Animaux savants

Il n’est pas de foire de réunions d’acrobates et de saltimbanques, où l’on ne rencontre au moins une ou deux baraques dont les propriétaires procèdent à l’exhibition d’animaux savants de toute taille, de toute espèce et de toute nature. Depuis la puce qui traîne un char en papier jusqu’à l’éléphant qui avale une bouteille de champagne après l’avoir débouchée, tout le règne animal y passe, dans ses plus curieux échantillons. Ce n’est pas d’aujourd’hui que certains industriels ont consacré leurs veilles à cette occupation intéressante qui consiste à dresser un animal à l’exécution des tours les plus singuliers. Sans parler de l’habileté que les jongleurs du moyen âge déployaient sous ce rapport, Paris, il y a cent ans, était littéralement peuplé d’animaux savants qui faisaient la joie des badauds et des désœuvrés. Le petit almanach intitulé les Spectacles des Foires et des Boulevards, qui parut de 1773 à 1787, est plein de renseignements sur ce sujet. Il nous raconte d’abord les exploits de « la troupe volatile » exposée à la foire Saint-Germain, laquelle se composait de différents petits oiseaux qui faisaient des « exercices de auteurs, l’estrapade, double estrapade, la voltige, l’exercice militaire et un grand nombre d’équilibres. Un de ces oiseaux travaillait au commandement des dames, et plusieurs autres, posés dans un soleil d’artifice, conservaient la même tranquillité que s’ils avaient été dans leurs cages. » Puis, c’était un cerf savant, dont son maître, un certain Philippe-Jacob Nast, faisait ainsi l’éloge : « Par les soins les plus assidus, on est parvenu à le rendre poli, obéissant, serviable et reconnaissant ; en sorte qu’il ne lui manque que la parole. En entrant, sans être attaché, il salue la compagnie respectueusement en baissant la tête trois fois jusqu’à terre ; il se pose ensuite dans l’attitude qu’il prend dans les forêts ; va trouver la plus jolie dame de la compagnie, ainsi que l’homme le plus amoureux ; il connaît toutes les couleurs, distingue les personnes âgées des jeunes, fait le manège comme un cheval espagnol, allant le pas, le trot et le galop ; se tourne à droite et à gauche ; s’arrête au commandement ; il saute à travers un cercle avec une vivacité étonnante ; il joue aux cartes et aux dez avec le premier de la compagnie qui se présente ; met le feu à un canon avec son pied aussi adroitement que le meilleur canonnier ; marche derrière celui qui bat de la caisse, comme un soldat ; lorsqu’on lui bande les yeux, en feignant de se préparer à lui casser la tête, il se met à genoux, et à la parole de grâce il se relève joyeux et remercie celui qui lui accorde son pardon ; il manque la valeur de toutes sortes de monnaies, et rapporte comme un chien la pièce qu’on lui aura prêtée ; il tire un coup de pistolet ave la bouche, éteint un lustre garni de lumières, et fait beaucoup d’autres exercices dont le récit serait trop long. « En voilà assez, en effet, pour nous apprendre que ce cerf était bien élevé et de bonne compagnie. Mais il nous semble surpassé encore par une certaine troupe de rats dont il est ainsi parlé :
« Un rats d’une grosseur prodigieuse, portant une barbe vénérable, adonisé avec soin, dansait sur la corde tendue ; il tenait dans ses petites pattes un balancier, et se présentait avec autant d’assurance que le plus habile danseur de corde ; sa grâce et sa gentillesse charmaient tout le monde. Ensuite une douzaine de rats, dressés sur leurs pattes de derrière, dansaient une sarabande au milieu du théâtre, avec une précision, une agilité surprenante. » Enfin, à ces serins, à ce cerf, à ces rats, il convient de joindre un phoque bien dressé, que son cornac annonçait en ces termes : « Il a le regard doux et humain, un instinct tout particulier ; il est fort docile, obéit au commandent, donne la patte, salue la compagnie, caresse ceux qui l’appellent, et aime beaucoup la musique. » La dernière réflexion ne manque pas d’intérêt.
Nicolet, lui aussi, montrait parfois des animaux savants. Entre autres, à ses danseurs de corde ordinaires et parlants, il joignait un singe nommé Turco, très habile à cet exercice, et qui avait acquis une véritable célébrité, ainsi que nous l’apprend un annaliste, dans un langage irrévérencieux pour les dames du temps :
Turco, singe très habile sur la corde et fameux à la foire, mourut, il y a trois ou quatre ans, d’une indigestion de dragées. Il était fort aimé du public, et surtout des dames. Il allait faire la belle conversation avec celles qui l’appelaient. Il s’asseyait sur l’appui des loges, et grugeait toutes les pastilles de ces belles, dont il était l’enfant gâté. Plusieurs guenons pleurèrent Turco, et une entr’autres, qui se pique de bel esprit, lui fit cette épitaphe :
(Air : Des Triolets.)
Ci-gît le singe à Nicolet,
Qui plaisait à plus d’une actrice :
Passans, montrez votre regret ;
ci-gît le singe à Nicolet.
Il était grand, poli, bien fait,
Des singes c’était le Narcisse.
Ci-gît le singe à Nicolet.
Hélas ! pourquoi faut-il qu’il gisse !
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d ‘Arthur Pougin, 1885.


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