Bobèche et Galimafré

Deux célébrités en leur genre, deux types de paradistes fameux, qui naguère, pendant plus de vingt années, firent la joie du boulevard du Temple, à l’époque où le boulevard du Temple, peuplé de théâtres, de loges d’acrobates, de spectacles et de curiosités de toutes sortes, était le rendez-vous de tout le Paris frivole et désœuvré.
On raconte que les deux hommes qui s’étaient affublés de ces noms singuliers avaient quitté chacun leur atelier pour embrasser la profession qui devait leur valoir une si grande popularité. L’un, Antoine Mandelot, était le fils d’un tapissier du faubourg Saint-Antoine ; l’autre, Auguste Guérin, était ouvrier menuisier dans le même faubourg. Tout jeunes, ils jouaient à eux deux des parades qui faisaient beaucoup rire leurs compagnons d’atelier, et c’est ce qui les amena à s’engager avec un maître acrobate du boulevard, nommé Dromale. Antoine devint Bobèche et Guérin Galimafré. Bobèche était un garçon de taille moyenne, assez bien de sa personne, qui sur ses tréteaux adopta un costume composé d’une culotte jaune, de bas chinés, d’une veste rouge, d’une perruque filasse et d’un petit chapeau à cornes sur lequel était fixé un papillon. « Bobèche était un type original, a dit un chroniqueur, tenant le milieu entre Janot et Jocrisse, ces deux excellentes créations de Volanges et de Brunet. Il avait le visage assez distingué, l’air timide, mais de cette timidité narquoise qui décèle ce que l’on appelle un niais de Sologne, c’est-à-dire un gars rusé, finement bonasse et matois… Je vois encore son œil à demi fermé, son sourire caustique, sa lèvre inférieure se relevant aussitôt pour donner à sa physionomie un air candide et étonné. Il y avait un comédien sous cette veste rouge et sous ce chapeau gris, à cornes, surmonté d’un papillon… On était alors à l’époque du premier Empire, et Bobèche, dans ses plaisanteries un peu salées, avait jusqu’à certain point son franc parler, la censure à ce moment point son franc parler, la censure à ce moment ne s’occupant guère de ce qui ne touchait pas à la politique. Il en profitait pour donner l’essor à sa malice, moins naïve qu’elle ne voulait paraître, et pour mêler à ses coq-à-l’âne, à ses calembours les plus ahurissants, des réflexions bouffonnes qui excitaient les gros rires de ses auditeurs. Ces plaisanteries se présentaient toujours sous forme de dialogue avec son compère Cassandre, et elles étaient telles qu’on ne saurait les reproduire toutes. En voici pourtant un échantillon :

Bobèche
Monsieur, vous qui êtes un savant, pouvez-vous me dire quand les médecins se trompent et donnent des recettes inutiles ?

Cassandre
Mon ami, les médecins se trompent quelquefois parce que les symptômes des maladies différent selon les tempéraments. Dans les fièvres, par exemple…

Bobèche
Vous n’y êtes pas, Monsieur. C’est quand ils donnent une recette pour les maladies de cerveau des femmes que les médecins se trompent ; car la tête d’une femme est une tête sans cervelle.


Et encore :

Bobèche
Monsieur, si vous aviez enfermé dans un grand sac un huissier, un tailleur, un usurier et un apothicaire, qui est-ce qui sortirait le premier ?

Cassandre
J’avoue que je suis embarrassé ; car je ne vois pas de raison pour que l’un sorte plus tôt que l’autre.

Bobèche
Je vous apprendrai ce secret, Monsieur, si vous voulez me payer une fiole de bordeaux.

Cassandre
Soit. On doit tout faire pour apprendre, ce qu’on ignore.

Bobèche
Eh bien, Monsieur, le premier qui sortirait du sac, si un huissier, un tailleur, un usurier et un apothicaire étaient dedans, je vous donne ma parole d’honneur que ce serait un voleur.

Bobèche devint une des célébrités de Paris, et non seulement il était chéri de son public ordinaire, mais les plus grands salons se l’arrachèrent bientôt, et il n’y avait pas de belle fête dans le grand monde si Bobèche n’y venait débiter des sornettes avec son compère.
Quant à Galimafré, son émule et son rival, Galimafré, qui appelait la foule à l’aide d’une gigantesque crécelle, il n’était guère moins aimé que lui. Vêtu d’un costume bas normand, coiffé d’une perruque dont les cheveux étaient coupés droit sur le front et qui était couverte d’un chapeau à bombe, c’était un grand garçon long, maigre, efflanqué, dont les calembredaines balourdes, qui n’étaient point pourtant sans quelque fond de raillerie, faisaient aussi le bonheur du populaire des boulevards. L’un et l’autre avaient tant de succès, surtout quand ils jouaient ensemble, qu’ils allongeaient démesurément leurs parades et que le commissaire dut s’en plaindre plus d’une fois, à cause de l’encombrement qu’elles produisaient sur le boulevard, où la circulation s’en trouvait interrompue. Et au milieu des amateurs habituels, des partisans ordinaires des deux pitres, on voyait souvent de fins lettrés comme Nodier, de grands comédiens comme Monvel, qui venaient les entendre et les voir avec un véritable plaisir. Leur métier de paradistes n’empêchait pas Bobèche et Galimafré d’être de bons patriotes. « En 1814, a dit un de leurs historiens, quand les troupes alliées attaquèrent les buttes Chaumont, Bobèche et Galimafré, postés derrière une barricade de la rue de Meaux, un fusil à la main, prouvèrent qu’à l’occasion des paillasses du boulevard savaient faire autre chose que des grimaces. Alors, ne voulant pas faire de parades pour les ennemis, Galimafré quitta le métier, entra comme machiniste à la Gaité, puis à l’Opéra-Comique, où, pendant trente ans, il garda le côté cour ; aujourd’hui, c’est un paisible rentier de Montmartre, aimé de ses enfants. » Galimafré est mort depuis une douzaine d’années. Pour Bobèche, dont la renommée fut immense sous la Restauration, il eut la singulière idée, un beau jour de vouloir jouer la vrai comédie, et de se faire directeur de théâtre en province. Il n’y réussit guère, paraît-il, et l’on ne sait comment il a fini.

Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d ‘Arthur Pougin, 1885.


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