Apelle

Peintre né à l'île de Cos

Peintre, florissait sous le règne d’Alexandre le Grand, c’est-à-dire trois cents ans environ avant Jésus-Christ. Il naquit dans l’île de Cos, d’une famille qui devait être noble, puisqu’il fut instruit dans la peinture par Pamphile, qui ne prenait que des personnes de cette condition, dont il retirait des sommes presque incroyables. Apelle n’eut pas lieu de regretter son temps ni son argent ; il fit des progrès si rapides, qu’il surpassa son maître, quelque habile qu’il fût et qu’il laissa bien loin derrière lui tous ses rivaux. On doit ajouter qu’il s’éleva même à ce point de perfection qui lui a mérité la gloire d’être regardé comme le plus grand peintre de l’antiquité. Ses ouvrages étaient accomplis. Né avec un génie heureux, il inventait facilement, et il disposait avec goût ; sa touche était libre, noble et gracieuse ; la nature semblait conduire son pinceau, il en saisissait toutes les expressions, toute la finesse, et jusqu’aux moindres nuances. Quoiqu’à la manière des anciens il ne se servit que de quatre couleurs, son coloris était bien entendu ; il était vrai, vif et brillant.

Mais ce qui dominait le plus dans les ouvrages d’Apelle, c’était la grâce et l’élégance. Il fut le premier et presque le seul qui reçut du ciel cette grâce, et ce que ne sais quoi de libre et de rare, ou, pour mieux dire, de divin, qui ne se peut enseigner, et que les paroles mêmes ne sont pas capables de bien exprimer. Il avait coutume d’employer un certain vernis que personne n’a pu pénétrer. Ce vernis, dit Pline, avait trois propriétés bien essentielles ; il rendait les couleurs plus unies, plus moelleuses, plus tendres ; il ménageait la vue du spectateur et garantissait l’ouvrage de la poussière ; on prétend que cet article est le premier qui trouva le profil, pour cacher la difformité du prince Antigone qui n’avait qu’un œil. Du reste, il faisait des portraits avec tant de ressemblance et de fidélité, qu’au rapport de Pline, les astrologues ne faisaient pas difficulté de s’en servir pour tirer l’horoscope des personnes qu’il avait peintes.

Alexandre le Grand avait la plus haute estime pour Apelle. Il prenait plaisir à le voir travailler dans son atelier et à s’entretenir avec lui, parce que sa conversation n’avait pas moins de charmes que ses ouvrages. Il lui fit faire plusieurs fois son portrait, et il défendit même par un édit à tout autre peintre de l’entreprendre. On admirait surtout celui où ce héros tenait un foudre à la main et qui fut placé dans le temple d’Ephese ; il passait pour une merveille de l’art. Ptolomée, roi d’Egypte, chez lequel Apelle s’était retiré après la mort d’Alexandre, ne lui fut pas si favorable. Des ennemis, jaloux de son mérite, l’accusèrent d’être entré dans un complot contre la vie de ce prince. Il eut le bonheur d’échapper au supplice ; et il se retira à Ephese, où il composa ce tableau admirable de la calomnie, dans la composition duquel il fut inspiré par un esprit de vengeance contre Ptolomée et contre ses rivaux.

Modeste, malgré ses talents supérieurs, Apelle convenait de bonne foi du mérite des autres célèbres artistes, et les mettait pour certaines parties, au-dessus de lui. Il reconnaissait qu’Amphion le surpassait dans l’ordonnance, et Asclépiodore dans les proportions. Il rendit également justice à Protogène, dont il vanta si fort les ouvrages, qu’il le rendit estimables aux yeux des Rhodiens, qui en avaient été peu frappés jusqu’alors. Tout le monde sait de quelle manière il se fit connaître à ce même Protogène. Ayant fait exprès le voyage de Rhodes pour le voir et ne l’ayant pas trouvé dans sa maison, il dessina sur une toile, sans autre indication, quelques traits d’une extrême délicatesse. Ces traits suffirent à Protogène pour savoir qu’Apelle seul avait pu les former.

Il n’est pas inutile de remarquer que ce grand homme donna lieu à des proverbes qui sont encore en vogue. Il avait pour maxime de ne laisser passer aucun jour sans dessiner ; d’où vient ce premier proverbe : Nulla dies fine lineâ, nul jour sans tirer quelque ligne, c’est-à-dire sans dessiner. Le second fut établi à l’occasion suivante. Apelle avait coutume d’exposer ses ouvrages sous les yeux du public et il se tenait caché derrière pour savoir son jugement. Un jour, un cordonnier reprit avec liberté quelque défaut qu’il aperçut à une sandale ; ce défaut fut bientôt corrigé. Flatté de voir que sa critique avait eu son effet, cet artisan s’avisa le lendemain de censurer une jambe où il n’y avait rien à dire. Apelle sortit alors de derrière sa toile et lui dit que son jugement ne passait pas la sandale : Né futor ultrà crepidam. On en fit tout de suite une maxime dont la justesse est tous les jours reconnue. Les ouvrages d’Apelle étaient si estimés, qu’on en paya certains jusqu’à cent talents cent mille écus), et quelques autres sans compte et avec profusion. On en voyait encore beaucoup du temps de Pline, qui a fait la description des plus beaux. Cet auteur ajoute que de son temps on avait trois traités qu’Apelle avait composés sur les principaux secrets de son art.

Dictionnaire des artistes ou Notice historique et raisonnée des architectes, peintres, graveurs, sculpteurs, musiciens, acteurs et danseurs. Ouvrage rédigé par M. l'Abbé de Fontenai. 1776


 

Imprimer

Association

Faire un don
Adhérer

Formation Médecine des arts-musique

Cursus Médecine des arts-musique