Ininflammabilité des décors

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on recherche les moyens de parer, dans la mesure du possible, aux dangers d’incendie qui menacent incessamment les théâtres, et de prévenir des catastrophes terribles qui souvent font un grand nombre de victimes. C’est surtout du côté de la scène que se sont toujours portés les soins, car c’est là que git le véritable péril, avec les accumulations de toiles, d’étoffes de toute sorte, de cordages, de châssis, de peinture, qui à chaque instant peuvent se trouver en contact avec les innombrables becs de gaz qui jettent sur ce petit espace des torrents d’une lumière éblouissante. Depuis longtemps, des hommes intelligents et bien intentionnés se sont efforcés de trouver des préservatifs pour les décors et les costumes, et de rendre ceux-ci sinon incombustibles, du moins ininflammables, ce qui écarterait une grande partie du danger. Il y a une vingtaine d’année, un industriel, M. Carteron, avait imaginé une substance vraiment précieuse, un liquide dans lequel on pouvait tremper toute espèce d’étoffes, qui (même les plus légères, les gazes et les mousselines) devenaient incombustibles après cette opération. Des expériences furent faites sur des costumes, sur des décors, et donnèrent les résultats les plus satisfaisants. Pourtant, comme la routine est une force d’inertie qui vient à bout de tout, le procédé de M. Carteron n’obtint dans nos théâtres qu’un succès absolument théorique, et jamais son inventeur n’en put voir l’application. Les acteurs, les actrices surtout, et plus encore les danseuses, prétendirent que le trempage enlevait aux étoffes des costumes leur souplesse et leur grâce ; de leur côté, les peintres affirmèrent qu’ils ne pouvaient obtenir, avec des toiles ainsi préparées, l’éclat et l’intensité d’effet qui leur étaient nécessaire. On conservera donc les vieilles habitudes, et grâce à cette incurie, à cette mauvaise volonté de la part des principaux intéressés, on eut à enregistrer de nouveaux et effroyables sinistres, tels que ceux de Rouen, de Nice, de Vienne, et à regretter la mort de plusieurs milliers d’êtres humains.
Et cependant, l’invention de M. Carteron n’était pas la première de ce genre. Déjà, il y a près d’un demi-siècle, un procédé semblable avait été soumis, avec succès, à l’appréciation des hommes compétents, et les expériences avaient donné de tels résultats que l’attention de l’administration supérieure avait été éveillée, et que l’emploi de ce procédé avait été formellement prescrit aux théâtres. Une ordonnance du préfet de police, en date du 17 mai 1838, portait en effet les dispositions suivantes :

  • Art. 1er. A l’avenir, tout directeur de théâtre de la capitale et de la banlieue ne pourra plus mettre en scène aucun décor neuf, à moins que les fermes, châssis, terrains, bandes d’eau, rideaux, bandes d’air, plafonds, frises, gazes, toiles de lointain, n’aient été rendus ininflammables, soit par une préparation des toiles, soit par un marouflage qui rendrait également les décors ininflammables.
  • Art. 2. Il est pareillement enjoint aux directeurs de faire procéder, immédiatement au marouflage avec papier ininflammable des doublures de châssis vieux à l’usage actuel de la scène.
  • Art. 4. Les toiles et papiers destinés aux décorations indiquées par l’article 1er seront toujours, avant leur emploi, soumis à l’examen de la commission des théâtres, ou d’un de ses membres désignés par nous, lequel vérifiera et constatera si les toiles et papiers qui lui seront présentés par les directions théâtrales sont réellement ininflammables.
  • Art. 5. La vérification et la réception des dites toiles seront constatées par l’application immédiate, sur leurs tissus, de deux mètres en deux mètres, d’une estampille de notre préfecture.
  • Art. 6. Le papier pareillement reconnu ininflammable sera aussi estampillé, avant son usage, à notre préfecture.
  • Art. 7. L’établissement de tout décor neuf, aves des toiles et papiers non estampillés à notre préfecture, donnera lieu, non seulement à la suspension de la représentation, mais encore à l’enlèvement immédiat des décors de l’intérieur du théâtre.

Dictionnaire pittoresque et historique du théâtre d‘Arthur Pougin, 1885


Médecine des Arts®    
715 chemin du quart 82000 Montauban (France)
Tél. 33 (0)563200809 Fax. 33 (0)563912811
E-mail : mda@medecine-des-arts.com

Imprimer

Association

Faire un don
Adhérer

Formation Médecine des arts-musique

Cursus Médecine des arts-musique