Zampa ou La Fiancée de Marbre

Zampa (1844) Opéra

Opéra-comique en trois actes, paroles de Mélesville, musique d’Hérold, représenté à l’Opéra-Comique le 3 mai 1831. Depuis trente-cinq ans cet ouvrage est resté constamment au répertoire. L’opéra de Zampa n’a pas perdu aucune de ses qualités au jugement des gens de goût, et son attrait pour le public n’est pas moindre qu’autrefois, quoique l’exécution en soit généralement médiocre. La pièce  abonde en situations dramatiques et essentiellement musicales, mais absurdes au fond. On pourrait reprocher à Mélesville d’avoir trop imité plusieurs scènes de Don Juan, surtout au dénouement.

Un corsaire nommé Zampa répand l’effroi par tout le royaume de Naples et de Sicile. Il est condamné à mort par contumace, et son signalement est envoyé aux officiers chargés de le poursuivre et de l’arrêter. Ce Zampa appartient d’ailleurs à une famille qui a rendu des services à l’Etat. Il porte le titre de comte de Monteza. Son frère, nommé Alphonse, beaucoup plus jeune que lui, ne l’a jamais connu, et ignore que ce Zampa si redouté n’est autre que son propre frère. Alphonse sert dans l’armée du vice-roi ; il va épouser Camille Lugano, fille d’un riche négociant. Tout le monde est dans la joie au château ; les jeunes filles se parent des présents que leur a faits le fiancé, et adressent leurs félicitations à Camille. Dans la galerie du château où cette première scène se passe, on voit une statue de marbre ; c’est l’image d’Alice Manfredi, pauvre fille réduite, abandonnée, morte de douleur, dont voici la légende :

D’une haute naissance,
Belle comme à seize ans,
Alice dans Florence,
Charmait tous les amants ;
A Seize ans, comment faire
Pour défendre son cœur ?
Un seul parvint à plaire,
Et c’était un trompeur !
D’un pareil maléfice,
Sainte Alice, préservez-vous ;
Nous prirons Dieu pour vous.
Flattant sa confiance.
Le traître, avant l’hymen.
Lui ravit l’innocence
Et disparaît soudain !
Il reviendra, dit-elle
Mais, ô funeste erreur !
Jamais, près de sa belle,
Ne revint le trompeur !
D’un pareil maléfice,
Sainte Alice, préservez-vous ;
Nous prirons Dieu pour vous
Hélas ! sur ce rivage
Alice vint mourir,
Et cette froide image
Semble toujours gémir
Quand la nuit, on l’assure
Le vent gronde en fureur,
Ce marbre encore murmure
Et nomme le trompeur.
Ah ! soyez-nous propice
Sainte Alice, veillez sur nous ;
Nous prions Dieu pour vous.

Il y a du sentiment dans cette ballade, dont Hérold a traduit en musique les deux premiers couplets avec une grâce naïve et développé le troisième d’une manière très heureuse ; mais l’idée en est singulière. Si on élevait des statues de marbre à toutes les malheureuses arianes, les carrières de l’Italie ne suffiraient pas à une aussi somptueuse décoration. Mélesville les range en outre parmi les saintes, et, oubliant qu’on les invoque alors, mais qu’on ne prie pas pour elles, il laisse échapper cette distraction : Sainte Alice, nous prirons Dieu pour vous. Revenons à la suite du récit de la pièce. Alphonse est mandé aux portes du château par des hommes à cheval. Il croit que ce sont des amis invités à la fête ; il part et ne reparaît plus. C’est Zampa qui se présente à sa place. Il est porteur d’une lettre adressée à Camille et signée par son père qui, tombé au pouvoir du corsaire, conjure sa fille de l’aider à recouvrer sa liberté en accordant à Zampa tout ce qu’il exigera pour sa rançon. Camille, effrayée, se réfugie dans son appartement, laissant le château à la merci de Zampa et de sa troupe, qui s’y livrent à une orgie mêlée de terreurs superstitieuses causées par la présence de la statue de marbre. Daniel, l’un des forbans, reconnaît les traits d’Alice Manfredi, jadis séduite par son maître. Celui-ci s’amuse de sa frayeur, s’approche de la statue et lui passe au doigt son anneau en lui disant qu’il la prend pour sa fiancée jusqu’au lendemain. La statue étend son bras et le ramène sur sa poitrine comme pour garder l’anneau. Les pirates, consternés, tombent à genoux, et Zampa fait de vains efforts pour ranimer l’audace impie de ses compagnons. Ce finale du premier acte produit un grand effet au théâtre.

Au deuxième acte, la toile se lève sur un décor représentant le bord de la mer, où des femmes sont agenouillées devant une image de la madone. Rien n’est plus frais que ce lever du rideau, après les émotions violentes de la dernière scène. A la suite de l’air du triomphateur Zampa, il y a une rencontre fort comique et de bon goût entre Daniel, ancien pêcheur, mari de Ritta, qu’il a quittée depuis dix ans pour suivre Zampa, et sa femme devenue la servante de Camille. Au moment où Ritta témoigne à Daniel la joie qu’elle éprouve de le revoir et l’assure de sa fidélité constante, un certain Dandolo, chargé du rôle de poltron dans la pièce, accourt et annonce à Ritta que leurs bans sont publiés et que dans deux jours ils seront mariés. Daniel, qui commençait à s’attendrir, entre en fureur à cette nouvelle. Cet épisode, qui se rattache naturellement à l’action, est heureusement imaginé. Alphonse a pu s’échapper des mains des pirates. Son rôle est ingrat, et, quoiqu’il ait à chanter de charmants morceaux, il n’intéresse pas assez. Il apprend, de la bouche même de Camille, qu’elle va épouser Zampa. Une lettre du vice-roi lui fait connaître à la fois que Zampa est le comte de Monteza, son frère, et que le souverain lui accorde sa grâce à la condition qu’il expiera sa conduite passée en servant dans la marine de l’Etat. Alphonse brise son épée et s’éloigne, pendant que Zampa et Camille se rendent aux pieds de l’autel ; là encore se trouve la statue, qui pose sa froide main sur l’épaule de Zampa. La présence de ce témoin inattendu le glace de terreur. Ici se termine le second acte.

Le châtiment du corsaire occupe l’esprit du spectateur pendant le premier acte ; mais cette scène est précédée de deux incidents d’un effet délicieux. D’abord c’est une barcarolle plaintive chantée par Alphonse, qui s’éloigne, et par Camille, qui cherche à le consoler tout en gémissant sur sa propre destinée. Ensuite c’est une sérénade chantée discrètement par le chœur, et qui s’adresse au bonheur présumé des époux. Ce qui suit est moins heureux. Alphonse revient, veut déterminer celle qu’il aime à le suivre. Zampa le fait entraîner par ses amis. Le pauvre Alphonse disparaît pour la troisième fois. Resté seul avec Camille, qui le supplie de lui permettre de se retirer dans un couvent, Zampa repousse ses prières et veut user de ses droits ; mais au moment où il atteint son infortunée victime, s’enfuyant à son approche, il se trouve entre les bras de la statue de marbre, qui s’engloutit avec lui. Un dernier tableau montre Camille, son père et Alphone réunis. Le chœur persiste à prier pour sainte Alice, et il a raison, puisqu’elle se trouve en si mauvaise société.

L’ouverture de cet opéra est une suite de motifs les plus brillants et les mieux orchestrés ; mais ce n’est plus l’ouverture telle que les prédécesseurs d’Hérold l’avaient conçue et fait accepter, telle que lui-même l’avait comprise pour son Pré aux clercs, Mozart, Beethoven avaient déjà donné à cette préface de l’oeuvre dramatique des formes d’un caractère généralisé, Mélhul, Cherubini, et à leur exemple les compositeurs de ce temps, écrivirent des morceaux spécialement appropriés au genre d’ouvrages qu’ils avaient à traiter, sans leur emprunter les motifs principaux pour en faire une sorte de pot-pourri, sans autre liaison qu’une marche harmonique ou des gammes modulantes. Les belles ouvertures de Rossini, depuis celle de Tancredi jusqu’à celle de Guillaume Telle, sont des préfaces véritables, tantôt gracieuses et sémillantes, tantôt grandioses et magnifiques. Boieldieu a introduit un des premiers, dans ses ouvertures, des réminiscences ou plutôt un avant-goût des motifs épars de ses opéras. Hérold et Auber ont suivi cet exemple. Les thèmes étaient agréables ; on les entendait avec plaisir plusieurs fois dans la soirée ; bis repetita placent, et les formes de l’ancienne ouverture ont été délaissées, proscrites, oubliées. L’ouverture de Zampa se compose de cinq thèmes empruntés au chant.

On a comparé souvent Zampa au Pré aux clercs, et on s’est demandé lequel de ces deux chefs-d’œuvre devait être préféré à l’autre. Notre avis est que l’un ne doit pas faire dédaigner l’autre. Il y a peut-être dans le Pré aux clercs une couleur plus originale, un sentiment plus exquis de la grâce. Le lieu de la scène, l’atmosphère de la cour des Valois, la valeur littéraire de la pièce ont exercé leur influence sur la nature des inspirations d’Hérold. Mais au point de vue du style, de la manière d’écrire, de la fécondité des ressources musicales, de la clarté du discours mélodique, Zampa offre un ensemble de qualités supérieures. Les situations dramatiques y sont accusées par le musicien avec plus de fermeté que dans tous ses autres ouvrages, sans en excepter la fameuse scène du bateau, au dernier acte du Pré aux clercs. Au premier acte, l’oreille de l’auditeur ne chôme pas. Après le chœur joli des jeunes filles : Dans ses présents, que de magnificence, Camille chante un air dont la première phrase est charmante : A ce bonheur suprême. La ballade, à laquelle le timbre des clarinettes donne un caractère légendaire et naïf ; le trio, accompagné d’un sol passo si vid ; le quatuor majestueux : Le voilà ! que mon âme est émue ! le meilleur morceau de l’ouvrage, avec le duo du troisième acte ; et enfin le trio final : Au plaisir, à la folie, d’une grande variété d’effets, telle est la partie musicale du premier acte. Le second n’est pas moins riche. Tout le monde connaît le suave cantique pour trois voix de femmes : Aux pieds de la madone, ainsi que l’air : il faut céder à mes lois, si bien approprié, par son accompagnement léger et spirituel, par son accompagnement léger et spirituel, à l’usage des Don Juan français. Le duo de la reconnaissance : Juste ciel ! c’est ma femme ! est plein d’entrain, d’intelligence scénique et de bon goût. Hérold, livré à lui-même et non surexcité par une situation dramatique imposée, était mélancolique. On saisit parfaitement ce côté de son caractère dans ce passage du duo : Hélas ! ô douleur ! il me croit fidèle ! comme aussi dans la barcarolle du troisième acte : Où vas-tu, pauvre gondolier ? La ronde : Douce jouvencelle, bien encadrée dans le chœur, a été populaire. On est moins frappé du commencement du finale ; mais le compositeur se relève à la strette : Tout redouble mes alarmes où le fa naturel sur le mi pédale commence une de ces phrases inspirées qui suffisent pour prouver le génie. Nous avons parlé plus haut des mélodieux morceaux qui ouvrent le troisième acte ; il ne nous reste plus qu’à rappeler le célèbre duo : Pourquoi trembler ; entre Camille et Zampa. La puissance dramatique de ce morceau, et son expression passionnée ont fait croire à bien des personnes que l’opéra de Zampa aurait mieux convenu à la salle de la rue Lepelletier qu’à l’Opéra-Comique.

C’est une grave erreur. Hérold était un grand musicien, un compositeur doué de génie, d’invention, d’une rare sensibilité ; mais il suffit de jeter les yeux sur ses partitions pour reconnaître que tous ses motifs si abondants, si serrés, convenaient au cadre pour lequel ses compositions ont été faites ; qu’ils seraient amoindris et insuffisants sur une vaste scène ; que son harmonie, piquante et variée, perdrait la grâce de ses détails si elle était noyée dans une plus forte sonorité. Les rôles ont été créés par Chollet, Mme Casimir, Mme Boulanger, Féréol et Moreau-Sainti. Celui de Zampa a été tenu depuis avec succès par Masset, et assez médiocrement par Montaubry. Mme Rossi-Caccia a été la meilleure chanteuse qui ait interprété le rôle de Camille ; dans celui de Dandolo, Sainte-Foy est resté inimitable. M. Vauthrot a publié une bonne réduction de cet ouvrage pour piano solo.


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