Belcour

Belcour, fils d’un peintre nommé Colson, naquit à Paris en 1775 ; il débuta, en décembre 1750, sur le Théâtre-Français, et fut reçu l’année suivante au nombre des comédiens du roi. La nature et l’éducation lui avaient donné tous les moyens pour devenir un acteur célèbre ; il réunissait à une taille avantageuse une figure agréable et distinguée. Le son de sa voix était doux, et cependant assez clair pour qu’on ne perdît rien de sa prononciation qu’un grasseyment rendait quelquefois singulière, mais jamais désagréable. Il était doué d’une mémoire extraordinaire ; il avait cet avantage précieux pour son état à un si haut degré, qu’il suppléait souvent à des rôles imprévus quand on changeait de pièces, ou qu’on remettait dans un jour au théâtre un rôle qu’il n’avait pas joué depuis dix ans.

Il avait été élevé aux collèges des Pères de l’Oratoire, tant en Bourgogne qu’en Languedoc. On fit plusieurs tentatives pour l’engager à entrer dans cet ordre ; il en eut longtemps envie lui-même ; il y fut pensionnaire depuis l’âge de huit ans jusqu’à l’âge de quinze. Elevé avec tous les gentilshommes de ces provinces, il en conserva longtemps quelques-uns pour amis, qui l’ont revu même avec plaisir plusieurs années après qu’il eut pris le parti du théâtre.
Bon ami, serviable, sans être homme à grandes démonstrations ; il était franc ouvert, exact aux premiers devoirs de la société, honnête homme, bon fils. Sût dans son commerce sociable, discret, ne sortant jamais de sa place, mais réservé en public, il passa pour avoir un peu de fierté parce qu’l parlait peu dans les foyers de la comédie, et dans les lieux publics où il se montrait rarement ; il s’y livrait encore moins à faire à tout le monde de ces avances qui lui paraissaient ou trop libres et familières, ou trop basses dans un homme public.

Il eut toute sa vie une société de personnes plutôt au-dessus qu’au-dessous de lui ; il n’y fut jamais déplacé ; il en fut estimé comme homme social, et beaucoup le traitèrent, et le regardèrent ouvertement comme un ami.
Ennemi de toute tracasserie, il ne prit jamais parti pour personne, soit dans son état, soit dans la société générale. Il fuyait toute affaire importune ; jamais il ne sollicita ni pour lui, ni pour les autres, à moins que ce ne fut un devoir de probité, il aimait néanmoins à obliger directement lorsqu’il le pouvait, il rendait justice au mérite de ses camarades sans partialité, et sans consulter son inclination, il ne parlait peu de lui, ne se citait, et ne se comparait jamais. Né sans jalousie et sans envie, toute son ambition était le bonheur ; la considération était une des choses qui lui paraissaient le plus nécessaires pour y parvenir, et son exactitude à remplir ses devoirs était le moyen qu’il employait pour l’acquérir. Dans sa société toujours prêt à tout, il ne fit jamais changer une pièce, sous prétexte que le rôle ne lui plaisait pas, qu’il était de peu de conséquence ou qu’il le fatiguait. Pendant près de quinze ans aux voyages de Fontainebleau, il jouait tous les jours dans les deux pièces à Paris et à la cour, montant en voiture après le spectacle pour jouer le lendemain à Fontainebleau, revenant jouer le lendemain à Paris ; il passait sa vie sur la route et sur la scène. Il était considéré de ses camarades. Son avis était regardé dans leur comité comme un des meilleurs, quoiqu’il ne fût pas toujours suivi. Il se joignit à Le Kain et à Préville, pour mettre de l’ordre dans les affaires de la comédie qui jusqu’alors avaient été maniées par des fripons ; et l’on peut dire que cette réunion, que l’on nommait par dérision le Triumvirat, a fait le sort de la comédie en détruisant des abus onéreux pour ceux qui arrivaient dans cette société.
Il connut les grands principes de son art ; il s’en occupait même au milieu de la société, où il prenait la masse générale des caractères qu’il avait à peindre, sans y mettre de portraits particuliers ; il évitait ces imitations minutieuses qui nuisent au caractère général : il croyait que c’était un vice de faire valoir un rôle aux dépens de la pièce, ainsi que de rechercher les détails qui ôtent à la totalité du rôle son caractère, qui ne peut avoir l’air vrai que par la simplicité ; que le nombre rapproché des détails, quelques variés qu’ils soient, devient monotone, et répand dans le rôle une affectation qui, quoique agréable et amusante, semble faire pour faire les honneurs de l’esprit de l’acteur plutôt que du génie de l’auteur, et qui en rendant le rôle brillant, rendent l’ouvrage nul.

Il était d’avis qu’un acteur ne pouvait satisfaire son amour-propre qu’en remplissant les vues que l’auteur avait eues en concevant son ouvrage ; que les caractères des personnages devaient être soutenus, dessinés avec netteté sans trop de distraction, et qu’il ne fallait s’attacher qu’aux détails qui pouvaient ajouter à ces caractères, sans y mettre une affectation de recherche et d’esprit.
Il voulait surtout qu’un acteur sût opposer son jeu à celui qui était en scène avec lui, pour que la scène eût l’ensemble et l’effet nécessaire, et il prétendait que le même rôle devait être joué différemment, selon celui avec qui il est joué, aussi était-il différent en scène avec Préville qu’avec Armand et Feuilli.

Vivant au milieu des hommes qui formaient la grande société, il en avait contracté toutes les habitudes, et il était au théâtre quant aux manières ce qu’il était dans le monde où il vivait ; aussi y paroissait-il avec cette aisance noble qu’il avait empruntée de ces mêmes hommes qu’il traduisait sur la scène.

Né avec une grande douceur et une grande vivacité, lorsqu’il avait des passions violentes à exprimer, il était obligé de forcer son caractère, alors sa voix cessait d’être naturelle, l’effort que sa vivacité lui faisait faire le mettait hors de son aplomb, il était moins bien placé. Son débit, qui était naturellement un peu rapide, ne lui permettait plus dans ces moments de mettre les nuances et les réticences dont d’autres abusent, et qui lui auraient été  nécessaires. Sa sensibilité n’était pas agréable, son organe changeait de son, il avait alors une espèce d’enrouement qui le faisait crier. Ses gestes, qui étaient naturellement ceux de la société des hommes distingués par leurs manières, dont les mouvements ne sont pas multipliés, devenant alors extraordinaires en lui, produisaient le même effet que ce qui arrive aux gens du monde qui veulent jouer la tragédie. Il avait le défaut de gesticuler plus du bras droit que du gauche ; ce qui lui arrivait plus fréquemment dans les moments d’abandon, qui étaient ceux qui lui seyaient le moins.
Belcour fut un acteur distingué dans tous les rôles qui comportent de la noblesse, l’usage du monde et de la représentation, tels que le Glorieux, le Dissipateur, le Misanthrope, l’Homme du jour, le Jaloux désabusé, le Distrait, le Joueur, l’Homme à bonnes fortunes, le Festin de Pierre ; il joua bien le Métromane, le Menteur, et Durval dans le Préjugé à la mode.
Il excella dans les petits-maîtres, surtout dans les rôles des jeunes gens de qualité un peu pris de vin, comme dans Turcaret, le Retour imprévu, et dans quelques rôles qu’il rendit originaux par la singularité qu’il y attacha, comme Valsin dans les Fausses infidélités, Almaviva dans le Barbier de Séville, l’Homme singulier, le Tambour nocturne, jusqu’au Somnambule.
Il riait au théâtre avec une facilité et une vérité singulière ; il n’était pas possible au spectateur de n’être pas entraîné à suivre son exemple, ce qui est la pierre de touche du vrai naturel. Il ne négligea jamais les rôles utiles à la pièce et qui ne sont rien si l’on n’y porte le plus grand soin. Dans cet esprit il joua l’amoureux du Légataire universel, celui des Ménechmes, et tant d’autres où l’acteur n’a d’autre avantage à retirer que celui de faire valoir la pièce, ce qu’il regarda toujours commun des premiers devoirs de son état et un des plus nécessaires à sa société.
Dans toutes les troupes de province où il a été, soit avant d’être comédien du roi, soit depuis, lorsque, pour obliger quelque directeur, il s’est transporté en province, tous ses camarades se sont loués de son affabilité simple et naturelle, de sa conduite noble et généreuse, de sa gaieté ingénue et de la douceur de sa société.
Point exigeant, la moindre contrainte le contrariait, il avait le malheur d’attacher une espèce de convention à ses amusements, ce qui l’empêcha de jouir de mille agréments qu’il aurait pu se procurer, il était d’ailleurs homme d’habitudes, il n’était heureux qu’en faisant tous les jours la même chose.

Il se mit toujours au théâtre avec une grande décence, un maintien noble, vêtu selon l’exigence des rôles, avec magnificence, ne prenant les modes qu’avec discrétion, soigneux, propre, se ressentant du monde où il avait passé sa vie, il en offrit un véritable tableau, qui, sans déplaire aux originaux, pouvait leur faire sentir leur ridicule par une nuance légère qu’il avait l’adresse d’y mêler. Il savait mettre de la véracité dans les rôles qui, quoique de caractère semblable, étaient de différents étages, et il ne jouait pas de même l’Homme à bonnes fortunes et le Chevalier à la mode, le Glorieux et l’Homme du jour ; je ne dis pas seulement pour le caractère, mais encore pour la manière d’être dans le monde, où l’un craint toujours qu’on oublie ce qu’il est, et l’autre que l’on ne s’en occupe pas, quoique tous deux magnifiques en habits, leur manière de se mettre doit annoncer la différence de leurs caractères. Il abordait une femme avec décence ; il trouvait que ce qui s’observer au théâtre où des manières familières ne conviennent qu’entre les valets et les soubrettes, ou tout au plus du maître au valet. Il fut souvent chargé par ses camarades de parler au public, ce dont il s’acquitta toujours en peu de mots, sans y mettre de prétention, avec succès pour la chose et manière à plaire au public qu’il respecta toujours et dont il mérita les regrets. Il est mort en 1778.

Galerie dramatique, ou Acteurs et actrices célèbres qui se sont illustrés sur les trois grands théâtres de Paris. 1809


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