Appeler Azor

Siffler un acteur

C’est un euphémisme dont on se sert parfois au théâtre pour indiquer que des sillons se sont fait entendre. Dans ses Mémoires, qui sont assurément ce qu’on a écrit de plus charmant en ce genre, le grand comédien Fleury nous fait connaître l’origine de cette locution amusante. D’après ce qu’il rapporte, un acteur qui portait ce même nom de Fleury, mais qui n’était pas destiné à l’illustrer de la même façon que lui, jouait le grand emploi tragique à la Comédie Française vers 1735. Ce malheureux n’avait pas le don de plaire au public, qui, comme c’était l’usage alors, le lui faisait souvent venir sentit par de vigoureuses bordées de sifflets. En revanche il avait un père, à la fois aubergiste et Cent-Suisse, qui l’aimait beaucoup et qui jura de le venger. Notre homme un jour endosse son costume, fourbit consciencieusement son épée, se rend au théâtre en compagnie de son chien, un chien superbe qui avait reçu le nom de Tarquin, et se plante dans les coulisses, tenant Fleury raconter lui-même les infortunes de son homonymes :

On jouait Iphigénie en Aulide ; Achille paraissait (Achille, c’était mon homonyme). Le parterre lui fit entendre à sa manière qu’il le reconnaissait. Fleury, en homme accoutumé, n’y fait pas autrement attention, le chien s’échappe, il court à son jeune maître, flaire les personnages, remue joyeusement la queue, et lèche les mains du fils de Thétis. Les spectateurs peu touchés, n’en continuent que de plus belle. Les entrailles paternelles s’émeuvent, le Cent-Suisse ne peut se contenir ; il tire son épée…, quand Gaussin s’approche de lui, retient son bras, et avec cet accent qu’on lui connaissait : « Eh ! Monsieur, on avait aperçu votre chien ; ne comprenez-vous pas qu’on appelle Tarquin ? » Le pauvre père, désarmé, crut d’autant plus cela que Fleury, embarrassé de la bête, criait du théâtre, aussi haut que son rôle : « Sifflez donc, mon père, sifflez donc ! » Et le père de se joindre au chorus général, et, par amour paternel, de siffler de toutes les forces d’un Cent-Suisse. Depuis, chaque fois que pareille tempête se déchaine contre un comédien, on nomme cela, en langage de coulisses : appeler Turquin. Mais Fleury ajoute en note : « Maintenant, cela se nomme : Appeler Azor. Tarquin est trop classique. »
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d ‘Arthur Pougin, 1885

 

Siffler un acteur, exprime ce petit bruit aigu et désagréable que produit un spectateur mécontent en chassant l'air à travers ses lèvres 


 

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