Chanteur dramatique

Jean-Jacques Rousseau, qui a dit de si grandes sottises en matière musicale, mais qui avait un sentiment de l’art si subtil, mais qui avait un sentiment de l’art si subtil, si complet et si admirable, a caractérisé d’une façon merveilleuse le rôle du chanteur dramatique et les qualités que le spectateur intelligent est en droit d’exiger de lui. C’est au mot Acteur de son Dictionnaire de musique, qu’il trace ce portrait du véritable chanteur dramatique :
Acteur, chanteur qui a fait un rôle dans la représentation d’un opéra. Outre toutes les qualités qui doivent lui être communes avec l’acteur dramatique, il doit en avoir beaucoup de particulières pour réussir dans son art. Aussi il ne suffit pas qu’il ait un bel organe pour la parole, s’il ne l’a tout aussi beau pour le chant ; car il n’y a pas une telle liaison entre la voix parlante et la voix chantante, que la beauté de l’une suppose toujours celle de l’autre. Si l’on pardonne à un acteur le défaut de quelque qualité qu’il a pu se flatter d’acquérir, on ne peut lui pardonner d’oser se destiner au théâtre, destitué des qualités naturelles qui y sont nécessaires, telles entre autres que la voix dans un chanteur. Mais par ce mot voix, j’entends moins la force du timbre que l’étendue, la justesse et la flexibilité. Je pense qu’un théâtre dont l’objet est d’émouvoir le cœur par les chants doit être interdit à ces voix dures et bruyantes qui ne font qu’étourdir les oreilles ; et que, quelque peu de voix que puisse avoir un acteur, qu’il l’a juste, touchante, facile, et suffisamment étendue, il en a tout autant qu’il faut ; il saura toujours bien se faire entendre s’il sait se faire écouter. Avec une voix convenable, l’acteur doit l’avoir cultivée par l’art ; et quand sa voix n’en aurait pas besoin, il en aurait besoin lui-même pour saisir et rendre avec intelligence la partie musicale de ses rôles. Rien n’est plus insupportable et plus dégoûtant que de voir un héros, dans les transports des passions plus vives, contraint et gêné dans son rôle, peiner, et s’assujettir en écolier qui répète mal sa leçon, montrer, au lieu des combats de l’amour et de la vertu, ceux d’un mauvais chanteur avec la mesure et l’orchestre, et plus incertain sur le ton que sur le parti qu’il doit prendre. Il n’y a ni chaleur ni grâce sans facilité, et l’acteur dont le rôle lui coûte ne le rendra jamais bien. Il ne suffit pas à l’acteur d’opéra d’être un excellent chanteur, s’il n’est encore un excellent pantomime ; car il ne doit pas seulement faire sentir ce qu’il dit lui-même, mais aussi ce qu’il laisse dire à la symphonie. L’orchestre ne rend pas un sentiment qui ne doive sortir de son âme ; ses pas, ses regards, son geste, tout doit s’accorder sans cesse avec la musique, sans pourtant qu’il paraisse y songer ; il doit intéresser toujours, même en gardant le silence ; et, quoique occupé d’un rôle difficile, s’il laisse un instant oublier le personnage pour s’occuper du chanter, ce n’est qu’un musicien sur la scène ; il n’est plus acteur. Tel excella dans les autres parties, qui s’est fait siffler pour avoir négligé celle-ci. Il est impossible de mieux dire, et de faire ressortir avec plus de justesse les qualités qui doivent caractériser et distinguer le chanteur dramatique digne de ce nom. Ils sont rares, bien rares, les artistes qui possèdent ces qualités précieuses, indispensables à l’illusion comme à l’émotion ; mais quand il s’en trouve quelqu’un, le public lui rend si infailliblement justice qu’il est certain de creuser sa tracé et de laisser un nom dans l’histoire de l’art. De tous ces chanteurs admirables qui joignaient à la beauté de la voix et au grand sentiment dramatiques ces cris de la passion, ces nobles élans de l’âme par lesquels ils savaient toucher, émouvoir, enflammer le cœur de leurs auditeurs, communiquer à ceux-ci les fortes et généreuses impressions dont ils étaient eux-mêmes pénétrés, aucun n’a été oublié, aucun n’a laissé la postérité indifférente à son souvenir. Quoi qu’il puisse arriver, tous ceux que l’histoire de l’art intéresse se rappelleront toujours ces noms fameux enregistrés par elle : d’une part, Chassé, Jélyotte, Lainez, Laïs, Adolphé Nourrit, Duprez ; de l’autre, Marthe le Rochois, Françoise Journet, Mlles Durancy, Levasseur, Sophie Arnould, Mmes Scio, Branchu, Saint-Huberty, Malibran, Pasta, Cornélie Falcon, Schroeder-Devrient, Giula Grisi, etc. Mais il serait injuste, à côté de ces artistes si admirablement doués sous le rapport de la puissance dramatique, de ne pas citer les noms de tous ces chanteurs scénique de demi-caractère, qui joignaient au talent du virtuose les qualités les plus charmantes du véritable comédien : Rochard, Clairval, Michu, Elleviou, Martin, Gavaudan, Chollet, Mmes Favart, Laruette, Trial, Dugazon, Gavaudan, Saint-Aubin, Lemonnier, Pradher, Damoreau… Il faut bien convenir qu’aujourd’hui nos chanteurs dramatiques, moins ambitieux que ceux d’autrefois, moins exigeants surtout envers eux-mêmes, se contentent volontiers des qualités purement vocales qu’ils peuvent acquérir, et se soucient médiocrement du suffrage qu’ils pourraient obtenir du public en ce qui concerne la puissance pathétique et la supériorité du jeu scénique. Sous ce rapport nous ne voyons guère à citer, en France, que deux grands artistes, dont assurément la renommée ne périra pas : d’une part, M. Faure, qui malheureusement a quitté la carrière au plus fort de ses succès ; de l’autre, Mlle Krauss, qui, quoique étrangère à la France par sa naissance, est devenue l’une des gloires de notre grande scène lyrique et dont le nom restera attaché à l’histoire de notre Opéra.

Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d'Arthur Pougin, 1885


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