Abel Gance

Il a été le cinéaste le plus puissant et le plus discuté de l’Ecole française (« notre maître actuel à tous », disait Jean Epstein en 1926). Né à Paris, le 25 octobre 1889, il a réalisé, avant 1930, une vingtaine de films qui, s’ils ne sont pas tous des chefs-d’œuvre, témoignent tous d’un lyrisme et d’un sens grandiose qui font de Gance une sorte de Victor Hugo du cinéma. On peut passer sous silence, dans une première approche, les œuvres baroques ou rocambolesques de ses débuts comme Mater dolorosa (1917) ou La Dixième Symphonie (1918), et même J’accuse (1919), mélodrame patriotique où le grotesque côtoie le sublime. Mais nul cinéphile ne peut ignorer La Roue (1919-1921), qui est, avec Le Cuirassé Potemkine, Intolérance et Les Rapaces, une des œuvres les plus étonnantes de l’histoire du cinéma.
Le scénario est un mélodrame naïf : un mécanicien nommé Sisif, adopte une orpheline, en tombe amoureux, la marie à un ingénieur, devient aveugle et à demi fou, les catastrophes se succèdent, l’ingénieur périt, le fils de Sisif, et le vieillard aveugle, métamorphosé en un curieux Œdipe, reste seul en présence de la jeune femme, moderne Antigone amoureuse de son père. Mais cette histoire touffue et ridicule est transfigurée par le génie visionnaire d’Abel Gance qui a su découvrir un style poétique.

 

1. Le langage cinématographique de La Roue est le même que celui de Griffith. Sa « figure » préférée est le montage accéléré (alternance de visages, des roues de la locomotive, des billes, de la vapeur, accélération du rythme de montage, et, en point d’orgue, la catastrophe et la mort de la locomotive parmi les fleurs). L’originalité d’Abel Gance a été, ici, d’adapter le procédé à des images comme on n’en avait jamais vues sur un écran : la poésie des machines, qui transforme, le moindre manomètre en « accessoire d’épopée » (Bardèche/ Brasillach), après avoir triomphé dans le roman (La Bête humaine, d’Emile Zola), et dans la peinture (Fernand Léger), faisait son entrée dans l’univers cinématographe, au moment même où Duchamp, Picabia et les Dada en découvraient la puissance envoûtante.
 2. La poésie, c’est aussi, chez Abel Gance la circulation subtile du réalisme le plus matérialiste au symbolisme mythologique. Sisif participe à la fois de la nature Sysiphe, le héros condamné à pousser éternellement un rocher, et de celle d’Œdipe (un Œdipe inversé, amoureux de sa fille), et, grâce à l’extraordinaire utilisation de la caméra, cette dimension poétique est largement perçue par le spectateur, en dépit du jeu outré du comédien Sévérin Mars.
  3. Au-delà de la forme, à côté de la description poétique et mythologique de la situation humaine, il y a, dans La Roue, une peinture sociale, une étude de milieu très pressante, plus instinctive – sans doute – que concentrée, comme le note Sadoul, mais qui annonce, à sa manière, le cinéma « social » des Soviétiques, que l’œuvre de Gance précède de quelques années.
Après La Roue, Gance tourna un film fantaisiste avec Max Linder, Au Secours (1923), puis il s’attaqua à son deuxième grand chef d’œuvre : Napoléon (1926-1927). Dans ce film, Gance utilisa, pour la première fois, la projection simultanée sur trois écrans, recherchant ce qu’il appelait la polyvision, c’est-à-dire la vision simultanée de plusieurs événements. Le manque d’argent et le manque de temps ne permirent pas au cinéaste français de réaliser la fresque épique dont il rêvait. Le Napoléon de Gance ne conte, en fait, que les débuts de l’épopée bonapartiste. Mais quel instinct dans l’art du conteur, quel sens prodigieux de l’utilisation de la caméra, des mouvements de foule, du montage simultané.
Le résultat de tout cela, ce fut un chaos général, qui nous éblouit encore par sa perfection formelle, son style, mais qui déçoit par sa fragilité. Nous rencontrons ici l’exemple type de film gratuit. Dans la Roue, consciemment ou inconsciemment, Gance avait condensé une certaine quantité de vérité sociale ; dans le Cuirassé Potemkine, Eisenstein avait décrit – en la transfigurant – l’époque prérévolutionnaire de 1905 ; dans Intolérance, Griffith avait analysé, sur des situations historiques symboliques, un problème gigantesque. Par contre dans Napoléon, Abel Gance ne recherche aucune vérité, symbolique ou non, aucune idée d’ensemble ; il s’en tient à une conception non critique, infantile même, de la Révolution française et des premiers succès de Bonaparte. Il se réfère à l’imagerie d’Épinal. Il est donc très loin non seulement de la vérité anecdotique (ce qui n’aurait aucune importance), mais aussi de la vérité profonde, des lignes de force de l’histoire. Et son épopée sonne faux, non pas parce qu’elle exagère, mais parce qu’elle est à côté de la question. Il ne reste plus, dès lors, que l’éblouissante démonstration technique.


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