Roi de Lahore (Le)

Le Roi de Lahore (Michele Crosera©)

Opéra en cinq actes et six tableaux, livret de M. Louis Gallet, musique de M. Jules Massenet, représenté à l’Opéra le 27 avril 1877. L’idée du poème de cet opéra a de la grandeur, mais l’affabulation manque de l’élément qui touche le cœur du spectateur, émeut sa sensibilité ; cet élément est le côté humain, c’est l’expression de sentiments naturels. Une donnée qui est toute de convention peut étonner, elle ne touche pas. Le drame a beau être placé à l’extrémité du monde, à une époque reculée, au sein d’une civilisation différente de la nôtre, à Kmer, dans la ville d’Angkor, quelque part que ce soit, l’âme humaine doit s’y retrouver vivante, avec ses passions et avec une sanction de ses vertus ou de ses crimes. Si cet élément essentiel est omis, la curiosité remplace l’intérêt et le compositeur ne peut vivifier son inspiration près d’un foyer éteint. Ces réserves faites sur la conception de l’idée du livret du Roi de Lahore, je ne fais aucune difficulté de reconnaître que la forme en est poétique et qu’il offre des vers favorables à la musique.

Le livret du Roi de Lahore a beaucoup d’analogie avec celui de l’opéra de la Vestale, comme on va le voir. Alim, roi de Lahore, aime en secret Sità, jeune prêtresse et nièce du grand prêtre Timour ; il vient chaque soir la trouver dans le temple ! C’est sur ces entrefaites qu’on apprend que le sultan Mahmoud s’approche des murs de Lahore qu’il menace d’envahir. Le peuple invoque la protection de sa triple divinité. Scindia, brûlant d’une passion violente pour la jeune prêtresse, vient de demander sa main au grand prêtre, qui la lui refuse parce qu’elle a déjà prononcé ses vœux sacrés, dont le roi seul a le pouvoir de la relever. Scindia est puissant ; après Sélim il est le plus grand seigneur du royaume. Il sait qu’un inconnu s’introduit le soir dans le temple et il exige que Sità soit interrogée. Dans un second tableau, qui représente le sanctuaire d’Indra, Scindia s’efforce de faire partager son amour à Sità qui le repousse. Le gong sacré retentit ; tous les prêtres arrivent et, en leur présence, Scindia dénonce le crime de Sità, qui doit expier par la mort. Son complice se déclare ; il est roi ; il obtient le pardon de la prêtresse parjure et s’engage à sauver la patrie du danger qui le menace, si Timour lui accorde la main de sa nièce. Le grand prêtre y consent. Scindia jure de se venfer de cet affront.

Acte I, 2ième tableau, maquette d'Auguste Rubé et Philippe Chaperon

Au second acte, les armées sont en présence dans la plaine de Thôl. Sità se livre à l’espérance de voir Alim victorieux ; loin de là, le roi est frappé dans la mêlée par Scindia. Les troupes d’Alim, privées de leur chef fuient en désordre. Scindia les ramène à Lahore, tandis que le roi, blessé, meurt dans les bras de Sità.

Le troisième acte se passe dans le paradis d’Indra. Au milieu des félicités célestes, des chœurs de danses des apsaras, Alim est malheureux et regrette la bien-aimée qu’il a laissée sur la terre. Il demande à Indra de revivre à quelque condition que ce soit. Le Dieu lui permet de revenir sur la terre, mais sous la forme d’un simple mortel et dans la plus humble condition. En outre, il devra mourir au moment où Sità mourra elle-même. Alim accepte ces conditions.

Au quatrième acte, Alim erre inconnu autour de son palais, où règne son rival qui va épouser Sità. La ville a été délivrée de ses ennemis et le peuple témoigne son allégresse par des fêtes, lorsqu’au milieu d’un magnifique cortège Scindia s’avance pour accueillir Sità qu’on amène au palais. Alim se présente et veut se faire reconnaître en réclamant ses droits. Scindia et toute sa cour le traitent d’imposteur, et le pauvre Alim serait immolé sur place si le grand prêtre ne le protégeait en déclarant qu’il a perdu la raison, que, par ce fait, il est devenu un être sacré, et qu’il est interdit par la religion d’attenter à ses jours.

Au cinquième acte, Sità, qui s’est arrachée des bras de Scindia, est venue se réfugier dans le sanctuaire d’Indra ; Alim vient l’y rejoindre. Les deux amants, confondant leurs espérances avec leurs illusions, se préparent à fuir ensemble, lorsque Scindia pénètre dans le sanctuaire par une porte secrète. SItà se donne alors la mort et, en même temps, Alim tombe frappé du même coup, selon la volonté du dieu. Le fond de la scène change et l’on voit les deux amants monter ensemble au séjour des bienheureux, tandis que Scindia reconnaît qu’une main divine est étendue sur sa tête et punira ses crimes.

Costumes d'Eugène Lacoste pour la création du Roi de Lahore

Ce livret, par son caractère grandiose et un peu hyperbolique, par ses contrastes tour à tour violents et paradisiaques, convenait aux tendances naturelles du compositeur telles qu’elles se sont manifestées jusqu’ici dans ses précédents ouvrages, tour à tour impétueuses et empreintes d’une certaine religiosité. Possédant une vaste connaissance de toutes les sonorités de l’orchestration, il en a prodigué les ressources et les effets peut-être au-delà de ce qu’une pleine possession de lui-même lui suggérera certainement dans la carrière brillante qu’il aura à parcourir. La perfection d’une œuvre réside dans l’équilibre de toutes les parties qui la composent. Les morceaux qu’il ont produit le plus d’effet sont d’abord : l’ouverture, qui est pleine de verve et de caractère ; le chœur, Bientôt les musulmans ; le duo de Scindia et de Timour ; le chœur des prêtresses ; le récit de la vision par Sità ; le bel ensemble, Viens, je ne serai pas ton maître. Tout ce premier acte est remarquable. Dans le second acte, je signalerai la scène des soldats jouant aux échecs et le duetto pour voix de femmes. L’acte qui suit se passe dans le paradis d’Indra, où M. Halanzier a accumulé toutes les magnificences dont l’Opéra français est susceptible. On a remarqué la marche céleste, les motifs du ballet, entre autres un solo de saxophone et une valse lente, et, par-dessus tout, l’incantation dite par Indra, Qu’il soit, lui, qu’il ne soit plus lui, reprise par le chœur, dont la sonorité arrive aux dernières limites de l’intensité. Le morceau le plus applaudi de tout l’ouvrage est la cantilène chantée au quatrième acte par Scindia : Promesse de mon avenir. On distingue encore dans le finale une phrase d’un grand effet, C’est un dieu qui l’inspire. Au cinquième acte, si on en excepte l’air pathétique de Sità, De ma douleur que la mort me délivre, la musique est subordonnée exclusivement au drame, d’après une théorie d’outre-Rhin acceptée et mise en œuvre par nos compositeurs français avec trop de docilité, à mon avis. Comme dans les opéras de M. Wagner, M. Massenet a reproduit çà et là des phrases caractéristiques qui donnent, il est vrai, une sorte d’unité à l’œuvre dramatique. Cet effet, a été souvent employé par les plus grands maîtres avant M. Wagner, mais avec discrétion. Si on abusait de ce procédé, il en résulterait quelque monotonie et le but ne serait pas atteint. L’interprétation de cet ouvrage, monté avec un grand luxe de décors et de costumes, a été excellente. Les principaux rôles ont été chantés par MM. Salomon, Lasalle, Boudouresque, Menu ; Mlles de Reszké et Fouquet.

Dictionnaire des Opéras. Dictionnaire Lyrique. Félix Clément, 1881


Médecine des Arts®    
715 chemin du quart 82000 F-Montauban
Tél. 05 63 20 08 09 Fax. 05 63 91 28 11
E-mail : mda@medecine-des-arts.com
site web : www.medecine-des-arts.com

Imprimer

Association

Faire un don
Adhérer

Formation Médecine des arts-musique

Cursus Médecine des arts-musique