Applaudissements

Approbation du public

Nous n’avons pas à faire ici la physiologie de l’applaudissement ; chacun sait en quoi il consiste, et ce que nous en pourrions dire n’apprendrait rien à personne. Les applaudissements, lorsqu’ils sont spontanés et sincères, sont la plus belle récompense qu’un comédien puisse ambitionner. Par malheur, l’ignoble usage de la claque, qui s’est introduit chez nous depuis plus de soixante ans, enlève à cette manifestation, si flatteuse par elle-même, la plus grande partie de son prix, le public, même lorsqu’il est satisfait, répugnant à mêler ses battements de mains à ceux des personnages soldés pour cette besogne.

Cependant, il arrive encore que le talent supérieur d’un grand artiste sait acquérir assez de puissance pour électriser une salle entière et la faire éclater en applaudissements unanimes. On a vu même parfois des acteurs exciter à ce point, par leur talent, l’enthousiasme des spectateurs, que ceux-ci, ayant une fois commencé, semblaient ne plus pouvoir se lasser d’applaudir, ne s’arrêtaient un instant que pour recommencer de plus belle, et interrompaient ainsi l’action scénique par leurs bravos pendant plusieurs minutes. Dans de telles circonstances il n’est pas sans exemple de voir un comédien, justement ému par la puissance d’une manifestation si spontanée, si pleine d’éclat, si véritablement honorable pour lui, succomber à l’excès de sa joie et fondre en larmes aux yeux du public. Chez les anciens, on avait en quelque sorte réglé les applaudissements. « A Rome, dit un chroniqueur, les acclamations étaient fort usitées au théâtre, et particulièrement dans les représentations lyriques. Ce ne furent d’abord que des cris et des applaudissements confus ; mais dès le règne d’Auguste on en fit un concert étudié : un musicien donnait le ton, et le peuple, formant deux chœurs, répétait alternativement la formule d’acclamations Le dernier acteur qui occupait la scène donnait le signal des acclamations par ces mots : Vadete et applaudie. Lorsque Néron jouait de la lyre sur le théâtre, Sénèque et Burrhus étaient alors les coryphées ou premiers acclamateurs ; de jeunes chevaliers se plaçaient en différents endroits du théâtre pour répéter les acclamations, et des soldats, gagés à cet effet, se mêlaient parmi le peuple afin que le prince entendit un concert unanime d’applaudissements. Cet usage dura jusqu’au règne de Théodoric. » Mais ce ci rentre dans le domaine de la claque, et nous renvoyons le lecteur à ce mot pour lui faire connaître tout ce qui concerne les applaudissements salariés.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d ‘Arthur Pougin, 1885.

 

Approbation du public

Que jamais vos regards n’aillent furtivement
Mendier la faveur d’un applaudissement

La fureur des applaudissements produit souvent cette manie de vouloir tout forcer et d’abuser ainsi de son organe et de son feu naturel, surtout parmi les acteurs tragiques et parmi ceux qui jouent le drame, et qui souvent ont plus l’air d’énergumènes que de héros passionnés. En cherchant à provoquer les applaudissements, l’acteur montre l’acteur et non le personnage ; toute l’illusion est alors détruite, et le public n’applaudit plus qu’un manœuvre qu’il veut récompenser de sa peine, au lieu d’applaudir un artiste pour son talent. Il faut que l’acteur oublie le public et que le public oublie l’acteur, qu’il ne voie que le personnage.
Les comédiens ont tort qui veulent faire remarquer leur manière plutôt que les pensées et les sentiments d’un rôle, plutôt que la physionomie générale de ce rôle. Quel est l’applaudissement qui doit le plus flatter le poète et le comédien ? C’est lorsqu’un profond silence règne dans la salle, lorsque le spectateur, le cœur brisé et l’œil baigné de larmes, n’a ni la pensée, ni la force de se livrer à des battements de mains, que, plongé dans l’illusion victorieuse, il oublie l’art et le comédien. Les nuances mal employées sont celles du mauvais genre telles qu’on en voit dans les talents factices qui ne sont que trop à la mode, et néanmoins ce sont ces nuances-là même que le gros du public applaudit presque toujours machinalement, et souvent sans avoir entendu un mot de ce qu’a dit l’acteur. C’est surtout à la fin d’une tirade qu’on remarque ordinairement ces sortes de tons ou refrains, qui après un grand éclat des voix, tombant tout à coup dans le bas, ont l’art de fasciner le vulgaire et de lui arracher des bravos ; illusion moins produite alors par la force du naturel et de la vérité, que par ce grand contraste de sons hasardés d’après on ne sait quelle route d’un mauvais genre de déclamation. Il y a des acteurs qui n’ont presque établi leur réputation qu’à la faveur de cette espèce de clinquant. Les applaudissements déplacés gâtent les comédiens, les poussent à forcer leurs rôles, à négliger les détails, etc. Cela n’arrive que trop souvent dans tous les spectacles du monde, où l’on n’accorde guère les honneurs du succès qu’à celui qui crie le plus fort dans le tragique, ou qui fait le plus de charges et de grimaces dans le comique. Un jeu rempli de sagesse et de vérité est presque toujours compté pour rien aux yeux d’une multitude ignorante.
Quand les applaudissements sont provoqués, ils ne peuvent qu’égarer les

acteurs, qui ne sont plus à même de distinguer ceux qui sont mérités. L’acteur une fois égaré est condamné à la médiocrité. Ce qui est beau et vrai l’est toujours ; ce qui ne l’est pas, malgré les efforts de l’intrigue, s’anéantit tôt ou tard. Les applaudissements qu’on appelait l’approbation du public, ne peuvent plus guère être définis ainsi aujourd’hui, puisqu’ils s’achètent et qu’il y a des charges de claqueur en chef ou maître claqueur, qui se négocient et se vendent comme on vend des charges d’agent de change ou des offices de notaire. Il y a maintenant des directeurs pour l’enthousiasme, pour les chuteurs, pour les rieurs, pour les pleureurs et pour les bisseurs. Aux Italiens, ceux qui applaudissent par état, n’en comprennent pas un mot, et ils crient à tue-tête : brava ! bravissima !
 – En fait d’applaudissements, il est des circonstances où une seule personne donne le branle à toute une assemblée : M. X auteur de XX, étant à la première représentation, fit le seul succès de son ouvrage, en s’écriant au dénouement qui n’est autre chose qu’un tour de passe :
- « Ah ! que cela est ingénieux ! »
- Le public, sans le connaître, le crut sur sa parole, et la pièce qui jusqu’à ce moment avait fort chancelé, réussit et fut jouée cinq ou six fois de suite. Il est vrai qu’elle n’a pu réussir à la reprise, parce qu’il est rare que le public se laisse attraper deux fois.
- Les partisans de la claque disent, avec Elleviou, qu’elle est aussi utile aux comédiens, que le lustre au milieu de la salle. Les adversaires de la claque qu’elle nuit aux comédiens, et agace le vrai public.
- On appelle les claqueurs, dans l’argot théâtral, Romains ou Chevaliers du lustre.

Les Romains portaient très loin l’industrie des applaudissements, ils les divisaient en trois classes, selon Suétone :
1° les bombi, dont le bruit imitait le bourdonnement des abeilles ;
2° les imbrices qui retentissaient comme le pluie tombant sur les tuiles ;
3° les testoe, dont le son éclatait comme celui d’une cruche qui se casse. Sénèque nous apprend qu’on applaudissait aussi en faisant voltiger le pan de la robe, ou avec les doigts, qu’on faisait claquer, ou enfin de la même manière que nos applaudissements. Selon Properce, on se levait pour applaudir. Tacite, qui se préoccupe plus de la qualité que de la quantité, se plaint des applaudissements maladroits des gens de la campagne, qui troublent l’harmonie générale des applaudissements modulés. Les comiques romains ne se faisaient pas scrupule de solliciter des applaudissements du public : comme coutume observée rigoureusement par Plaute et Térence à la fin de leurs pièces, et que nos vaudevillistes ont conservée.

Encyclopédie de l’art dramatique  C.-M.-Edmond Béquet - 1886


 

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