Chirurgie éveillée du cerveau chez un musicien pour une tumeur du cerveau

Hodotopie et plasticité cérébrale

La prise en charge des gliomes de grade II a été complètement modifiée récemment du fait d'une meilleure compréhension du comportement biologique de ce type gliome et son évolution systématique vers des grades plus agressifs, même si cette évolution se fait à un rythme lent. Face à l'attitude attentiste qui avait prévalu précédemment, l'intérêt d'une intervention y compris dans une phase précoce de ces gliomes à bas grade de type II devenait une évidence.
Mais intervenir tôt devait se faire avec l'objectif de préserver la qualité de la vie, des fonctions essentielles y compris musicales, que la résection tumorale cérébrale pouvait compromettre. Il était nécessaire alors que les résections tumorales se fassent plus précises.

Le cerveau « éloquent »

Les zones éloquentes sont les zones cérébrales hyperfonctionnelles (cortex langagier, moteur, sensitif, visuel...) qu'il faut préserver au maximum.

Les critères reposant sur les repères anatomiques sont certes cruciaux, mais insuffisants pour une chirurgie cérébrale optimale. De ce fait, les techniques de cartographies péri et per-opératoires ont été développées ces dernières années.
« L’imagerie fonctionnelle d’activation (IRM fonctionnelle) a rendu possible la détection des structures corticales dites « éloquentes » de façon non-invasive lors de la réalisation d’une tâche spécifique, mais celle-ci est insuffisante pour estimer les sites essentiels pour la fonction et donc à respecter impérativement durant l’intervention, de ceux activés car impliqués dans le réseau mais pourtant compensables. » (Dufau H.)

Ces limitations actuelles de l’imagerie ont débouché sur le renouveau d’une méthode chirurgicale ancienne, initialement popularisée par Penfield (1930) consistant à réséquer les lésions cérébrales chez des patients opérés éveillés, dans le but de cartographier à l’aide de stimulation électriques les structures fonctionnelles cruciales à l’échelon individuel mais aussi des fonctions estimés essentielles pour le sujet comme la fonction musicale, ou la voix chantée par exemple
La stimulation durant l’opération chirurgicale par un train d’ondes électriques d’une zone corticale entraîne une inactivation transitoire des zones corticales et sous-corticales comme le ferait une lésion de ces zones. C'est ce qui explique que sont explorées durant l'intervention différentes fonctions et la pratique musicale. Si la stimulation d’une zone altère la fonction en cours, cela signifie que la résection n'interviendra pas sur cette zone. « La balance entre les impératifs oncologiques et fonctionnels peut alors être trouvée pour chaque patient en optimisant le ratio bénéfices/risques de l'intervention. » (Dufau H.)

Depuis seize ans, Hugues Duffau, également chercheur à l'Inserm, fait exploser le schéma « localisationniste » pour lui substituer un schéma « connexionniste : Une fonction n'est pas liée à une zone, mais à un système de réseaux neuronaux : des noeuds répartis sur l'ensemble de l'encéphale et reliés entre eux par des fibres »

Concept d'hodotopie

Les techniques de cartographie fonctionnelle ont permis de transformer les connaissances du fonctionnement cérébral. « Les résultats récents issus de recherche ont démontré que la vision « localisationniste » de l’organisation du système nerveux central qui avait prévalu pendant plus d’un siècle, à savoir une aire correspondant à une fonction, n’était en aucun cas le reflet du fonctionnement cérébral réel et qu’il était temps d’évoluer vers une vision « hodotopique »[Duffau, 2011]. Selon ce modèle (du grec, hodos = voies ; topos = localisation), le cerveau est en fait constitué de réseaux parallèles distribués, qui incluent à la fois des régions corticales susceptibles de travailler de façon synchrone, et interconnectées par des faisceaux cortico-corticaux (« connectivité horizontale »), mais également des structures sous-corticales modulatrices (notamment les noyaux gris centraux) connectées au cortex par une « connectivité verticale ». Dans ce concept hodotopique, même si des sites anatomiques parfaitement bien individualisés au sein d’un réseau complexe peuvent démontrer une certaine spécialisation (toutefois non absolue) pour différents aspects d’une fonction donnée, un seul domaine tel que le langage ou l’émotion peut être perturbé par une lésion d’une ou plusieurs aires appartenant à ce réseau. Qui plus est, une même aire peut être impliquée dans différents sous-réseaux, et donc différentes sous-fonctions.

Neuroplastie

Le cerveau ne correspond pas à une structure rigide. Une lésion n’implique pas inéluctablement la perte définitive de la fonction qu’elle était censée représenter dans la théorie localisationniste. Les résultats des recherches actuelles et les connaissances induites par la résection massive cérébrale dans le cadre de la chirurgie cérébrale des tumeurs cérébrales ont mis en évidence que le cerveau avait la capacité de réorganiser certaines aires ou sous-réseaux endommagés ou lésés, ce qui permet une récupération fonctionnelle de qualité.
Dans le cadre des tumeurs à progression lente comme les gliomes de type II, cette redistribution fonctionnelle est facilitée car ces zones lésées progressivement ont pu voir leurs capacités fonctionnelles prises en charge par d’autres zones. Aussi l’amélioration post-chirurgicale dans ce cadre de tumeur lente est souvent spectaculaire si on la compare à des pathologies aiguës comme les  AVC.

Les examens réalisés à l’occasion de la démarche diagnostic d’un gliome de bas grade à la suite d’une première crise d’épilepsie par exemple montraient que malgré l’infiltration tumorale des tissus, une compensation de ces zones s’était déjà effectuée. Les structures péri lésionnelles ou/et à distance avait pris déjà le relais fonctionnel.
« En utilisant ce potentiel dit « de plasticité cérébrale » à un stade encore plus avancé, il a été proposé de réopérer les patients porteurs de GDBG qui n’avaient pas pu bénéficier d’une résection remnologiquement complète lors de la première intervention en raison d’une infiltration de la tumeur dans une zone toujours « éloquente » sur le plan fonctionnel. Le réarrangement consécutif au premier acte opératoire potentialisé par une rééducation post-opératoire pouvait permettre une réintervention plus complète tout en préservant la fonction réinstallée sur d’autres zones désormais.

Les avancées des connaissances dans le fonctionnement cérébral pouvaient alors bénéficier aux artistes touchés par de telles pathologies, mais aussi dans d’autres pathologies.

Bibliographie

  • Ohgaki H, Kleihues P. Epidemiology and etiology of gliomas. Acta Neuropathol (Berl) 2005;109(1):93-108.
  • DeAngelis LM. Brain tumors. N Engl J Med 2001 ; 344 (2) :114-23.
  • Schwartzbaum JA, Fisher JL, Aldape KD, Wrensch M. Epidemiology and molecular pathology of glioma. Nat Clin Pract Neurol 2006 ; 2(9) : 494-503 ; quiz 1 p following 16.
  • Hoang-Xuan K, Sanson M, Delattre JY. Biologie des gliomes : acquis et perspectives cliniques. Médecine/Sciences 1999;15:1075-7.
  • Marianne Labussière thèse  biologie, impact du fractionnement du traitement sur les propriétés radiosensibilisantes du bortezomib sur deux modèles de gliomes malin humain.  2008
  • Duffau H. Nouveautés thérapeutiques chirurgicales dans les gliomes diffus de bas grade : cartographie cérébrale, hodotopie et neuroplasticité. Bulletin de l'Académie de Médecine, Janvier N°1. 2011
  • Duffau H. — Surgery of gliomas in eloquent areas: from brain hodotopy and plasticity to « functional neurooncology ». Neurosurg. Focus., 2010, 28, 2.
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