ROMAINS (de la Musique chez les)

De la Musique chez les ROMAINS

Rome, quelque austères que fussent ses lois, reconnut, même dès son berceau, le pouvoir de la musique ; mais-elle consacra ses naissantes institutions dans cet art à son dieu favori, à Mars. Le plus pacifique de ses rois, celui qu’on doit regarder comme son législateur religieux, Numa, ordonna que les prêtres de ce dieu chanteraient, en portant en procession l’ancile, ou le bouclier sacré tombé du ciel pour servir d’égide à la ville éternelle. Plus tard, on voit le Napolitain Andronicus, affranchi de Livius Salinator, composer, pour apaiser les dieux irrités contre les Romains, un hymne qui fut solennellement chanté par un chœur de jeunes vierges, dont la beauté, dit un historien, ajoutait au charme de la poésie et de la musique. Les jeux scéniques furent institués à Rome à l’instar de ceux de la Grèce, et ils eurent pour cause la religion. La population romaine, dévorée par une peste sous le consulat de Sulpicius Pelicus et de Licinius Stolon, eut recours à des prières, des sacrifices et des cérémonies extraordinaires pour fléchir l’inclémence des dieux. Elle n’avait point de chanteurs ; elle en fit venir de l’Etrurie pour établir des fêtes funèbres. L’histoire ne nous dit point si ces fêtes apaisèrent le courroux des dieux, et si on leur dut la cessation du terrible fléau ; mais ce qu’elle ne nous laisse pas ignorer, c’est que la jeunesse romaine goûta beaucoup ces jeux, qui étaient scéniques, puisque ceux qui y figuraient se montraient en public sur un théâtre, et qu’ils représentaient des pièces qui furent considérées comme satiriques, à cause des vérités souvent amères que renfermaient les vers qu’on y débitait, et dont l’harmonie était soutenue par les sons des flûtes et des lyres.
Quelques années après, sous le consulat d’un des descendants de Paul Emile, on voit la musique, admise jusque-là dans Rome comme une simple étrangère, à laquelle, en récompense de ses talents, on accorde l’hospitalité, acquérir enfin les nobles droits de cité dans la ville éternelle. Ce fut, en effet, dès ce moment, qu’on l’appela à l’honneur de célébrer la naissance, le mariage et même la mort des maîtres du monde ; elle vint mêler sa joie à la gaieté de leurs festins, donner plus d’éclat à leurs triomphes, et prêter le charme de la mélodie à leurs funérailles. Enfin parurent les jours si beaux pour les arts, où commença le règne d’Auguste. Avant ce grand événement, il venait de s’en passer un non moins important, l’assassinat de Jules César", suivi de ses funérailles si remarquables par la douleur du peuple et l’artificieux et éloquent discours d’Antoine. Ce fut dans cette circonstance qu’un nombre considérable de musiciens, attachés au dictateur par leur emploi et par l’admiration qu’inspiraient ses talents et son génie, jetèrent, après s’en être servis pendant les funérailles, leurs instruments dans le bûcher dont les flammes venaient de consumer les restes d’un grand homme, comme si, après avoir célébré sa gloire et ses triomphes, ces organes de la mélodie ne devaient plus avoir aucun autre emploi. Sous le règne d’Auguste, Rome ordonna que le poème qu’Horace avait composé en l’honneur de Diane serait chanté par deux chœurs, l’un de jeunes filles, l’autre de jeunes garçons, tous fils de patriciens. Les beaux vers de l’héritier de la lyre de Pindare furent embellis par une musique dont on ignore les auteurs. Mais cette circonstance montre que cet art, étendant son empire sur le peuple romain, et suivant les progrès de la civilisation et du luxe, allait jouir encore de plus d’honneur sous les empereurs que pendant la république. Sous le règne de Tibère, la musique dut nécessairement être atteinte de ce marasme qui paralyse tous les arts sous un tyran ; et cependant, sous Caligula, digne héritier de cet empereur, elle semble s’éveiller de sa longue léthargie. C’est que ce prince avait pour cet art un goût très-prononcé, et presque une passion. Caligula aimait la musique autant qu’il aimait le sang, et cette réunion dans un même homme d’un goût aimable et d’une fureur sanguinaire n’est pas, de tous les mystères de l’esprit humain, le moins difficile à expliquer. Néron cultiva lui-même la musique en artiste con- sommé ; il consacrait une partie de son temps à l’exercice de son art favori. Tous les jours, s’enfermant avec Terpanum, le joueur de flûte et de cythare le plus renommé qu’il y eût alors, il prenait des leçons de chant qui se prolongeaient jusque dans la nuit. Quoique sa voix fut grêle et voilée, il fît de tels progrès, que dans la troisième année de son règne il ne balança point à chanter en public. Il débuta sur le théâtre de Naples, et y acquit tant de réputation, que des musiciens accoururent de toutes les contrées pour l’entendre et admirer son talent. Il en retint cinq mille, qui, dès ce moment, restèrent attachés à son service. Il leur donna un costume uniforme, et leur apprit même, chose incroyable, si Suétone ne l’attestait, de quelle manière il entendait être applaudi. Le peuple romain le pria un jour de chanter dans une des rues de Rome où il passait, et Néron, qui lui aurait refusé la vie de Trasias, s’il la lui avait demandée, ne refusa point de lui faire entendre sa voix divine. Des applaudissements vifs et prolongés furent le prix de cette complaisance inouïe. Dès ce moment, le maître du mondé se mit lui-même au rang des comédiens, et accepta sa part des rétributions publiques destinées à payer leur talent. Non content des applaudissements donnés à sa Voix comme chanteur, il brigua les suffrages du public comme compositeur ; il voulait traiter le sujet de la prise de Troie, et l’on prétend même qu’il fit mettre le feu à Rome, afin de pouvoir imiter avec plus de vérité les voix et les cris déchirants des victimes de l’incendie. C’est à l’aspect du plus affreux "tableau que puissent contempler les yeux de l’homme, et-qui, pour lui, n’était qu’un brillant modèle, qu’il eut, dit-on, le plaisir en jouant sur sa flûte, de composer ce qu’on appelle d’après nature.
A la mort de Néron, le peuple romain, dont l’irritation était extrême, prétendit mettre au rang des complices de cet empereur la musique, et, comme telle, la bannit de Rome avec tous les musiciens. Ainsi proscrit, l’art musical se réfugia, au sein de l’Église naissante, qui l’épura en lui donnant un asile et en simplifiant sa notation.

Dictionnaire de musique, Léon et Marie Escudier, 1872


 

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