La médecine du temps de Mozart. La thérapeutique. Dossier 4

La saignée

La saignée était déjà largement répandue à l’époque d’Hippocrate. Elle bénéficie d’un regain d’intérêt au XVIIème siècle, sous l’influence d’Ambroise Paré et de Willis, qui en font la panacée de la médecine « moderne », malgré la polémique qui fait rage. On saigne alors à tort et à travers, pour un oui ou pour un non, et même parfois de façon « préventive ». L’expression « saignées répétées, à outrance, à blanc, coup sur coup » prend toute sa signification. Sitôt qu’un adulte est « tourmenté par le sang qui porte fortement à la tête », ou qu’un autre se prépare à voyager, « les médecins les assaillent à coup de lancettes », et les « affublent d’un essaim de sangsues ».
La médication du XVIIème siècle se réduit à la saignée, aux purgations , aux clystères et aux remèdes. A l’origine de cette mode, Léonardo Botallo, au XVIème siècle, médecin à la cour des Rois de France, qui affirme que « la fréquente saignée est le seul vrai remède à toutes les affections ». Au XVIIIème siècle, cette théorie est reprise par Hecquet, pour qui la saignée est la seule façon de traiter les cas de « surabondance sanguine ». Les adversaires de la saignée ne manquent pas de rappeler les cas de saignée abusive qui conduisent parfois au décès du patient : « jamais on n’a multiplié la saignée avec une telle vigueur, et jamais aussi l’on n’a vu plus d’adynamie, d’ataxie, de délire, exigeant la camisole de force, que depuis l’application de cette nouvelle méthode ». Ils accusent également les chirurgiens de saigner sans réelle nécessité, dans le seul but de s’enrichir.

Léopold est lui-même sceptique sur le sujet :
« Les rhumes sont ici plus dangereux qu’en Allemagne. Ils sont généralement accompagnés de fièvre, et comme Messieurs les médecins aiment pratiquer les saignées, ils envoient ainsi plus d’un patient dans l’éternité. » [4]
En fait, l’usage de la saignée est inspiré par le suprême espoir d’enrayer les terribles effets des maladies. Au XVIIIème siècle, la maladie relève de la pathologie humorale ou « déséquilibre des humeurs ». Sous l’action d’un facteur interne ou étranger, chaque humeur rentre en effervescence. L’harmonie est alors troublée ; l’appétit disparaît, la fièvre monte et l’état général se détériore. La tendance spontanée de la nature humaine est de se débarrasser de ce qui lui est nuisible, par quatre voies différentes : la bouche, le nez, l’anus et l’urètre. Il arrive cependant que les seules ressources de la nature ne suffisent pas à délivrer le corps des matériaux étrangers qui l’encombrent. Hormis la purgation, la saignée est seule capable de soulager le malade, d’apaiser ce conflit humoral.
Ainsi, Léopold conseille à Nannerl, qui souffre de « chaleurs », de recourir à la saignée :
« Les chaleurs que tu éprouves la nuit, et l’angoisse au réveil et au petit- déjeuner me semblent le signe net de la rétention de la poste ordinaire »… » dans ce cas, il n’y a pas d’autre moyen que de faire au bras une petite saignée d’environ quatre onces. La camomille ne sert pas à grand chose dans ce cas, elle échauffe trop. »… » les chaleurs viennent du sang. » « Le docteur Barisani pense qu’il s’agit en premier lieu de chaleurs dues à la circulation qui est en désordre puisque tu as trop de sang. Deuxièmement, tu as des flatulences qui oppressent et remontent, que ce soient des gaz ou autres engorgements, et il faut les éliminer doucement. Il pense que tu devrais te faire saigner, mais pas moins de 5 ou 6 onces. Ensuite, après la saignée, prendre les 4 médicaments ci-joints… ». [4]

Au XVIIIème siècle, la saignée est une conduite à observer pour demeurer en bonne santé, pour permettre au corps de restaurer son intégrité en éliminant les mauvaises humeurs qui le souillent. Elle est réalisée selon des règles strictes et elle est contre-indiquée chez la femme enceinte. Elle s’inscrit parfois dans le cadre de la « méthode des contraintes », selon laquelle les maladies se guérissent par leur contraire. C’est ainsi que la saignée est bizarrement pratiquée en cas d’hémorragie.

Estienne Baschot dans son « apologie ou défense pour la saignée contre ses calomniateurs », réduit à six le nombre des interventions de la saignée (ou phlébotomie) :

  • La première, pour évacuer s’il y a plénitude ou pourriture dans les veines.
  • La seconde, pour divertir en cas de fluxion par exemple. Elle tient comme lieu de frein, en rappelant et retirant l’humeur qui flue à la partie contraire, bien que le corps ne fut pas pléthorique.
  • La troisième, pour attirer du centre à la circonférence les humeurs que les passions de l’âme auraient repoussées au- dedans.
  • La quatrième, pour altérer ou rafraîchir. S’il y a inflammation ou grande fièvre, elle rafraîchit tout d’un coup l’habitude et éteint la fièvre.    
  • La cinquième, pour préserver des maux à venir, auxquels on est d’ordinaire sujet, comme sont les goutteux sur lesquels on pratique des saignées de précaution au printemps.
  • La sixième, elle soulage, et passe pour un des plus excellents anodins et parégoriques remèdes que nous ayons eus dans toute la médecine.

L’endroit du corps ou se fait la saignée dépend de la nature de la maladie qu’il faut combattre. A partir du XVlIème siècle, la veine que l’on perfore à l’aide d’une lancette est en général à proximité du siège su mal, mais rarement « in situ ». Chez les enfants, on préfère souvent les sangsues aux lancettes. La pratique de la saignée est régie par dés règles précises. Tout d’abord, il faut s’assurer qu’elle ne sera pas faite dans de mauvais jours. On se réfère alors à l’almanach populaire. La saignée est contre-indiquée « aussitôt après le bain, après le coït, après un fort exercice, après une longue maladie » et « en état d’ivresse ». Les chirurgiens préfèrent saigner le matin, car « le soir on est trop refroidi, les veines ne se gonflent pas si bien et le sang a de la peine à sortir ». On déconseille de dormir aussitôt après l’opération. Certains aliments tels que le lait, le fromage, le vin, la bière, les drogues d’apothicaires et les aliments froids sont interdits.
Léopold, peut de temps avant sa mort, eut recours à la saignée, sur les conseils du docteur Barisani : « …j’ai rencontré par hasard le vieux M.Barisani… et il me dit qu’une petite saignée ne me ferait pas de mal ; »… »je me décidais donc tout de suite, dis à Thresel de me convoquer ton barbier, et à 10 heures, je me fis tirer, comme les doctores l’avaient dit, 5 onces. Après le repas, je fis porter le sang chez le Dr, car je voyais bien qu’il n’était pas beau, et il me fit dire que je devais me faire tirer 4 onces le soir vers 4 ou 5 heures. J’avais choisi la pire journée pour me faire saigner, car le 18, il a incroyablement neigé toute la journée, et il fait encore mauvais. Je ne peux encore rien dire des suites de la saignée. Je dors, mange bien, etc., maintenant comme avant. Dès que je verrais le Dr, il me dira bien si et ce que je dois prendre. » [4]
La prescription médicale qui suit cette saignée indique de prendre …:3 fois par jour du sérum lactis, et une heure plus tard tincturam Rhei aquosa avec liquore anodino. Mon sang était en ébullition et faisait des marques rondes rouge feu et vermillon, etc.
- «  [4] Le chirurgien, quant à lui, doit posséder l’art de la saignée : Un chirurgien pour bien saigner, doit avoir la vue bonne, la main ferme et assurée, le tact fin et délicat, et commencer de bonne heure. Il faut qu’il soit ambidextre, c’est-à-dire qu’il sache opérer également des deux mains : car il faut saigner de la main droite au bras et au pied droits ; et de la gauche au bras et au pied gauches. Il évitera soigneusement les excès et les exercices qui pourraient lui rendre la main pesante et chancelante. Il doit être prudent et sage, hardi sans témérité, et avoir une connaissance exacte des vaisseaux qu’il doit ouvrir, et des parties r qui les avoisinent. Cette connaissance lui inspirera de la confiance, et le mettra en état de prévoir les accidents et d’y remédier, s’il en arrive ».

A la suite de la saignée, le chirurgien examine le sang prélevé : Sa couleur et sa densité, dit Fernel, doivent être soigneusement étudiées. Pendant que le sang coule, il paraît simple et tout d’une façon : mais après qu’il est recueilli, .et qu’il a perdu- sa propre chaleur, incontinent il devient tout caillé, et chacune de ses parties prend le quartier qui lui est destiné. La sérosité qui n’est pas fort différente de l’urine, nage par-dessus les extrémités. De la bile déliée et fleurie se fait la plus haute partie du sang caillé ; la mélancolie va au fond, le sang qui est rouge et la pituite se logent au milieu. »
Baschot ajoute :
« …la saignée évacue universellement les quatre humeurs renfermées dans les veines à proportion de leur qualité. »
Dès lors, un bon sang doit être d’une consistance ni trop épaisse ni trop détrempée, qui se coagule facilement, bien tempéré, pur, d’une couleur rouge, d’une odeur agréable et de bon goût.
Bien que simple de réalisation, la saignée pouvait être suivie d’accidents plus ou moins fâcheux. Cela allait de l’hématome mal résorbé à la piqûre accidentelle du tendon, de l’artère ou du périoste, provoquant inflammation et abcès, de la saignée blanche à la syncope.

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