Héloïse et Abélard

Opéra-comique en trois actes, livret de MM. Clairville et William Busnach, musique de M. Henri Litolff ; représenté au théâtre des Folies-Dramatiques le 19 octobre 1872. Cette pièce a partagé avec celle de la Timbale d’argent les faveurs du public, pendant presque toute l’année ; succès qui s’explique naturellement par la grossièreté des situations, les équivoques nombreuse, la profanation de l’habit monastique, la moquerie et la dérision des choses respectables ; depuis que les auteurs recherchent avant tout le succès d’argent, en sacrifiant au public tout scrupule de goût et de conscience, la littérature et l’art musical ne nous offrent plus que des œuvres d’autant mieux récompensées qu’elles sont entachées de plus de bassesse et de lâcheté ; Sic itur ad ima. Les auteurs ont forgé un conte indécent et d’une grossièreté outrée, même pour un théâtre ambulant de queues-rouges, et ils lui ont donné le titre d’Héloïse et Abailard. Le chanoine Fulbert est un propriétaire dont le locataire, un barbier, lui doit plusieurs termes. Il propose à la femme de ce dernièr l’adultère, en échange d’une quittance de loyer. Il affecte des habitudes d’austérité et se livre en secret, c’est-à-dire devant le public, à des festins succulents. Il passe pour un savant, et c’est sa nièce Héloïse qui lui fabrique ses thèses. Il convoite la fortune de sa nièce, et c’est pour se l’attribuer qu’il forme le projet de traiter Abailard comme on sait. Héloïse, de son côté, est un bas bleu qui s’amourache de son professeur, se fait enlever par lui, mais Abailard est jeté en prison. Un certain amoureux de la perruquière est saisi, au lieu d’Abailard, par les hommes qu’a apostés le chanoine. Mais, en somme Abailard est sorti de prison sain et sauf ; les calculs de Fulbert sont déjoués et cette stupide pièce n’a pu même être acceptable qu’à la condition de mentir à son titre et d’être réduite à une étiquette : Héloïse et Abailard. Scribe avait déjà essayé de faire un vaudeville sur ce sujet scabreux. Il n’eut aucun succès. On ne parviendra jamais à faire un bon ouvrage dramatique avec ce titre : Abailard. Ce personnage ne sera jamais un héros intéressant. Sa mésaventure donnera toujours lieu à des plaisanteries de mauvais goût, sans doute, mais inévitables.
C’est dans la nature des choses ; tout au plus pourrait-on s’intéresser à Héloïse. En somme, Abailard était un bel esprit et un pauvre caractère. Il était plus rhéteur que théologien, plutôt poète que savant. J’ai publié de lui, dans mes Carmina e poetis christianis excepta, des vers charmants. Il y a cependant un moment ou cette figure singulière mérite une certaine sympathie ; c’est lorsqu’elle se profile  sur les murailles du monastère de Cluny et qu’elle excite une grande commisération. C’est lorsque, revenu de ses erreurs, affaibli par les souffrances, ce vieil athlète, dompté et soumis, est venu se jeter dans les bras de son ami fidèle, le savant et pieux Odon, poète aussi, qui le console et le ramène tout doucement au port après les orages de la vie. Si Héloïse avait pu vivre sur la scène, Paër n’aurait pas manqué de faire représenter son ELoisa ed Abelardo, dont il ne reste qu’une cantate : Se in queste piage amene, qui a été chantée avec succès dans les salons pendant le premier Empire. Un compositeur a partagé avec les deux auteurs du livret le triste honneur ou plutôt l’excès d’indignité de ce succès populaire. Ce compositeur est un musicien allemand de beaucoup de talent. Sous l’Empire, la presse française lui a prodigué son encens et a contribué à sa gloire ; pendant l’occupation de plusieurs de nos départements par ses compatriotes, aurait-on dû accueillir son œuvre sur une scène française et la couvrir d’applaudissements ? Il est bien probable que le sujet de la pièce, flattant les préjugés de la foule, a énervé la fibre nationale. Il est aussi assez extraordinaire qu’un compositeur ait consenti à profaner sa muse, plus que sexagénaire, au contact de telles turpitudes. Au point de vue technique, la musique de M. Henri Litolff est celle d’un maître habile. Les idées mélodiques sont distinguées, l’instrumentation excellente, malgré la vulgarité des situations, la grossièreté des paroles ; les formes de la symphonie offrent à l’oreille du musicien des combinaisons très intéressantes ; c’est un accouplement hybride et monstrueux. Je dois citer l’ouverture, le chœur du premier acte, les couplets : Ah ! si j’allais, pauvre Héloïsen couper le menton d’Abailard ; le duo : Te amo ; l’entracte et le duo d’Héloïse et de Bertrade ; il y a aussi çà et là des motifs de la valse et de ballet si élégants, qu’on regrette de les trouver prodigués dans un ouvrage destiné à l’oubli le plus ignominieux et le mieux mérité. Cet opéra a été chanté par Milher, Luce, Mlles Paola Marié et Coralie Guffroy.


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