J’ai parlé plus haut du Chœur des gourmets. Le premier allegretto du ballet est fort gracieux. M. Victorin Joncières écrit avec élégance et facilité la musique de danse. Je signalerai la romance d’Ione qui ouvre le troisième acte ; la pensée en est soutenu ; c’est un cantabile suave et bien écrit pour la voix ; en général, les morceaux du Dernier jour de Pompéi sont courts et ont à peine les proportions des morceaux d’opéra-comique : le motif du chœur n’a rien de neuf, mais il est bien présenté et bien accompagné ; le finale a de la véhémence, mais pourquoi se termine-t-il par une strette à l’unisson,  à la manière de la nouvelle école italienne inaugurée par M. Verdi ?

Il n’y manque que le cornet à pistons, l’hôte assidu de la Traviata, qui suit le chant comme un barbet suit son maître. Le commencement du quatrième acte offre une réminiscence du Pré aux Clercs. Le morceau d’ensemble : Muet d’horreur et de surprise, est pathétique ; l’éruption du Vésuve, dont on s’est amusé autrefois de la fameuse mer Rouge du Mosé auteur l’occasion qu’il semble rechercher, d’écrire une symphonie. Il y a sans doute plusieurs banalités harmoniques ; mais elle est bien écrite et dans le caractère dramatique du sujet. Quant à la scène de la barque, il me semble qu’il était inutile de chercher à imiter le bruit de la rame, ou de la vague, ou de je ne sais quoi, par des quintes dissonantes. M. Joncières, qui a beaucoup de talent, peut sans se faire tort laisser ces enfantillages aux musiciens qui se défient de la fécondité de leur imagination. La dernière scène, dans laquelle Nydia fait ses adieux à la vie, est touchante et poétique. Le Dernier jour de Pompéi ne pouvait pas réussir ; mais le compositeur a donné de son mérité une preuve suffisante pour qu’on lui confie à l’Opéra-Comique un poème de demi-caractère. Sur ce terrain, il peut faire honneur à l’école française. Le Dernier jour de Pompéi a eu pour interprètes principaux : Massy, Bacquié, Grignon, Mmes Schroeder, Wercken, Alice Ducasse, Borghèse.


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