Aqua-tinta

aquatinte

Genre de gravure à l’eau-forte qui imite les dessins lavés (lavis) à l’encre de Chine, à la sépia, au bistre, à l’encre à écrire.

Dictionnaire de l’art, de la curiosité et du bibelot
Ernest Bosc, Paris, Librairie de Firmin-Didot et Cie, 1883

 

Eau-colorée, terme par lequel on désigne une sorte de gravure imitant le lavis. Ce nom a été donné à cette manière de graver, parce que l’on opère, non avec des outils d’acier pour entamer le métal sur lequel le travail s’exécute, mais avec une eau corrosive qui le creuse en passant dans les interstices d’un vernis poreux.

La gravure au burin, avec ou sans préparation à l’eau-forte, a sur les autres genres l’avantage de rendre toutes les finesses du dessin, et même du clair-obscur d’un tableau ; mais la gravure à l’aqua-tinta peut reproduire avec une exactitude scrupuleuse le grené et les hachures du crayon, le trait libre et heurté de la plume, et les teintes adoucies du lavis.

C’est à J.-B. Le Prince, peintre français mort en 1781, que l’on doit les premiers essais de la gravure à l’aqua-tinta, telle qu’elle est pratiquée encore aujourd’hui, à quelques modifications près. Très-prompte dans ses résultats, simple et facile dans sa manipulation, exigeant néanmoins beaucoup d’adresse et d’intelligence, elle convenait par cela même aux peintres ; aussi fut-elle pratiquée par Fragonard, Palmieri, Houel et plusieurs autres artistes et amateurs du siècle passé. Paul Sandby fut le premier qui la fit connaître à l’Angleterre en 1776, et il en communiqua le procédé à Juckes. Les Allemands, et notamment Théophile Prestel, l’adoptèrent ensuite, la poussèrent à un assez haut degré de perfection quant au fini, et même ils y apportèrent d’heureuses innovations qui permettent de jeter plus de variété dans les teintes et de franchise dans la touche.

Tant qu’on n’a employé que des planches de cuivre, ce genre avait le désavantage de fournir à peine quelques centaines d’épreuves, après lesquelles il fallait retoucher la planche. Maintenant qu’on se sert de planches d’acier pour tous les genres de gravure, on peut multiplier les exemplaires.

L’aqua-tinta offre un inconvénient assez grave qui décourage quelquefois les artistes, c’est le peu d’égalité de ses résultats. Ce sont des accidents inattendus et indépendants de la volonté de celui qui pratique ce genre de gravure, quelque habile qu’il soit.

Le Prince expose lui-même ses procédés dans un manuscrit déposé dans les archives de l’ancienne Académie de Peinture, qui ne fut imprimé qu’en 1788, dans l’Encyclopédie méthodique.

Un trait du sujet est établi avec une pointe arrondie qui découvre seulement le cuivre sans l’entamer, ensuite on fait mordre par le moyen ordinaire de l’eau-forte.

Après avoir tracé le contour des objets et dégraissé la planche, on la recouvre de vernis ordinaire et sans le noircir, pour que le trait puisse être aperçu ; puis, avec une encre composée d’huile d’olive,  d’essence de térébenthine et de noir de fumée, on place avec le pinceau des couches sur toutes les parties qu’on veut teinter. Cette encre ramollit et dissout le vernis. On pose un linge fin sur la planche, on l’y presse avec la paume de la main ; le vernis s’y attache, découvre le cuivre, qu’on achève de nettoyer en réitérant cette opération et en dégraissant enfin toutes les parties qui ont été soumises à l’action du dissolvant avec de l’amidon ou de la chaux éteinte réduite en poudre.

Il s’agit maintenant de couvrir toutes les parties du cuivre nu avec le vernis poreux. Ce vernis se compose de la plus belle résine blanche réduite en une poussière impalpable dont on saupoudre la planche au moyen d’un tamis de soie ; mais, pour que cette résine s’attache au cuivre, il faut qu’il soit déjà enduit d’une liqueur visqueuse sans épaisseur et composée de sucre et de savon étendus d’eau. Les particules de résine qui adhèrent à cet enduit doivent suffire ; on ôte le surplus en renversant la planche et en la frappant de son champ sur la table ; il ne reste qu’à faire chauffer cette résine pour la transformer en un vernis poreux : à mesure que la chaleur pénètre le cuivre, on la voit se fondre ; de blanche et opaque qu’elle était, elle devient transparente, et les contours reparaissent.

L’opération de la morsure est, sans contredit, la plus difficile et celle qui exige le plus de soins. Le Prince se servait de mordants de deux degrés : l’un se composait d’une partie d’acide nitrique et de deux parties d’eau ; l’autre, d’une partie d’acide sur trois parties d’eau. Au reste, on ne peut indiquer exactement le degré de l’eau-forte.

Pour juger plus sûrement le travail de l’acide, on pourra établir une échelle de tons sur la marge même du cuivre sur lequel on opère, après les avoir induits du vernis poreux, on les divise par bandes ; on fait mordre d’abord pendant quelques minutes, et l’on couvre l’une de ces bandes avec le vernis de Venise (vernis liquide que l’on applique avec le pinceau). Cette opération est répétée sur le reste de l’échantillon pendant des espaces de temps déterminés, en couvrant l’une après l’autre les différentes divisions et en tenant note du temps que l’eau-forte y a séjourné. On aura par ce moyen une échelle de tons dégradés, qui pourra s’adapter à tous les plans du dessin.

Enfin, pour faire mordre la gravure, il ne s’agit plus que de comparer ce dessin avec l’échantillon ; et comme on obtient un ton léger  ou vigoureux suivant qu’on laisse l’acide agir plus ou moins longtemps sur la planche, on fait mordre chaque teinte dans un rapport exact avec l’original, et, à mesure que la copie atteint le degré de vigueur désiré dans quelques parties, on le découvre avec le vernis, et l’on recommence autant de fois que l’exige la dégradation du clair-obscur.

L’objet le plus difficile à exécuter quant à la morsure, c’est l’intensité du ton ciel dégradé en clair bers l’horizon. Pour opérer cette dégradation insensible, il suffit d’incliner le cuivre du côté opposé d’un haut rebord en cire, et assez lentement pour obtenir l’effet désiré. Si la première opération ne suffit pas, on recommencera autant de fois qu’il sera nécessaire.

Plus tard on a substitué au procédé de Le Prince que nous venons de décrire une manière opposée et qui est fort avantageuse en certains cas : après avoir tracé les contours comme dans le précédent procédé, on commence par appliquer le vernis poreux, c’est-à-dire la résine pulvérisée par le moyen indiqué plus haut, à la superficie entière du cuivre. On a rendu plus sûre l’action de saupoudrer la planche de résine, en se servant, à cet effet, d’une boîte de bois fermée de toutes parts, à l’exception d’une ouverture étroite et pratiquée sur toute la largeur de l’un de ses côtés dans la partie inférieure. Au niveau de cette ouverture, il existe une sorte de treillage occupant tout l’intérieur de la boîte ; il est destiné à supporter la planche. L’ouverture se ferme hermétiquement au moyen d’une coulisse. La boîte contient environ un demi-kilogramme de résine en poudre qu’il faut mettre en mouvement par l’action d’un fort soufflet dont le bout est introduit dans la boîte par un petit trou pratiqué à cet effet. Ce n’est cependant que quelques secondes après que cette poudre a été agitée, afin que les parties les plus pesantes soient tombées, que la planche est introduite pour recevoir les parties les plus légères qui restent suspendues au dessus. Au bout de quelques minutes, on retire la planche de la boîte ; elle est couverte d’une couche égale et très mince de résine que l’on convertira en vernis poreux en la soumettant à l’action d’un feu doux dont l’effet sera de fixer les granules de cette résine sur le cuivre.

Maintenant on arrive à produire le grain par une manière beaucoup plus simple. On sature de résine un alcool à 45 degrés ; on mêle 9 dixièmes d’alcool et 1 dixième de cette dissolution, qu’on répand ensuite sur toute la surface de la planche, en laissant écouler tout ce qui ne s’y attache pas immédiatement. Peu d’instants après, la planche se sèche, et on peut apprécier la finesse du grain. S’il est trop fin, on recommence l’opération en ajoutant de la dissolution de résine ; s’il est trop gros, en y ajoutant de l’alcool pur.

Le calque se fait alors avec de la sanguine ; on peut même le repasser avec un crayon de mine de plomb très-tendre, en ayant soin de ne pas attaquer le grain. On recouvre avec le vernis de Venise, mêlé d’une petite quantité de noir de fumée, les parties qui doivent rester blanches, et on fait mordre avec de l’acide nitrique ordinaire à 40 degrés, en ayant égard à l’état de l’atmosphère. La même opération se répète autant de fois qu’il y a de tons différents à obtenir, et en raison de leur plus grande vigueur. Le ton le plus coloré sera celui qui, après avoir pris sa part successivement de toutes les morsures, en subira seul une dernière.

L’eau-forte à couler est employée de préférence par quelques artistes, parce que son action est moins vive que celle de l’acide nitrique, et qu’elle creuse sans agir latéralement.

Il ne faut pas négliger, dans l’opération de la morsure, de laver le vernis avec de l’eau fraîche et même à plusieurs reprises chaque fois qu’on retirera l’eau-forte, et de ne la remettre qu’après qu’il sera bien séché.

Dictionnaire de l'Académie des Beaux-Arts. Tome II
Paris, Typographie de Firmin Dido Frères, Fils et Cie, 1868


 

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