Pythagore

580 avant J.-C.

Pythagore s’est avisé le premier d’introduire la philosophie dans la médecine, et a remué, en conséquence, tous les ressorts de son imagination pour expliquer les causes des maladies et différentes choses de ce genre. Il y a plusieurs opinions sur sa patrie et sur le nom du père ; mais le sentiment le plus général est qu’il naquit à Samos d’un statuaire nommé Mnésarque. Il y a aussi différentes opinions sur la date de sa naissance : les uns la placent à la troisième ou quatrième année de la XLIII° olympiade, c’est-à-dire à l’an du monde 3398 ou 3399, avant l’ère chrétienne 606 ou 605 ; d’autres le font naître quarante ans plus tard.
L’abbé Lenglel Dufrenoy est de ce nombre. Fondé sur l’autorité de Dodwel, habile écrivain irlandais qui mourut au commencement de ce siècle, il remarque, dans les fastes de l’histoire grecque, premier volume de ses Tablettes chronologiques, qu’on croit que Pythagore est né la première année de la Lm° olympiade, 568 ans avant la venue de notre Seigneur.

- Dès l’âge le plus tendre, Pythagore sentit que la vertu et le savoir formaient seuls le mérite des hommes. Il résolut donc d’acquérir l’une et l’autre, et ne négligea rien pour se rendre universel. Après avoir étudié jusqu’à l’âge de dix-huit ans, sous un certain Hermodamas et sous les prêtres de Samos, sa curiosité fut si peu satisfaite des instructions qu’il en avait reçues, qu’il résolut d’aller chercher dans les pays étrangers les secours qu’il ne trouvait pas dans sa patrie. Il se rendit d’abord à Syros, où il prit les leçons du philosophe Phérécyde ; de là il passa à Milet, où il se lia avec Thalès, qui lui conseilla de voyager en Egypte. Ce fut là que les prêtres, qui étaient alors comme les dépositaires du savoir des autres nations, l’initièrent à leurs mystères. De l’Egypte, où il avait séjourné vingt-cinq ans, il pénétra dans la Chaldée, et il y conféra avec les Mages les plus célèbres de Babylone. Enfin, après avoir parcouru les contrées les plus renommées par la culture des sciences, il revint à Samos dans le dessein d’y ouvrir une école de philosophie ; mais ayant trouvé cette ville pleine de troubles et de dissensions par la tyrannie de Polycrate, et ne pouvant s’accommoder d’un séjour peu propre à un homme qui ne cherchait que la paix, il s’en bannit lui-même pour se retirer dans la partie la plus florissante de l’Italie, qu’on appelait la Grande-Grèce. Il se fixa à Crotone, ville sur le bord de la mer Ionienne, aujourd’hui Cotrone, sur le golfe de Tarente ; et il y fonda une école devenue célèbre, où il cultiva également l’esprit et le cœur de ses disciples. Il instruisait les personnes de toute condition dans leurs devoirs, et c’était avec tant de douceur, qu’il se faisait aimer de chacun. Il fut aussi bien récompensé de ses peines ; car jamais philosophe n’a eu des disciples plus fidèles et plus reconnaissants. Il y a apparence que ce fut à Crolone qu’il apprit ce qu’il savait de médecine et d’anatomie. Quant à ce qui regarde cette dernière science, il n’est point nécessaire de supposer qu’il ait disséqué des animaux pour acquérir les connaissances qu’il en avait, puisqu’on peut être instruit de la structure du corps sans être anatomiste.

- On dit que Pythagore épousa Théano, fille de Brontin, Crotoniate ; mais d’autres soutiennent que Théano ne fut que sa maîtresse. Quoi qu’il en soit, il en eut une fille et deux fils ; le second, Theulagès, continua l’école de son père, où il eut le célèbre Empédocle pour disciple. Damo, sa fille, avait un esprit propre aux sciences et naturellement porté à la vertu : un père tel que Pythagore ne manqua pas de cultiver ces heureuses dispositions, et cette fille ne tarda pas à devenir l’exemple des dames de Crotone.

- Quelques auteurs prétendent que ce philosophe mourut paisiblement à Métaponte, ville de la Grande-Grèce, sur le golfe de Tarente, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Selon d’autres, le peuple de Crotone, animé par un jeune-homme de cette ville que Pythagore n’avait pas voulu admettre dans son école, vint mettre le feu à sa maison, un jour qu’il y était renfermé avec ses disciples. Ce philosophe, heureusement échappé au danger, erra de ville en ville, et vint enfin se réfugier à Métaponte. Mais la haine contre les pythagoriciens s’étant répandue, sur ces entrefaites, dans toute la Grande-Grèce, la persécution se ranima contre lui avec tant de fureur dans ce nouvel asile, qu’il fut obligé de se sauver dans un temple consacré aux Muses, où il se laissa mourir de faim. On a déjà remarqué combien les historiens se sont plus à mettre du merveilleux ou de l’extraordinaire dans la mort des grands hommes de l’antiquité ; mais, de quelque façon que Pythagore ait fini ses jours, sa mémoire ne laissa pas que d’être en vénération chez les peuples de la Grèce, qui l’honorèrent comme un dieu et convertirent sa maison en temple.
Celse assure que ce philosophe hâta les progrès de la médecine ; il passa même, selon Elien, pour avoir parcouru les villes dans le dessein de guérir les maladies plutôt que pour y enseigner la philosophie. Mais, quoi qu’en disent ces auteurs, il paraît qu’il s’occupa beaucoup plus des moyens de conserver la santé que de ceux de la rétablir, et qu’il chercha plus à prévenir les maladies par le régime qu’à les guérir par les remèdes. La manière dont Celse s’exprime porte au moins à le croire ainsi : l’application à l’étude, dit-il dans sa préface, toute nécessaire qu’elle soit à la culture de l’esprit, est contraire à la santé du corps. Les méditations, les veilles, amoindrissent bientôt les tempéraments les plus forts ; c’est pourquoi la médecine a fait dès le commencement partie de la philosophie, et la contemplation de la nature a toujours marché de pair avec la science de se conserver en santé. Le docteur Cocchi prend les choses sous un autre point de vue dans sa Dissertation italienne, qui fut traduite en français et publié à Paris en 1762, in-8°, sous le titre de Régime de Pythagore. Non seulement il regarde la philosophie comme auteur du Régime frais végétal, qui a tant d’influence sur la conservation de la santé et la cure de certaines maladies, mais il ajoute qu’il fut profond mathématicien, et qu’il poussa la géométrie beaucoup au-delà des éléments qu’en avaient donné les Egyptiens. Il se servit, continue le traducteur de Cocchi, de l’arithmétique comme d’un calcul universel et analytique. Il fut grand physicien et astronome. Il posséda de plus l’histoire naturelle et la médecine, qui n’est autre chose que le résultat de diverses notions scientifiques jointes à une certaine sagacité. Il est vrai que ce philosophe, ainsi que ses disciples, pour dérober sa doctrine à l’intelligence du peuple, l’enveloppa d’expressions étranges et singulières, qui devinrent très obscures peu de temps après que l’explication verbale en eut été interrompue. Mais, si les circonstances où il s’est trouvé nous étaient connues, son système, que nous regardons comme obscur et dangereux par sa nature, ne nous paraîtrait plus tant s’éloigner de ce caractère de sagesse que l’on remarque dans le reste de sa conduite. Peut-être le plaisir de faire du bien aux autres, peut-être aussi le désir de la louange, dont les plus grands hommes sont le plus avides, l’engagèrent à ne point supprimer certaines vérités que la prudence exigeait en même temps qu’il cachât à la multitude. Car anciennement on croyait ne pouvoir gouverner le peuple qu’à la faveur de quelque fausseté adroitement insinuée dans le public, et qu’on avait soin de soutenir et de répandre de plus en plus par tous les moyens et tous les ressorts possibles. Et, comme toutes les vérités, par le rapport qu’elles ont nécessairement entre elles, contribuent également à détruire l’erreur et à découvrir l’imposture, les sectes philosophiques ne pouvaient manquer de devenir suspectes à la tyrannie. De là vient que les pythagoriciens, et généralement toutes les écoles de philosophie se virent obligées dans la suite de se servir, pour leur propre sûreté, de la fameuse méthode de deux manières d’enseigner, l’une cachée et l’autre publique ; l’une privée, claire et directe ; l’autre obscure, oblique et symbolique. Cette considération paraît avoir échappé à certains auteurs qui ont traité les préceptes de Pythagore de visions. A l’égard de ceux qui lui ont attribué des enchantements et des miracles, ce serait une grande simplicité, dans un siècle aussi éclairé que le nôtre, d’entreprendre de leur répondre sérieusement.
Il pensait que la santé est le fondement de la félicité humaine, et qu’elle dépend d’une harmonie ou rapport du mouvement des forces ; qu’elle consiste dans la permanence de la figure, comme la maladie dans le changement qui se fait dans la même figure ; que les événements auxquels le corps humain est sujet résultent de la conformation originaire, relativement à la combinaison des causes extérieures ; que le cerveau et le cœur sont les deux principaux instruments de la vie ; que les liqueurs du corps humain se distinguent en trois substances, selon la différence de leur densité : en sang, en eau ou lymphe ou sérosité, et en vapeur ; qu’il y a trois sortes de vaisseaux, les nerfs, les artères et les veines ; que la matière prolifique, animée par son application au corps de l’embryon, y met en mouvement le sang dont se forment ensuite les parties plus dures, charnues et osseuses. Cette manière prolifique, était, selon lui, l’écume du sang le plus pur, mais composé de deux substances, l’une grossière et l’autre subtile ; elle provenait du cerveau en forme d’émanation. M. Le Camus, médecin de la Faculté de Paris, a adopté ce système dans notre siècle, en disant que le cerveau était une graine animo-végétale, qui servait à la reproduction des animaux. J’ai emprunté cette remarque de M. Goulin, dans ses Mémoires littéraires et critiques pour servir à l’histoire de la médecine.
On nous a transmis quelques-unes des maximes que Pythagore croyait nécessaires à la conservation de la santé. « Si vous voulez vous bien porter, accoutumez-vous, disait-il, à des mets simples et que vous puissiez trouver partout ». C’est pour cette raison qu’il s’était interdit les viandes et qu’il s’était réduit aux légumes et à l’eau. Il proscrivit cependant les fèves, à l’imitation des Egyptiens. Il ne permettait de s’approcher des femmes que quand on était incommodé par l’excès de la vigueur. Il blâmait d’ailleurs l’intempérance en tout, soit dans la nourriture, soit dans le travail.
L’harmonie, dans laquelle il faisait consister la santé, constituait aussi la vertu, tout ce qui est bon, et Dieu même ; l’univers ne subsistait que par elle. Selon sa célèbre et mystérieuse doctrine des Nombres, chaque nombre avait sa dignité et son degré de perfection ; mais cette doctrine attachait aux nombres impairs bien d’autres propriétés qu’aux nombres pairs. Les premiers représentaient l’espèce masculine, et les seconds l’espèce féminine. Entre tous les nombres, celui de sept était le plus énergique. Cette opinion fit éclore celle des années climatériques, qui prit naissance dans la Chaldée ; et il est vraisemblable que ce fut là que Pythagore puisa sa doctrine des Nombres. Le docteur Cocchi la relève au point de dire qu’il n’appartient qu’aux vrais médecins d’en sentir l’importance sur la vicissitude alternative de l’augmentation et de la diminution des maladies dans les jours impairs, et du progrès par périodes septénaires de tout ce qui arrive et de tout ce que l’on peut observer sur le corps, soit dans l’état de maladie, soit dans l’état de santé.

- Notre philosophe avait certainement de grandes connaissances ; mais il y a quelquefois de l’enthousiasme chez ceux qui en ont fait l’éloge, comme il y a des imputations flétrissantes dans les écrits des auteurs qui ont parlé désavantageusement de lui. C’est faire tort à Pythagore que de dire qu’il n’avait d’autres notions sur les maladies que celles des peuples chez qui il avait voyagé et des magiciens qu’il avait consultés ; qu’il croyait que l’air est plein d’esprits et de démons, auteurs des prodiges, des songes et des maladies qui surviennent soit à l’homme, soit à la bête ; qu’il reconnaissait une vertu magique dans les plantes, qu’il avait sur cette manière un livre que Pline lui attribue de concert avec toute l’antiquité ; qu’il n’a rien dit de remarquable sur les propriétés naturelles des plantes, à l’exception du chou, à qui il en attribuait de particulières. On a été plus loin ; on a dit que le système de ce philosophe n’était qu’un tissu d’absurdités qu’il inventa ou qu’il adopta ; que tout le mérite de cet homme extra-ordinaire se réduit à avoir pris des chimères pour des réalités, à avoir supposé dans l’économie animale des lois imaginaires, au lieu d’avoir découvert celles qui en remuent les ressorts ; à avoir arrêté les progrès de la science en enseignant à ses contemporains et en transmettant à la postérité des erreurs scellées de son autorité. A travers ces imputations, on a cependant l’indulgence de ne glisser qu’une seule chose d’excuse, c’est que après tout, sa théorie n’a été ni meilleure ni plus mauvaise que beaucoup d’autres qu’on a appuyées dans la suite sur différents systèmes de philosophie : réflexion bien humiliante pour l’esprit humain.
Mais, si l’on respecte les droits de l’impartialité, on doit convenir que Pythagore n’a rien négligé de ce qui pouvait orner son esprit et augmenter la sphère de ses connaissances ; il paraît même qu’il y a réussi, puisque Pline et Plutarque rapportent que le sénat de Rome le déclara le plus sage de tous les Grecs deux cents ans après sa mort, et que, en vertu de ce titre, il lui érigea une statue sur la place des Comices. Quant à son savoir en médecine, on doit principalement l’attribuer au séjour qu’il fit en Egypte. Il n’est point douteux qu’il n’ait donné des leçons sur cette science dans son école, mais il l’est encore moins qu’elles n’allaient pas au-delà de la théorie, car on ne lui suppose aucune cure. Peut-être que ce qu’il en a dit aurait davantage influé sur les progrès de l’art de guérir, s’il n’y avait point mêlé quelques-unes des erreurs qui l’avaient infecté jusqu’alors. Au reste, comme ce philosophe n’a point écrit, et qu’il s’est borné à instruire ses disciples, à qui il dévoilait les secrets de sa doctrine, on ne peut guère le juger par lui-même. Nous n’avons d’autres connaissances de ses sentiments que celles que nous tenons des auteurs qui l’ont suivi ; car on ne croit pas que les fragments qu’on lui attribue soient de lui.

MM Bayle et Thillaye. Biographie médicale par ordre chronologique. Paris Adolphe Delahais, 1855


Médecine des Arts®    
715 chemin du quart 82000 F-Montauban
Tél. 05 63 20 08 09 Fax. 05 63 91 28 11
E-mail : mda@medecine-des-arts.com
site web : www.medecine-des-arts.com

Imprimer

Association

Faire un don
Adhérer

Formation Médecine des arts-musique

Cursus Médecine des arts-musique