Prorata

Jadis, toutes les troupes de comédiens se gouvernaient en société ; aujourd’hui, à part une seule exception, fournie par la Comédie-Française, elles sont toutes régies par des directeurs qui prennent à leurs risques et périls l’entreprise d’un ou de plusieurs théâtres. Mais entre ces deux situations tranchées prit place, surtout en province, un état transitoire, pendant lequel les comédiens n’étaient ni tout à fait en société, ni tout à fait en direction. A cette époque, c’est-à-dire vers la fin du siècle dernier et le commencement de celui-ci, les troupes de province étaient administrées par des « chefs de société » qui engageaient des artistes en leur offrant des appointements fabuleux, mais hypothétiques, dont une très faible partie leur était « assurée, » c’est-à-dire garantie par ces entrepreneurs. Ces chefs de société promettaient aux comédiens des traitements de 400, ou 500, ou 600 francs par mois, sur lesquels ils leur assuraient 60, 80 ou 100 francs ; le reste ne devait venir qu’au cas où l’opération produisait des bénéfices considérables, et alors chaque artiste devrait recevoir une partie de ces bénéfices au prorata de ce qui lui était promis. Mais ces bénéfices étaient divisés en parts, et le chef de la société commençait par prélever pour lui un certain nombre de ces parts, qui rendaient les autres à peu près illusoires : il avait d’abord une ou deux parts représentant la valeur du privilège (Voyez ce mot) dont il avait l’exploitation ; puis une, ou deux, ou trois parts pour son magasin, c’est-à-dire pour le matériel de costume, de partitions, de brochures, qu’il mettait à la disposition de la société ; puis une ou deux parts affectées à son travail et à sa responsabilité d’administrateur ; puis une ou deux parts destinées à rémunérer son talent de comédien, que sais-je ? Bref, quand il s’était fait ainsi les parts du lion, quand il avait opéré à son profit tous ces prélèvements, il était bien rare qu’il restât quelque chose aux malheureux artistes sur les prétendus bénéfices, et le prorata restait pour eux une simple chimère. Ce que voyant, ils préférèrent ne point courir des chances si aléatoires et se faire attribuer, sans espoir se surplus, des appointements un peu plus sérieux que ceux qui leur étaient assurés par les chefs de société. C’est alors que, peu à peu, ceux-ci se transformèrent en véritables directeurs, et que l’ancien régime des sociétés plus ou moins partageantes (plutôt moins que plus) finit par disparaître complètement.
Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885


 

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