Chaleur

La chaleur est une des plus grandes qualités du comédien digne de ce nom. S’il est pénétré de l’importance du rôle qu’il a à remplir, du caractère qu’il doit représenter, si son cœur et son cerveau sont d’accord pour rendre l’idée du poète, il trouvera des accents sincères, il puisera en lui-même cette chaleur communicative grâce à laquelle il fera éprouver lui-même, il fera naître enfin l’émotion dans l’âme des spectateurs. Mais pour que la chaleur produise les effets qu’on en doit attendre, il faut qu’elle soit naturelle, sincère, qu’elle fasse en quelque sorte partie du tempérament du comédien. Dans le cas contraire, et si elle n’est que le fruit de l’étude et de la réflexion, elle deviendra facilement excessive, dépassera souvent le but et, par son exagération même, perdra de son action. Un poète l’a dit :

Évitez cependant une chaleur factice,
Qui séduit quelquefois et vit par artifice,
Tous ces trépignements et de pieds et de mains,
Convulsions de l’art, grimaces de pantins,
Dans ces vains mouvements qu’on prend pour de la flamme,
N’allez point sur la scène éparpillez votre âme.

Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d ‘Arthur Pougin, 1885

 

Du latin calor
Ardeur, vivacité, zèle, véhémence.

Evitez cependant une chaleur factice
Qui séduit quelquefois et vit par artifice,
Sous ce trépignement et de pieds et de mains,
Convulsions de l’art, grimaces de pantins,
Dans ces vains mouvements qu’on prend pour de la flamme,
N’allez point sur la scène éparpiller votre âme.

Lorsque la chaleur s’adresse au cœur et qu’elle est portée à un très haut degré, elle devient ce pathétique dont les effets sont quelquefois si déchirants. Pour faire  entendre ces accents, il faut que ce ne soit plus l’acteur, mais son cœur qui parle ; que, livré à l’émotion qui l’agite, ce ne soit pas des applaudissements qu’il demande, qu’il ne pense pas à se faire admirer, mais à voir la passion qui l’anime, animer ceux qui l’écoutent ; alors son jeu aura une qualité précieuse, l’abandon sans lequel le langage des passions ne se fait point entendre. Il faut toujours, en scène, lors même qu’on dit choses peu importantes, avoir une certaine chaleur interne qui anime et empêche que le public voie un acteur om il ne doit jamais voir qu’un personnage. (Voyez Brûler les planches)

Il est des acteurs, qui en criant et en s’agitant beaucoup, s’efforcent de remplacer, par un feu factice, la chaleur naturelle qui leur manque. Il en est plusieurs à qui la faiblesse de leur constitution et de leurs organes ne permet pas d’user de cette ressource. Ces derniers, ne pouvant entreprendre d’en imposer à nos sens, se flattent d’en imposer à notre esprit, et ils prennent le parti de soutenir que la chaleur est moins une perfection qu’un défaut. Ne soyons pas les dupes de l’artifice des premiers, ni les sophismes des seconds. Ne prenons point les cris et les contorsions d’un comédien pour de la chaleur, ni la glace d’un autre pour de la sagesse ; et, bien loin d’imiter certains amateurs du spectacle ; les artistes n’en peuvent trop avoir : cette précieuse flamme donne en quelque sorte la vie à l’action théâtrale. On ne révoquera point en doute ces propositions, lorsqu’on cessera de confondre la véhémence de la déclamation avec la chaleur du comédien, et lorsqu’on voudra faire réflexion que la chaleur, dans une personne de théâtre, n’est autre chose que la célérité et la vivacité avec lesquelles toutes les parties qui constituent l’acteur concourent à donner un air de vérité à son action. Ce principe posé, il est évident qu’on ne peut apporter trop de chaleur au théâtre ; puisque l’action ne peut être jamais trop vraie, et que, par conséquent, l’impression ne peut être jamais trop prompte ni trop vive. Vous serez critiqué justement, lorsque votre action ne sera pas convenable au caractère et à la situation du personnage que vous représentez ; ou, lorsque voulant montrer de la chaleur, vous ne faites voir que des mouvements convulsifs, ou entendre que des cris importuns. Mais alors les gens de goût, bien loin de vous accuser d’avoir trop de chaleur, se plaindront de ce que vous n’en avez pas assez. Si, en jouant, vous vous livrez à l’emportement dans des endroits qui n’en demandent pas ; ou, si votre emportement est hors de propos, vous cessez d’être naturel, non par excès, mais par défaut de chaleur. Un acteur qui manque de chaleur, n’est point un comédien. Dans les morceaux qui doivent être joués avec force, il vaut encore mieux passer un peu le but que de ne pas l’atteindre. La première règle est de remuer l’auditoire, et au théâtre le jeu froid est toujours d’observer, lorsque votre rôle demande que vous soyez véhément, c’est de ne pas abuser tellement de votre voix, qu’elle en puisse vous servir jusqu’à la fin de la pièce. On se moque avec raison d’un athlète, qui, précipitant indiscrètement ses pas dès le commencement de la carrière, se met hors l’état de la fournir. La fureur des applaudissements produit souvent cette manie de vouloir tout forcer, et d’abuser ainsi de son organe et de sa chaleur naturelle, surtout parmi les acteurs tragiques qui s’y trouvent autorisés par le mauvais goût du public, qui applaudit d’autant plus qu’on s’égosille.

Encyclopédie de l'art dramatique / par C.-M.-Edmond Béquet - 1886

 

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