La technique. Chronique d’un professeur de piano, N°3

Comment acquérir cette technique pianistique

Cette idée me paraît sage, la technique et donc un moyen, pas un but
« Dix doigts de longueur et de force inégale, quatre-vingt-huit touches inégales (cinquante deux longues et blanches, trente six courtes et noires), pour s’en servir, nous avons besoin de technique, la technique c’est l’adaptation de la main au chemin du clavier. » [1]. En fait, ce mot prête souvent à confusion, on l’assimile trop souvent à virtuosité, vélocité, or cela est seulement un aspect de la technique. Il conviendrait d’ailleurs plutôt de parler « des techniques ». Une bonne technique s’apprécie aussi dans la lenteur, dans la position au clavier, dans la qualité sonore, dans l’aisance à l’instrument… Ainsi, tout est technique et tout est prétexte à travail technique. Le philosophe Barthes [2] disait « qu’il est contre le dressage des corps par la technique pianistique ». Tamia, chanteuse de jazz [3] pense que « la technique ne présente aucun intérêt en elle-même mais qu’elle est une nécessité absolue pour trouver une liberté ».
Cette idée me paraît sage, la technique et donc un moyen, pas un but.

Technique pianistique

Mais comment acquérir cette technique ?
Personnellement, je ne fais pas de travail systématique sur un recueil de techniques ou d’études, ce n’est pas adapté au public auquel je m’adresse. Je privilégie le travail d’œuvres, et en fonction des difficultés rencontrées dans une pièce, j’adapte des exercices que nous apprenons en cours, et je demande à ce qu’ils soient pratiqués dans la semaine, peu de temps mais avec conscience et pas mécaniquement. Cela permet d’aborder les difficultés principales : gammes, arpèges, octaves, trilles… de façon personnalisée et sans être entravé par la lecture. Il faut aussi varier le travail : en regardant les doigts, en fermant les yeux, en écoutant, en ressentant la difficulté et le problème. Scheyder [4] propose d’extrapoler, c’est-à-dire à partir d’un trille, d’une gamme, d’un exercice, on continue dans les graves, les aigus, et en variant les nuances. Cela permet de ne pas s’enfermer dans un texte, éventuellement de transposer un exercice ou un court passage d’une oeuvre, ce qui est bon pour l’oreille et pour les doigts (le relief du clavier étant différent selon les tonalités).
J’ai quand même deux références d’ouvrages techniques pour les élèves plus avancés et demandeurs. « L’heure du matin exercices en huit mesures, Czerny » , sortes d’études courtes, dans toutes les tonalités et abordant chacune une difficulté précise. Elles ont l’avantage de s’apprendre rapidement et peuvent être utilisése dans le désordre et en fonction du besoin du jour. Elles abordent plutôt une technique digitale. Certains élèves trouvent un côté rassurant aux études ou s’en servent de mise en route intellectuelle… Je respecte leur choix et les aide dans ce sens (pour les autres je n’impose pas Czerny).

Piano Czerny

Ma deuxième référence est : « Les 51 exercices de Brahms » que je ne considère pas seulement comme des exercices, puisque c’est déjà du Brahms. Il contiennent en germe toutes les formules pianistiques brahmsiennes et plus globalement toute la technique romantique et polyphonique. Je les aborde avec des élèves déjà avancés et avec quelques réserves, notament pour les petites mains. Brahms demandait à Eugénie, fille de Clara et Robert Schumann, de jouer les plus faciles aussi vite que possible. Selon une autre élève, il demandait netteté et égalité des doigts avec finesse et perfection [1]. Mes exigences sont plus modestes. Ils sont utiles pour travailler les différents plans sonores, la mobilité latérale des doigts (et pas seulement l’articulation), le « legato », « le cantabile », les intervalles et le dessin des courbes, le phrasé. Je rejoins l’avis de Frédéric Aguessy (professeur à Rouen) qui dit « les détourner de leur présentation originale pour les faire travailler différemment ». Par exemple les exercices d’extension seront joués très lentement en faisant chanter les notes, très legato avec du poids plutôt que aussi vite que possible (conseil de Brahms). Les exercices en mouvements brisés peuvent être joués avec la rotation de la main, du poignet, du bras. Les exercices de tierce, d’octave et d’arpège développent plutôt la vélocité. Les gammes sont proposées avec des rythmes peu conventionnels, ce qui incite à les jouer musicalement et développe une véritable indépendance. En résumé ces exercices riches et denses sont prévus pour des mains assez grandes et demandent une certaine maturité musicale et intellectuelle. Ils sont donc bien adaptés à un public adulte de façon plus ou moins traditionnelle selon le niveau, la taille de la main et l’âge. Pour des petites mains, des mains très raides ou des mains ayant depuis longtemps terminé leur croissance (voire même entamé leur vieillesse !) et n’ayant donc plus la même élasticité, il faut absolument les travailler lentement, souplement, dans une nuance mezzo-forte. Souvent, mais pas longtemps, et sans crispation aucune. Ils peuvent même, si on reste dans cet état d’esprit, être franchement relaxants et apaisants. Un détail qui peut sembler évident mais dont il est important de faire prendre conscience concerne l’extension des doigts : il faut la penser et la sentir au départ des doigts, c’est à dire au niveau de la paume, ce qui évite de tirer sur les doigts en largeur. Si on ressent bien cela, les doigts auront une plus grande ouverture à leur arrivée sans forcer. Il est important aussi de sentir les reliefs du clavier (touches blanches, touches noires), les distances, les écarts, la forme des accords, les mouvements parallèles ou contraires, la comparaison du mouvement des deux mains.

Technique au piano, Brahms

J’aborde donc le travail de la technique directement à partir des oeuvres étudiées ou en m’inspirant des exercices de Brahms déjà écrits, pour libérer l’élève du problème de lecture ou de mémoire et lui permettre de se concentrer sur ses sensations (visuelles, auditives, tactiles) et dans le plus grand relâchement possible. Sentir tout son corps et ne pas seulement faire travailler mécaniquement ses doigts me semble primordial.

Je laisserai le mot de la fin à Louis Sclavis [5] qui, en réponse à la question « La technique fait-elle partie de vos préoccupations ? » a répondu « Oui, mais toujours dans le sens de notre pensée musicale, il n’y a pas un temps réservé à l’apprentissage et un autre à l’expression, ces deux aspects du travail technique vont de pair ».
Néanmoins, je propose souvent un travail tecnhique pur quand un élève n’a pas eu le temps de travailler son morceau. Plutôt que de refaire le même cours que la semaine précédente nous faisons un travail technique préventif sur un point précis. Ainsi les élèves ne sont plus terrorisés à l’idée de venir au cours sans avoir assez travaillé et le cours reste efficace.
Pour les élèves plus avancés et qui souhaitent un travail plus poussé, je propose des exercices techniques classiques (gammes, arpèges, octaves…). Mais selon moi, ils n’ont d’intérêt que s’ils sont pratiqués de façon régulière et intensive.
Enfin, dans tous les cas ne pas oublier que dans la technique, la pratique, tout est mouvement, tout est déplacement. Il faut toujours penser à regrouper la main ou au contraire à la propulser pour obtenir détente et fluidité.

Rédactrice Patricia Cousin. Professeur de piano
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Bibliographie

[1] revue piano n°12
[2] Boriss Hugo. Le baiser dans la nuque. Ed. Belfond
[3] Doidge Norman. Les étonnants pouvoir de transformation du cerveau. Ed. Belfond, avril 2008
[4] Lartigot J.C. L’apprenti instrumentiste. Ed. Van de Velde
[5] Scheyder Patrick. Dialogue sur l’improvisation musicale. Ed. l’Harmattan


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